Vous avez pu savourer leur musique lors de la dernière playlist de la cave (#5). Fleur bleu.e revient ici avec une interview proposée par Johann.
Il est des délices sonores qui vous tombent dessus sans que vous ne vous y attendiez. Il est des délices sonores qui vous touchent de suite, vous emmenant dans leurs univers oniriques pour ne plus vous lâcher. “Horizon” fait pleinement partie de ces chansons. Ce morceau de 6 minutes, premier single du duo parisien Fleur bleu.e, nous régale d’une magnifique introduction psychédélique, avant de nous bercer par sa douceur envoûtante. Douceur envoûtante de sa mélodie et d’une voix féminine qui célèbre des paroles pleines de poésie. Pour notre plus grand plaisir, Delphine et Vladimir de Fleur bleu.e ont accepté de se prêter au jeu de l’interview pour Cultures Sauvages.
Bonjour Fleur bleu.e ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Fleur bleu.e : Bonjour Cultures Sauvages et merci beaucoup pour l’invitation ! Fleur bleu.e est un duo qu’on forme depuis bientôt un an. Nous sommes tous les deux musicien.nes depuis l’enfance, mais c’est seulement à notre rencontre que nous avons trouvé l’un.e et l’autre notre moitié musicale. Nous sommes deux grand·es rêveur·ses très souvent dans la lune.
Le nom de votre duo, “Fleur bleu.e” en écriture inclusive, questionne. J’y vois comme une volonté de revendiquer votre sensibilité tout en dépassant la question du genre. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Vladimir : C’est exactement ça. L’expression « fleur bleue » est associée au caractère sentimental ou romantique. Elle est souvent rapprochée à la naïveté, d’une manière presque condescendante, et dans ce cas, associée au genre féminin. En l’utilisant pour notre nom de groupe, nous avons voulu au contraire valoriser ce qu’elle symbolise. En la marquant de l’écriture inclusive nous avons aussi souhaité exprimer le fait qu’elle existe au-delà du prisme de genre masculin/féminin.
Delphine : On souhaitait un nom qui reflète notre musique et qui incarne une certaine fragilité généralement moquée. C’est aussi une façon de signaler notre sensibilité politique.
Dans quelle mesure pourrait-on dire que Fleur bleu.e est féministe ?
Vladimir : Aujourd’hui beaucoup de monde se dit féministe et c’est important de ne pas perdre de vue sa signification, qui est née d’un mouvement radical. Au niveau personnel, nous sommes vraiment sensibles à la lutte. D’ailleurs notre prochain single « Stolt 89 » porte un discours féministe.
Delphine : C’est assez ambitieux de déclarer notre groupe comme féministe. Au niveau personnel je me suis toujours considérée féministe, avec une définition qui a évolué au cours du temps. Avec mon amie Linh, j’ai formé un autre groupe de musique qu’on a appelé Le Studio Jaune, avec lequel on s’identifie en tant qu’asio-féministes (pour les questions féministes spécifiques aux asio-descendantes). Avec Fleur bleu.e, on dira plutôt qu’on croit au politique au cœur de toute création, malgré les volontés individuelles de chaque artiste. Nos productions sont le reflet de nos constructions sociales et de nos environnements politiques.
La dream pop semble à l’honneur dans votre chanson et votre clip. On sent aussi d’autres influences qui vont de la musique expérimentale à la chanson française. Comment décririez-vous votre musique ?
Delphine : En effet, on aime beaucoup l’ambiance mystérieuse de la dream pop et tout ce que la musique expérimentale apporte de déstructurant. On apprécie aussi l’importance des textes dans la chanson française. Personnellement, j’aime beaucoup les chansons calmes et douces, qui rendent rêveur.se. Pour le chant d’Horizon, je me suis inspirée de Françoise Hardy ou d’Elli Medeiros (Elli & Jacno). Pour d’autres chansons en anglais, ma mentor est feu Trish Keenan, la chanteuse de Broadcast. Mon seul intérêt pour l’instant est que notre musique transmette une réelle sincérité et profondeur. Ma plus grande peur est qu’elle ne soit juste qu’un nouveau produit à consommer.
Vladimir : Je partage ce point. Nous avons ces influences dream pop et le goût pour les mélodies dissonantes, mais au-delà, ce qui nous guide est la volonté de faire quelque chose de personnel et d’original.
Comment composez-vous ? Comment vous répartissez-vous les rôles entre composition musicale et écriture des paroles ?
Delphine : En général, Vladimir chante littéralement avec sa guitare, puis on trouve des accords dessus et j’écris les paroles et la mélodie du chant. Mais on partage assez équitablement les différentes étapes de l’écriture, notamment les arrangements.
Vladimir : C’est le cas de figure pour notre morceau « Horizon ». Pour d’autres c’est Delphine qui apporte une base d’accords/voix sur laquelle je vais essayer de trouver des arrangements et/ou des parties complémentaires. Dans d’autres cas de figure on fait des séances d’improvisation sur nos instruments. C’est ce que je préfère car je peux me nourrir de l’originalité dans le jeu de Delphine par rapport au mien, pour casser mes habitudes et trouver des choses que je n’aurais pas pu trouver seul. J’ai effectivement appris la guitare en admirant des guitaristes qui utilisent leur instrument quasiment comme une voix, qui complémente mélodiquement le chant, comme Johnny Marr ou John Frusciante. Et c’est ainsi que j’essaie de construire nos morceaux avec Fleur bleu.e.
Le texte de votre chanson est en français. Est-ce important pour vous le français ? Vous sentez-vous influencé.e.s par certain.e.s auteur.rice.s ?
Delphine : Nous écrivons en français et en anglais de manière intuitive. C’est souvent plus naturel pour moi d’écrire en français car c’est ma langue maternelle et celle avec laquelle je suis le plus à l’aise. J’ai toujours aimé la poésie que je ne lis qu’en français et cela m’a certainement influencée. Nous écoutons beaucoup de groupes anglo-saxons et l’anglais vient aussi très naturellement. Cela dépend de l’univers qu’on souhaite créer pour chaque chanson. L’anglais est aussi une langue plus directe avec laquelle on se découvre une autre personnalité ; cela permet peut-être d’exprimer plus facilement nos émotions.
C’est drôle de découvrir « Horizon » alors même que je suis en pleine lecture du livre L’homme sans horizon de Joël Gayraud. Votre chanson se présente comme une respiration dans ma lecture. L’auteur a cette très belle formule à la fin de l’introduction de son ouvrage : “L’horizon signe de l’ouverture du monde, est la preuve impalpable et décisive que le monde ne saurait se fermer sans sombrer définitivement dans la nuit. Mais qui est jamais allé au pays de l’horizon ?” Qu’en pensez-vous ?
Delphine : J’aime beaucoup que tu aies pu faire le rapprochement entre ces deux œuvres, ça donne de la profondeur à chacune d’entre elles, même par contraste. La citation est quelque peu mystérieuse et sombre. Notre chanson se voulait plutôt comme une lueur d’espoir au cœur d’une dispute.
Vladimir : Dans notre cas, l’horizon est un symbole de l’amour. Les deux métaphores peuvent se rejoindre si l’ouverture du monde est interprétée comme un une forme d’altruisme et donc d’amour pour autrui. Mais à la différence de Joël Gayraud, qui suggère que l’horizon disparaît dans la nuit, dans notre interprétation l’horizon est une ligne qui existe et existera toujours. Il est la métaphore de l’amour qui ne meurt jamais entre deux individus. Cela me fait penser à Anaïs Nin qui disait que « l’amour ne meurt jamais de mort naturelle, il meurt parce que nous ne savons pas revenir à sa source ». Selon nous, il suffit de prendre un peu de recul, d’aller sur une colline, et l’horizon nous réapparaît. C’est ma grand-mère Baba qui nous a inspiré un couplet de la chanson car elle nous rappelle à chaque fois l’importance de savoir se pardonner lorsque les choses vont mal.
Delphine : La question à la fin de la citation me fait penser à ce que peuvent ressentir des amant.es qui, pour sentir leur amour, se serrent fort dans les bras : ils ont beau se serrer le plus fort possible, ils continuent à ressentir un manque profond de l’autre.
En tout cas, c’est un réel plaisir d’écouter et de réécouter encore votre morceau, “Horizon”. Y en aura-t-il d’autres ? Un album serait-il envisagé ?
Fleur bleu.e : Oui ! Dans l’idéal, nous aimerions sortir un album avant la fin de l’année. Nous avons déjà cinq autres chansons en attente d’être mixées. On pense en sortir quelques-unes successivement dans l’année, tout en continuant à composer et à enregistrer. Le prochain titre – Stolt 89 – sortira en février. Un ami nous a réalisé un clip haut en couleur comme celui d’Horizon.
J’ai vraiment hâte d’en découvrir davantage. Peut-être nous verrons-nous dans une salle de concert quand la situation sanitaire nous le permettra ? D’ailleurs, avez-vous déjà fait de la scène ?
Fleur bleu.e : Nous allons passer sur deux webradios en mars, et nous sommes invités à jouer au vernissage d’une exposition à Bonn le 20 mai. Nous sommes impatients de monter sur scène. Fleur bleu.e étant un bébé du confinement, à part des open mics, nous n’avons pas encore eu l’occasion de découvrir le monde !
En attendant tout cela, pourriez-vous nous conseiller des albums, des livres ou d’autres œuvres culturelles pour nous faire patienter ?
Vladimir : Justement, notre chanson Stolt 89 fait référence à un livre de John Stoltenberg, intitulé Refuser d’être un homme, que j’ai lu l’année dernière au moment où l’on écrivait la chanson. Stoltenberg est un féministe américain qui fut le compagnon d’Andréa Dworkin. Il est l’un des premiers hommes à avoir porté une voix masculine contre la masculinité toxique. Il symbolise ce que le féminisme masculin devrait s’attacher de faire selon moi : utiliser son influence auprès des autres hommes pour les amener à se déconstruire. Je le recommande vivement à tous les lecteurs de Cultures Sauvages. Un peu dans la continuation, je recommanderai l’album Silence & Wisdom de Deux filles, un groupe que j’ai découvert récemment. Le projet était celui de deux amis qui au début des années 1980 ont cherché à performer un duo féminin dont ils ont imaginé une histoire tragique. Leur musique instrumentale convient très bien aux soirées d’hiver je trouve.
Delphine : D’ailleurs nous avons sorti une playlist pour l’hiver intitulée Dreamy Winter Nights, disponible sur Spotify et YouTube. On y a mis pas mal d’artistes qu’on aime beaucoup comme Supernova, ou Voh Soh R, qui est le groupe d’une amie japonaise de Vladimir. Elle écrit ses chansons à partir d’histoires racontées par des vieilles personnes qu’elle interviewe.
Pour finir, que vous évoque le terme de “Cultures Sauvages” ?
Delphine : Au premier abord, le terme “sauvage” m’évoque quelque chose de controversé dans les milieux antiracistes, car le terme est instrumenté par les thèses coloniales contre certaines populations jugées “sauvages” à l’opposition d’autres qui seraient “civilisées”. On pense notamment à l’expression “ensauvagement de la société” récemment employée par notre gouvernement pour flirter avec l’extrême droite. “Cultures Sauvages” m’a surtout fait penser à toutes ces petites plantes sauvages qui poussent sur les trottoirs ou sur les murs. A l’opposé des plantes horticoles, elles poussent sans entretien et sans qu’on ne les attende ici ou là, totalement libres. Ainsi, Cultures Sauvages mettraient à l’honneur toutes ces petites plantes qui poussent en dehors des sentiers battus. Il existe des observatoires participatifs de la flore sauvage des villes comme “Sauvages de ma rue”, on gagnerait tous.tes à mieux les connaître !
Merci beaucoup Fleur bleu.e pour cette interview. Je vous souhaite une bonne continuation et le meilleur pour votre carrière musicale. Je vais continuer à garder une oreille attentive sur votre musique.
Fleur bleu.e : Merci beaucoup pour l’invitation. Nous avons vraiment été touché.es par votre accueil.