« Requiem »

Quel titre donnant envie d’écouter du Mozart ! Et ça tombe bien : ce livre un hommage à la musique comme un sacre de soi, une ode au retrait pour réfléchir, repenser ou recomposer qui on est et sa vie, un dépouillement pour réussir à écouter ses propres désirs, pour comprendre et explorer ce qui nous anime comme le ferait un musicien.

Requiem complète une trilogie, un triptyque, sur la solitude et la création artistique ainsi nourrie.

Comme une partition, il convient de vérifier, dès les premières mesures, si l’on va aimer les notes utilisées.

Un poète, écrivain, traducteur islandais de Richard Brautigan, notamment

Gyrdir Elíasson est l’un des auteurs majeurs de la littérature islandaise, et l’Islande porte la musique, aussi, pas seulement Bjork, il suffit de se renseigner….

Il a obtenu le prestigieux grand prix de littérature du Conseil nordique pour « Entre les arbres » (Milli trjánna). Un autre recueil de nouvelles, Gula húsið n’a pas été traduit, (mais signifie La Maison jaune et a remporté le prix littéraire islandais ainsi que le prix Halldór Laxness de littérature.

Les livres de Gyrdir Elíasson sont proches du courant nature writing, puisqu’il traduit Richard Brautigan et que traduire a aussi un sens universel. Des romans qui abordent la nature, l’art, la création et la solitude. Thoreau, comme Brautigan, n’est jamais loin de tout ça, quelle que soit la langue de l’auteur du livre dont on parle, avouons-le.

Jónas part seul, au milieu des sons, mais où et pour quoi ?

Le héros de ce roman, Jónas, aime la musique et aime « mettre la musique sur papier ».

Fatigué de sa vie, Jónas fuit sa ville pour prendre de la distance et s’éloigner de ce qui manque de sens : sa vie de publicitaire en free-lance qui lui pèse et son couple, aussi, puisque celui-ci bat de l’aile est enfermé dans une impasse.

Il fuit car « ce qui rend la vie supportable, c’est de pouvoir oublier », il part pour goûter à nouveau à l’indicible charme de la solitude et se rendre disponible et attentif, comme son instinct le lui intime, aux sonorités du quotidien.

Il part comme Sherwood Anderson, qu’il a lu, bien sûr, puisqu’il le cite. Mais il ne part pas pour écrire Winesburg-en-Ohio, il quitte Reykjavík pour un village dans l’Est de l’Islande, il quitte lui aussi cette vie de publicitaire, pour retrouver le sens de sa vie, dans un chalet en retrait, afin d’y composer une œuvre décisive, peut-être, même s’il ne se pense pas détenir ce talent de compositeur.

C’est ainsi qu’il séjourne plusieurs mois dans un vieux chalet prêté par un oncle de sa compagne, qui, elle, restera à Reykjavik mais peut-être pas sa compagne, dans un fjord de l’est de l’Islande. Partir pour se trouver, une ode à la solitude, et en musique, oui, un parfait Requiem.

La musique mise en mots et sur papier : une prise de notes, en somme…

Jónas pense en sons, même s’il n’est pas donné à tous de les entendre, ces sons. et il parle avec lui-même, comme une mise en sourdine à l’intimité mesurée et désirée de la « cacophonie aiguë » de sa vie.

Il compose avec la solitude une étrange partition, une mélopée inspirée de son environnement.

Et cette composition permanente, il la note, sur un carnet Moleskine. Il note les notes, car Jónas entend de la musique en toute chose.

Le congélateur ronronne, il note. La bouilloire siffle, il note. Les moteurs ronflent, il note. Le feu crépite, il note. Et les oiseaux chantent…

La musique est partout, une « Sérénade pour piano et bouilloire », une « Marche funèbre » qui souffle sur des braises, « Étude pour violoncelle, scie et marteau », tout est son et l’inspire, sans pour autant lui inspirer la confiance dont il semble manquer.

La solitude du noteur de sons

Au fil des jours, les sons et les notes s’égrènent, autant de petit cailloux semés au fil du texte. On suit le fil de ses idées, on entre dans son cœur, sa tête, et on partage avec lui ce qu’il n’arrive pas à avouer : les indices d’une souffrance difficilement dicible.

Et c’est bien là le problème : Jónas ne peut parler à personne de choses qui importent, alors il s’enfonce de plus en plus dans la solitude, les pertes successives jalonnent son parcours. Il note, mais…

Seul et en retrait, il se perd et égare le précieux carnet contenant toute sa musique, alors il ne peut plus s’oublier et tous ses problèmes le rattrapent et brouillent tous ses repères. Son écoute des mélodies qui l’entourent va devenir d’autant plus nécessaire, vitale, essentielle, porteuse du sens cherché. Son identité elle-même peu à peu se floute, s’estompe…

Dans ce roman, Gyrðir Elíasson célèbre la musique, la partition et la compositions, et la musique intérieure surtout. Rempli d’humour et de mélancolie, Requiem est un bijou de nuances musicales, apaisantes et philosophiques, où les pensées s’ajustent sans avoir besoin d’être accordées.

Un subtil roman qui égrène la solitude de l’écrivain islandais

Avec ce roman, nous entrons dans l’intimité d’un « compositeur de tiroir » qui, seul face au monde, monologue entre sensations et réflexions, dans la nature islandaise, un décor sobre et spectaculaire, intime et intense.

Ce livre est un itinéraire tout en retenue, infiniment poignant et parsemé de poussières de mélancolie. Quelques pointes d’humour, souvent noir, émergent, la joie se distingue, au loin.

Ce livre est une flânerie de pages intimes et prenante, une partition inspirée par Mendelssohn, entre autres, puisqu’une « Romance sans paroles » s’y aperçoit, une bien subtile partition, un carnet égaré, un être perdu lui aussi.

Se perdre pour se trouver, perdre la raison, se demander si on est en train de perdre sa femme, aussi.

L’important est de se retrouver, sans impression d’avoir perdu son temps en s’explorant intimement et symphoniquement, et de rester naturellement contemplatif et calme, entouré par les sons.

Un coup de coeur de lecture réel et emportant, comme un Requiem empli de talents discrets, subtils et beaux.

« Requiem » de Gyrdir Eliasson, traduction Catherine Eyjólfsson aux éditions La Peuplade

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