Envie d’un livre bon, doux, intense, à lire d’une traite sans réfléchir et tout sentir ?
La couverture est belle, chaude, elle évoque beaucoup de beauté, intérieure, sensorielle, la beauté qu’on cherche tous, et toutes.
Et en ces temps étranges s’il en est, la chaleur est à saisir. Comme ce livre.
Quand on aime lire, on aime se laisser porter, comme un corps brûlant de désir de savoir et de voir ce savoir partagé ! Et on aime se fier aux propositions d’éditions indépendantes, libres, différentes… C’est l’effet que font les éditions La Peuplade, thérapeutes des âmes liseuses assoiffées de mots justes.
Ce livre était sur une table. Le rose, le rouge, les formes, les courbes, les éditions, bref, je l’ai saisi et je n’ai pas pu attendre pour le dévorer, j’ai eu raison, je l’ai su aux premiers mots.
« J’écrivais pour me dépêtrer du silence, mais écrire me paraissait fastidieux. J’empruntais des livres à la bibliothèque. J’ouvris La bâtarde et lus les premières phrases. C’était donc ainsi qu’on écrivait un roman ? En mettant simplement l’écriture en marche ? »
« Au temps sublime », de Louise-Amada D.
Un livre-corps lien entre dire et plaisir
Roman de l’oubli, oubli de soi et de comment on en est arrivé là, oubli des souffrances, oubli de l’oubli, vivre, simplement vivre et le dire, donc l’écrire, « Au temps sublime », au temps pour soi.
Ceci est un journal d’écriture à la fois analytique et audacieux, tourné vers soi, comme tout plaisir ultime et sublime, intimiste.
« Au temps sublime » dévoile le corps comme lien entre les pensées et la vie, comme sangle, attache, bandoulière, courroie d’un lent cheminement sans regret. Et le corps sent, donc sait, se souvient et a besoin d’avancer, vers le plaisir à retrouver.
« Les bruits reviennent dans la chambre. La mouche, au plafond, poursuit sa trajectoire entêtante, vrombissant follement. Alors que j’écris, le désir m’incendie et me convie… »
« Au temps sublime », de Louise-Amada D.
Une quête de soie, comme une douceur
Des pages à la fois pensives, sensuelles, tristes, sincères et épurées. Un amour se finit, le vide est à combler. Mais comment, avec qui, avec quoi ? Avec soi.
On suit une héroïne qui tente de se retrouver après avoir perdu un amour. Elle est seule face à elle même, elle s’affronte et tente de se reconstruire.
De retour à Montréal après avoir tenté, en vain, de poursuivre ses études en Europe, elle se retrouve malgré elle assaillie de visions de Lui… Une rue, un endroit, un immeuble, un recoin, il est partout elle le revoit.
Une obsession qui, à l’évidence, est une menace : « Les rails du métro me tendaient les bras », écrit cette narratrice tourmentée. Alors elle se réfugie là où elle peut, ne cède pas à la tentation et lit, écrit, dort sur un matelas pneumatique dans la maison vide que lui prête temporairement sa mère, elle affine mot à mot ce qu’elle cherche à trouver dans ces pages sur lesquelles elle griffonne : « J’oublierai H. Je voulais retrouver le désir puissant, le désir sans, le désir avant H. ».
Elle pense, repense, écrit pour encrer et évacuer ce qui reste des flammes d’un amour qui l’a laissée, blessée et perdue à défaut d’éperdue.
Elle lit, écrit, pour elle. C’est sa confession, l’autre importe peu et pourtant elle l’interpelle souvent, l’autre, c’est à dire nous, le lecteur. Elle s’explore.
Des jours passent, varient, en couleur, en douleur, en joie inattendue, en lumière et beauté, avec doigté ?
Ceci n’est pas un roman. C’est un journal.
Au fil des descriptions, on sent que le corps de la jeune femme oscille, hésite, tâtonne, menace de flancher, même si le souvenir de H. s’estompe…
Les pages tournent, le plaisir aussi, et parfois c’est le plaisir qui donne la route pour dire qui on est. La force de ce livre est peut-être de ne rien cacher, comme le livre qui inspire la bâtarde qu’elle a peur d’être.
Comme «La bâtarde» de Violette Leduc, elle trouve dans l’écriture autobiographique une stratégie poétique qui prend la forme du repentir.
Violette Leduc, comme Louise-Amada D., apporte avec ses mots une touche sensible à sa vie, à son être, qui corrige le sentiment de culpabilité en envie de vivre et de profiter.
En retrait, elle laisse libre cours à sa vitalité et les mots qu’elle tisse dans ce livre est une magnification de la complexité de son être. Se trouver est quelque chose comme ça, quand on est perdue et peu entourée.
« Onze heures et demie du soir. Mon poste de radio est ouvert. Calypsos, blues, sambas. Les bâtards sont maudits: un ami me l’a dit. Les bâtards sont maudits. C’est le glas, le tocsin sur les calypsos, les blues, les sambas. Pourquoi les bâtards ne s’entraident-ils pas? Pourquoi fuient-ils? Pourquoi se détestent-ils? Pourquoi ne forment-ils pas une confrérie? Ils devraient tout se pardonner puisqu’ils ont en commun ce qu’il y a de plus précieux, de plus fragile, de plus fort, de plus sombre en eux: une enfance tordue comme un vieux pommier.»
« La bâtarde », de Violette Leduc
Transposer ou transcender le charnel dans la littérature ?
Renouer avec l’existence avec la plume, avec la poésie, Eros comme Pygmalion, Violette Leduc comme guide.
Cela donne un très beau texte, entre hommage à la littérature et au corps, à la plume et à soi, un premier « roman » qui est l’exaltation du désir qui persiste, une mosaïque kaléidoscopique féminine, contemporaine, atemporelle et sans frontière, puisque l’auteure, née en Guinée en 1987, est artiste visuelle et vit au Québec.
256 pages pour transcrire le langage d’un corps à contre-sens, à contretemps, à contrescarpe, contre, tout contre lui-même, un roman d’une profondeur magnétique, animale et volontaire.
Un homme qui dort ? Non, une femme qui jouit. De la vie, aussi. Une chambre à soi, ça sert aussi à ça.