La couleur de l’Afrique a toujours interloqué ceux qui ont pu la découvrir, réellement, du sol au ressenti. Son histoire aussi. Et quand on aime les livres qui savent ouvrir des portes, il y a beaucoup de zones grises dans ce continent multicolore, ceux qui y sont allés le savent, et dans l’histoire de ce continent qu’en effet nous avons encore du mal à cerner, tant les non-dits embrument tout.

Peu de travaux de recherche, et encore moins d’œuvres littéraires abordent la difficile thématique de l’esclavage transsaharien ; et un roman nous en propose une version incroyablement porteuse d’ondes de beauté, d’universalité, de savoir universel à partager, en tout cas ; car le savoir est une planète qui doit se partager.

Voici un souffle unique dans l’histoire du Monde, lumière faite sur le passé, mais aussi le présent, un livre qui mêle le souffle des grands récits épiques, la lumière de l’histoire et la sagesse des contes, pour nous montrer et nous amener à décrypter en justesse les horreurs de la traite négrière arabo-musulmane, qui se perpétue encore, malheureusement, une leçon de vie humaine dont le titre est la morale : « Il n’y a pas d’arc en ciel au paradis », Nétonon Noël Ndjékéry, chez Hélice Hélas Editeur.

Aussitôt que les rayons du soleil n’imposaient plus aux poux de vivre l’enfer sur les cuirs chevelus, la levée du camp était annoncée au son de l’umbaïa. Les ordres recommençaient à claquer au vent, les chicottes à siffler dans l’air. Et la caravane, auréolée de son nuage de moucherons virevoltants, se remettait en mouvement.

Nétonon Noël Ndjékéry, « Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis »

Hélice, Hélas, des éditions baroques et épiques, pour une quête justement ouvertement impossible

Nous suivons une bien longue histoire portée par une langue de griot, par le temps, aussi, par l’horreur, malheureusement.

L’eunuque Tomasta Mansour s’est enfui de Djeddah, pour mettre à l’abri une Yéménite, Yasmina, une toute jeune fille en fleur, « la Blanche », favorite échappée d’un harem, dans les bras de laquelle son maître a rendu l’âme et qui doit fuir pour sa survie.

Il y a aussi Zeïtoun, un jeune adolescent arraché aux siens et mis en servitude. Il sera suffisamment chanceux pour en réchapper. Son errance le met sur la route des deux autres fugitifs qui le trouveront inanimé mais le sauveront.

Tous trois vont vivre une épopée nomade sur les routes des caravanes et trouver refuge loin des empires, sur une île dérivant au milieu de la grande étendue d’eau où essaieront en tant que peuple de « résister aux aléas de l’existence« , car « l’individu n’est rien tout seul » et la communauté rien sans l’individu.

Libérés de toute attache, il vont créer une île, leur île, certes faite de bric et de broc, mais c’est leur être qu’elle porte. Ils la peupleront et la baptiseront « Keyba », la « case de l’amitié ». Un radeau, une arche de Noé revisitée qui vogue, une île mouvante, mobile, un échappatoire jusqu’à l’île promise, sur la Grande Eau – le lac Tchad, une île nomade et libre, une kirta, « qui ne prêt[e] allégeance à rien d’autre qu’aux vents et aux pluies ».

Une société nouvelle va être fondée, une terre d’accueil pour toute personne menacée par les esclavagistes.

Sur cette île mouvante, ce radeau de libertés, une société utopique va s’inventer au quotidien, capable de poser les bases d’un projet émancipateur pour une Afrique soucieuse de se raconter elle-même, ainsi qu’à reconnaître ses diverses identités, croyances et son art du vivre ensemble.

Toutefois,cette utopie affronte encore, toujours la violence, tel est son prix. . Car les utopies coûtent, parfois la vie, aussi.

Nétonon Noël Ndjékéry nous saisit en se saisissant, lui, de la question de l’esclavage transsaharien dans une fiction éminemment documentée, en faits, en Histoire, en vérité fulgurante et nuances indicibles donc tues.

Tantôt terrible, tantôt burlesque, cet ouvrage nous apprend avec effroi, ventre noué et désarroi beaucoup de choses qu’on ne sait pas, si l’on ne le lit pas.

Le récit de ces bannis, ces victimes devenant sous nos yeux les héros d’une surprenante histoire extraordinaire nous emporte et fait entrer la littérature tchadienne dans nos têtes de lecteurs qui croyaient la connaître. Et le mélange des genres littéraires et des survies est aussi un mélange de burlesque et de tragédie.

Un thème encore rarement développé : la traite d’esclaves transsaharienne

Le lecteur découvre la violence des traites négrières intra africaines orientales, qui sont loin d’être enterrées, puisqu’on en trouve encore les signes dans l’actualité.

Page après page, se dresse un tableau implacable de près de deux siècles de privation de liberté et d’exploitation humaine dans la région du Tchad.

Mais on continue à lire, touché, outré et éclairé, évidemment pris par le récit dense à lire, car éminemment documenté par l’auteur.

Ce n’est pas un conte, une utopie, une légende, il est souvent évident pour le lecteur qu’il s’agit aussi d’un livre d’histoire déguisé en roman à l’oralité masquée.

On passe d’un genre à l’autre dans ces pages, d’une histoire à l’autre, aussi, et d’une époque à l’autre : on navigue des chasses aux esclaves pratiquées par des sultanats sahéliens jusqu’à l’émergence de Boko Haram au Nigéria, de la colonisation française à l’enrôlement des tirailleurs jusqu’aux indépendances.

Pourtant, la contemplation reste possible : les bords de ce lac, les paysages qui l’entourent et qui y mènent sont merveilleusement décrits.

Il y a partout un oasis à espérer, le style de l’auteur laisse le lecteur en contempler la beauté et apercevoir la grâce d’un oiseau, puis, quelques pages suivantes laissent découvrir la férocité d’un crocodile et la cruauté implacable des humains.

Quel est cet arc-en-ciel, dans ce récit ?

Le récit de ces bannis, ces victimes devenus héros d’une formidable utopie nous emporte et fait entrer de plein fouet la littérature tchadienne dans nos têtes de lecteurs qui croyaient savoir en revigorant l’Histoire des histoires humaines en la rendant absolument universelle.

Et cet arc en ciel dénonce, dans son insularité portée comme un Eden qui fait rêver, toute forme de barbarie. C’est un récit qui nous conte le refuge qu’on devrait tous chercher comme quelque chose qui devrait exister. Non pas un paradis, mais le réel que les humains cherchent tous et dont le besoin se fait de plus en plus sentir : une terre de liberté.

Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis n’est pas sans rappeler le grand Amin Maalouf. Il y a quelque chose de juste et essentiel dans ce récit qui est loin d’être un simple récit : l’Afrique est un continent d’êtres sages, conscients, lucides, et un continent maître de son destin, du moins qui devrait l’être, comme chaque humain qui y vit, comme la Terre a été libre et belle, à l’aube de l’humanité.

C’est aussi l’occasion de raconter l’histoire originale et tumultueuse de cette région de l’Afrique qui a subi l’esclavagisme, la colonisation et les indépendances par toujours réellement obtenues, le djihadisme, car toujours les catastrophes humaines et naturelles se sont succédées sur ce continent pourtant berceau des Humains.

Et sur cette île singulière, qui dérive longtemps sur le lac, l’utopie fait envie pour diverses raisons, et les quatre pays avoisinants, le Niger, le Nigeria, le Cameroun et le Tchad, se disputent la terre d’accueil et de libertés.

Un histoire prenante, comme les légendes poétiques philosophiques et justes seules savent l’être.

Oui, ce récit nous prend aux tripes. Car il porte en lui tout notre instinct, nos sens, toute l’oralité des histoires humaines, toute la spiritualité de la vérité, toute la sagesse portée par les mots.

C’est une leçon d’Histoire universelle de l’Humanité, aussi, avec ses droits, tous court. Droits d’exister simplement et librement, sans devoirs : leçon de vie.

Le Tchad et ses rives nous prennent, nous saisissent et nous perdent avec délice de savoir, une confluence aux méandres libres, ésoéthiques, ésotériques, philosophiques, géo-mythiques, à la fois littéraires et historiques.

Car la petite histoire rejoint la grande avec une poésie lucide implacable, comme une multitude de rûs, rivières, fleuves, se déversant dans le sens infini de l’humanité.

Et sa lumière, d’où l’arc en ciel de ce livre : outre la référence explicite aux différents programmes missionnaires qui promettaient et promettent toujours aux populations d’Afrique noire d’être « blanchies » en accédant à un paradis, l’arc en ciel promis, dans ce livre, est là, bien présent, et relie l’Afrique à la Terre, la langue française à la poésie et le flux des mots nous emporte par son infinie justesse.

Ainsi, le propos est porteur, car il faut le savoir, l’utopie est un guide, un chaudron, la beauté littéraire est essentielle.

« Plus discrète qu’une épouse infidèle rejoignant son amant, la lune rasait les nuages, impatiente d’aller retrouver le soleil qui l’avait précédée depuis longtemps au couchant ». 

Pour aller avant, plus loin et plus profond, il y a « Exterminez toutes ces brutes » de Raoul Peck, un documentaire actuellement disponible sur Arte et documenté par un livre du même titre. .

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