Quand le vent souffle, sa direction importe et porte la chaleur et les sens.

Et là, il vient de loin, le vent qui nous a amené ce livre… Dans le temps et dans l’espace à la fois, puisqu’il s’agit d’un livre publié en Nouvelle-Zélande puis traduit il y a déjà quelques années, réédité aujourd’hui par les éditions Au vent des îles, pour lui permettre de continuer à nous parler.

Un conte du bout du monde peut nous bouleverser et nous toucher à tout âge, car c’est aussi ça, l’universalité, même quand ses origines sont lointaines.

Et ce livre déploie devant nous des vagues importantes qui toucheront chaque coeur qui les lira : le courage, l’affirmation de soi tel qu’on est, poly-sensoriel et clairvoyant, la puissance de la féminité et l’importance des liens entre les génération et entre les éléments.

La Baleine tatouée est le livre néo-zélandais le plus traduit dans le monde car c’est un conte culte qui a permis à son auteur, Witi Ihimaera, d’asseoir sa renommée internationale.

Witi Ihimaera, un auteur majeur de la littérature post coloniale

Witi Ihimaeradont le nom véritable est Smiler, est né en 1944 à Gisborne, non loin de Whangara en Nouvelle-Zélande. Appartenant au clan Te Whanau A kai, il a passé son enfance à se nourrir des histoires liés à ses origines et ses ancêtres. D’abord journaliste, puis diplomate, il s’est mis, en parallèle, à imaginer des histoires liées à sa culture, pour le théâtre et pour le cinéma.

Considéré comme un auteur majeur de la littérature post coloniale, il accorde une importance très forte à la préservation de la langue et de la tradition. Ihimaera n’est pas purement māori et a dû apprendre la langue de ses ancêtres à l’université, car il a souffert d’avoir été totalement coupé de son patrimoine culturel d’origine lorsqu’il faisait ses études secondaires dans une école, pourtant essentiellement fréquentée par des Māori.

Il écrit pour différentes raisons : pour que la langue de ses ancêtres soit enfin portée au présent, enseignée, pour transmettre les traditions qui l’ont nourri, lui et pour son plaisir d’écrivain, aussi, et pour célébrer la culture maorie dans ce qu’elle a de plus majestueux porter sous nos yeux ravis la lecture de cette culture lointaine mais tellement palpable, intelligente, charnelle et lumineuse.

Partons en voyage avec un livre, porté par le vent des Îles !

Suivons la trace d’une héroïne et de beaux mammifères marins qui nous fascinent ? Car le titre du livre nous suggère qu’on va lire à propos d’une baleine. On voir et on lit La baleine tatouée, et on pense à Queequeg dans Moby Dick, cet homme, sa quête, son savoir indicible et palpable, ses tatouages.

On pense à tout ce qu’on a lu sur les baleines fascinantes et mythiques, De Paul Gadenne à Melville, Le sillage de la baleine de Coloane, Sepulveda et sa baleine blanche, Pourquoi le saut des baleines de Nicolas Cavaillès, Pinocchio n’est pas loin, le ventre de la baleine est réel, surtout dans les livres qui l’explorent, puisque son ventre et son cerveau sont liés, chez elle aussi.

Nous sommes des animaux terrestres, debout. Nous sommes des mammifères. Et il y a des mammifères marins qui ont toujours essayé de de communiquer avec nous, de quelque façon que ce soit et une fascination réciproque a parfois pu être nourrie. Donc nourrir l’imaginaire, donc la littérature..

La baleine est une bien belle et dense figure allégorique, quand l’écriture sait être simple et naturelle.

« Dans les eaux abyssales de l’océan Pacifique,

une baleine tatouée pleure l’homme qui la dompta

et la chevaucha jadis, son fidèle compagnon…« 

« La baleine tatouée  » : the Whale Rider, le chevaucheur ou la chevaucheuse de baleine ?

Le roman commence, et dès les premières lignes, les premiers mots nous portent vers l’origine des sens, de la lumière, de la beauté, de la vie :

Dans les temps anciens, dans les années qui nous ont précédés, la terre et la mer éprouvèrent un sentiment de grand vide et d’ardent désir. Les montagnes semblaient mener droit au paradis, et la forêt humide, verte et luxuriante ondoyait comme une cape multicolore. Les remous du vent et des nuages animaient les cieux iridescents, où se reflétait parfois le prisme d’un arc-en ciel ou d’une aurore australe. La mer chatoyante et moirée se fondait dans la voûte céleste C’était le puits du bout du monde ; quand vous le regardiez, vous aviez l’impression de voit les limites de l’infini.

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera

Le changement, l’événement, le renouveau, ce sont les baleines qui l’apportent. Le prologue dit dejà cela :

La nageoire caudale de la baleine caressa majestueusement les cieux.

Hui e, haumi, tāiki e

Ainsi soit fait.

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera

Un bien belle histoire se dédouble sous nos yeux : une baleine sacrée pleure celui qui la chevaucha pour devenir son ami et quelque part en Nouvelle-Zélande, une enfant naît, mais sa condition de fille l’écarte d’une grande destinée.

Parfois, les légendes se rejoignent, l’immémorial devient contemporain et les contes savent dire et voir que les destins sont liés, comme tatoués sur la peau de celui qui tâtonne pour rejoindre un destin.

Kahu peut-elle nourrir l’âme d’un chef ?

L’héroïne, Kahu, grandit dans une tribu māori de Nouvelle-Zélande. Sa naissance n’était peut-être pas souhaitée, car son genre féminin dérange. Pourtant, elle est éclairée, vive, pugnace et intuitive, très.

Sa mère meurt « trois mois après lui avoir donné la vie » et son frère décède brutalement à la naissance. Kahu est donc fille unique, par de frère aîné à qui le chef de tribu pourrait transmettre sa force, comme c’est la tradition. Son père est effondré. Son oncle narre son cheminement dans son iwi (clan) vers ce qu’elle est, sa recherche de l’identité qui lui est refusée mais qu’elle sent destinée.

Le mana, pour le peuple Māori est une force spirituelle, celle dont un chef a besoin pour s’assurer de l’unité de son peuple.

« Dans la coutume Māorie, le rôle de leader était héréditaire, et normalement, la concentration de mana tombait de fils aîné en fils aîné. Sauf que dans ce cas, l’aînée était une fille »

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera

Et le dilemme est là, divisant, tranchant : son arrière-grand-père Koro Apirana, chef de la tribu, descendant d’une famille de chefs, refuse qu’une femme puisse un jour lui succéder. Elle va chercher à attirer son attention, si ce n’est son affection.

Koro Apirana maintient au fil des ans qu’il n’a « rien à faire avec elle« . Pourtant, elle ne cesse de démontrer son amour et son respect pour son grand-père. Mais il ne veux pas voir ni entendre ni comprendre sa soif d’apprendre les codes et les pratiques ancestrales.

Une destinée liée à celle des baleines

Kahu est une fille éveillée, hyper consciente, intrépide, courageuse et volontaire. Mais, en plus, elle a une étrange capacité à entendre et comprendre les baleines. Les baleines qui fascinent, émerveillent par leur grandeur, leur douceur, quasiment divinisées. Et les baleines sauront peut-être l’accompagner vers la réalisation de son destin.

« Parlez aux baleines.

Elles comprennent.

Elles comprennent »

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera

Ce livre est une légende familiale, animale, contemporaine, captivante et pleine d’humour, un choeur de voix qui nous amène à saisir et sentir ce qu’un iwi (clan) vit, ses traditions et le temps qu’il affronte, l’ironie que tous sentent malgré tout, l’esprit partagé pour s’en sortir, la nuance dure qui est imposée.

Un défi sociétal, culturel, tribal, insulaire, post-colonialiste et océanien.

La culture māorie trop méconnue et à porter vers le monde, ce que font les éditions « Le Vent des Îles »

Car c’est une culture forte que porte ce conte. Très. Une culture à conter pour la préserver, aussi.

« Et nous serons-nous prêts ? demandait-il. Notre peuple sera-t-il préparé à relever les nouveaux défis et à s’adapter aux nouvelles technologies ? Et dans quelle mesure restera-t-il mãori ? »
« Ainsi soit fait. »

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera

Ce livre porte aussi la langue māori encore trop méconnue. Et il conte appuyé sur lune histoire poignante, viscéralement émouvante, prenante : une défense des traditions à préserver mais aussi un discours pour l’égalité des hommes et des femmes, et plus généralement sur la capacité de vivre ensemble, avec un regard nouveau.

Un livre qui se lit à voix basse et haute, qui se scande pour s’affirmer, comme les vagues sur une peau qu’elles vont marquer, avec un vent nouveau chargé d’embruns révélateurs.

Une fable spirituelle, mystique et mythique, ancestrale et poétique qui fait se croiser les temps, les genres, les certitudes, les désirs, les âges et les ondes, comme un ballet de baleines et leur chant.

Et, au final, on referme le livre, impressionné par la beauté des phrases lus, des mots découverts, aussi, grâce à la traductrice, avec le sentiment d’avoir lu une forme de déclaration d’amour aux baleines.

« La baleine est un signe, reprit-il.
-C’était elle, elle était la chevaucheuse de baleine. »

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera

Un récit initiatique et traditionnel, un conte maori revisité

Une histoire dense qui entremêle savamment sentiments, sensations et vérités. Les paysages sont d’une beauté évidente quasiment sensorielle, les descriptions sont des tableaux naïfs et pointillistes à la fois. Les émotions suggérées par le récit laissent au lecteur un espace pour penser, ressentir, interpréter, comme seuls les contes savent parfois le faire.

Un récit bref mais poignant, une double quête : une bête légendaire veut retrouver son maître, et une petite fille souhaite toucher, émouvoir, être acceptée par son aïeul, chef māori figé dans ses croyances traditionnelles, qui repousse obstinément l’amour que lui porte l’enfant et qui refuse de voir l’évidence. Mais la volonté de l’enfant aura peut-être raison.

Tout se côtoie dans ce livre, croyances et instinct, courage et magie, naturel et surnaturel, rappelant qu’il existait un temps où, avant qu’il ne détruise la nature, l’humain vivait en étroite communion avec les mondes. Cette communion laisse rêveur, aujourd’hui. Alors, lisons ?

« La baleine tatouée », de Witi Ihimaera, traduit par Mireille Vignol, Éditions Le Vent des Îles, 168 pages, mars 2022.

Un classique de la littérature maorie devenu un classique du cinéma : Paï, l’élue d’un peuple nouveau, une adaptation réalisée par Niki Caro et désormais distinguée dans de nombreux festivals.

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