« On est à la fois très proche et très éloigné.e des gens quand on fait de la poésie. »

Je profite de cette belle occasion qui m’est donnée par Cultures Sauvages, publier tous les mardis du mois de mai 2022 dans la section “un artiste, un univers”, pour développer une pensée sur les rapports qu’entretiennent l’écriture et le geste. Même si elle part d’une volonté d’autoréflexivité, cette pensée sera poétique dans sa forme. (Les deux premiers volets sont à lire ici, et .)

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On est à la fois très proche et très éloigné.e des gens quand on fait de la poésie. Voici mon point de départ cette semaine.

            Parfois, je suis tellement allée dans les tréfonds du poème que je me sens loin des autres et du réel. Seule responsable de mes errances et de mon éloignement, je ne sais pas bien si je dois rentrer. Ou rester seule,

                             pleine

                             et entière         :          face au langage.

                                                                        ce langage,

qui détermine notre façon d’appréhender le réel.

            Et la poésie tente de mettre du souffle dans notre appréhension du réel. Du souffle contre le kidnapping, par la faute d’une confrontation quotidienne à un langage appauvri, des vies en faveur de la société marchande et efficace, virtuelle et désincarnée. Du souffle contre la peur. la                                         distance. La poésie tente de lier, je crois. Même si j’ai tenté d’écrire un texte sur ça et je n’y suis pas arrivée. La notion “d’y arriver” est bien floue, disons que je n’en suis pas satisfaite et je le trouve mauvais. Mais il existe. il a existé ? il existe. il est écrit donc il existe. Sur scène j’arrive peut-être davantage à faire lien ? (je voulais mettre un point à la fin de cette phrase et une faute de frappe m’a fait mettre un point d’interrogation, intéressant ! La machine parle. Pose des questions.) parce que les corps sont en présence.

Photo : Sarah Cassenti

            En ce moment j’adore le mot « parfois » . je le trouve potentialité je le trouve force tranquille je le trouve reposant ; je le trouve et il me trouve ; je le trouve vague et à la fois permissif : il permet à quelque chose de se passer ; on ne sait pas quand, on sait que c’est pas toujours, donc c’est apaisant ; on sait aussi que c’est pas jamais donc c’est rassurant ; il est pas trop fatigant tout en laissant place à l’aventure. Il y a une bifurcation dans parfois, elle est dans le [rf]

alors, je l’utilise beaucoup dans ma poésie, je parle de ce qui existe parfois mais pas toujours, de pensées qu’on peut avoir, qu’on a le droit d’écrire sans que cela ne détermine notre être entier. comme tout communique, dans mes performances je m’en sers, de ces bêtises qu’on peut parfois faire, de ces gestes incongrus – comme se mettre des branchages dans les cheveux et de la terre sur le visage :

je vois les mots ainsi. ils guident mes gestes. voici comment je guide mes performances. j’ai vraiment l’impression de piocher dans le grand sac noir des mots et de n’être obligée à rien. de pouvoir les placer où je veux. de m’amuser avec. c’est donc ce que je fais avec « parfois » aujourd’hui. J’ai pu le faire avec « jaune », « silence », ou plus récemment « vers 22 », pour célébrer l’entrée en 2022.

je suis en train de préparer une autre performance autour du verbe rebondir. Il y aura un trampoline et de la poésie. en même temps. il y aura donc des paroles en l’air et des paroles venues d’en bas. des paroles venues d’en haut et des paroles en chute libre.

Pour aller plus loin, découvrez la biographie de Hortense Raynal :

Hortense Raynal est performeuse, poétesse, comédienne et aveyronnaise. Elle publie son premier livre de poésie, Ruralités, en 2021. Elle a étudié la littérature, le théâtre et le cinéma à l’ENS Ulm de Paris. Elle se forme au théâtre physique, aux accointances avec la danse, en Feldenkreis, Body Mind Centering, Butô et clown. Elle réalise des performances partout en France, et diffuse sa poésie sur Spotify & YouTube
Sa poésie est organique, gestuelle. Elle explore autant dans son écriture le champ de la géopoésie et les thèmes de la mémoire paysanne que la posture punk et queer. Et ce, toujours avec un lien très physique aux syntagmes. Elle explore dans ses recherches performatives la saturation de la langue, sa matière physique, la générosité scénique, le lien public-poésie-poétesse, le lien geste et écriture, la présence de l’objet livre. Comment investir la poésie ?
Elle a publié dans de nombreuses revues : Teste, Point de Chute, Lichen, Fragile, Tract, Gustave, Terre à ciel, Meteor, Sabir… Elle a été poétesse résidente à La Factorie, à L’Usine Utopik, à La Maison de la Poésie d’Amay, à La Colle à Gréoux-les-Bains entre 2020 et 2022. En 2022, elle fonde Mater Atelier, qui tente de fédérer le matrimoine poétique contemporain.

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Agence Régionale du Livre
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Mater Atelier

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