Malataverne, ça vous dit quelque chose ? Ça vous évoque un roman de Clavel, sans doute son plus connu, publié dans les années 60 ?
Un roman qui a connu un succès considérable et qui montre trois adolescents face à la violence et de ses conséquences, même si cette violence n’est a priori ni voulue ni préméditée ?
La jeunesse hasardeuse dans un milieu rural, l’entraînement à son corps défendant dans un engrenage involontaire et tragique ? Et face à « Retour à Malataverne », vous vous demandez si vous ne seriez pas en possession d’un roman publié à titre posthume du talentueux Bernard Clavel ?
Alors en fait, oui, et non, pas vraiment. Parce que ce n’est pas Bernard Clavel qui l’a écrit, mais Pierre Léauté, ce n’est pas édité par Robert Laffont mais par les éditions Mnémos et le Label Mu, et c’est une sorte de suite, de prolongement indépendant et un hommage, des années après.
Sous un soleil de plomb, Robert Paillot, le revenant
Nous retrouvons Robert Paillot, l’un des héros du Malataverne originel, seize ans après son incarcération. Nous sommes donc dans les années 70. Il sort de prison, la prison où il avait été incarcéré à la fin de Malataverne, pour homicide involontaire.
« Son baluchon jeté en travers du dos, Robert haussa le nez vers le ciel tempétueux. (…)
Personne ne l’attendait. Il se trouve bien bête d’avoir cru à un comité d’accueil. A peine dehors que son front suait à grosses gouttes. »
« Retour à Malataverne », de Pierre Léauté
Nous allons avec lui retrouver un village des monts du Lyonnais, Sainte-Luce. Il a été libéré pour bonne conduite, mais a vu sa jeunesse broyée par l’emprisonnement depuis ses 15 ans. Il a la trentaine, maintenant et il revient dans son village natal.
Les années de prison ont marqué les esprits et baissé le rideau sur toute espérance d’une vie réussie pour Robert : son désir de revenir, de faire table rase de la prison et de retrouver une vie normale est très rapidement refroidi. Il n’est pas accueilli comme il aurait peut-être pu l’espérer : le village n’a pas oublié le meurtre qui a envoyé l’adolescent en prison, et, sous le soleil brûlant de cet été 76, les souvenirs émergent, empreint d’un parfum âcre de méfiance et de ressentiment.
Son père l’accueille sans paroles, muré dans un mutisme qui aurait séché. Même s’il semble décidé à faire profil bas, il devra sans doute reconnaître ses erreurs passées. Tout comme ceux que le drame a touchés, directement ou indirectement.
Robert essaie de retrouver ses marques dans un village qui a l’air de ne plus vouloir de lui.
C’est l’été, la canicule : la poisse est poisseuse, étouffante. Il y a du Claude Sautet, Un mauvais fils, mâtiné de L’été en pente douce, de Pierre Pelot ou de L’Été meurtrier de Sébastien Japrisot.
Il y a de la violence et du silence, sous un soleil de plomb. Et le désir de savoir, pourtant, s’insinue dans tous les interstices. Les temps qui a passé a-t-il lavé le sol du meurtre qu’il a subi ?
Malataverne a changé avec le temps qui a passé ?
« Mille fois, enfant, il avait parcouru cette route de campagne. Les années passées semblaient n’avoir apposé aucune marque sur les alentours. Toujours éboulée, la grange de l’oncle Matthieu offrait l’abri aux passereaux nichés dans les interstices entre le bois et la pierre. L’un des hoche-queues, peu farouche, sautilla même non loin de lui. En quête d’insectes, l’oiseau traversa le chemin, puis voleta jusqu’à un ruisselet devenu aride. »
« Retour à Malataverne », de Pierre Léauté
Les trente glorieuse ont perdu lumière et espoir, la crise économique et chômage ont fait leur chemin. Alors, le village que retrouve Robert n’a plus grand chose en commun avec celui qu’il avait laissé au moment de son incarcération. Et face au présent, il doit faire face, « bricoler, rafistoler. Surtout le pas se torturer l’esprit. »
Après le silence qui accueille son retour, Robert regarde peu à peu le feu des colères et leur tumulte renaître dans les yeux. Les flammes semblent vouloir se raviver, la flamme de l’amour qu’on croyait éteint, la flamme de la violence des secrets enfouis aux retombées dévastatrices quand ils retrouvent le jour.
Pour la justice, Robert a payé sa dette puisqu’il a purgé sa peine. Mais dans la réalité, rurale, de surcroît, les choses sont plus complexes.
Car Robert ne pourra jamais faire oublier qu’il est, pour Sainte-Luce, le meurtrier de Serge, son ami défunt.
Même s’il s’agit d’un crime, pardon homicide involontaire selon la justice, commis pour en contrecarrer un autre, c’est pour Sainte-Luce un meurtre qui vient renforcer la réputation de masure maudite qui a imprégné les murs de Malataverne.
À quelle température se consume la haine ?
Robert porte sur lui, voire en lui, un passé tragique, même s’il est peut-être un innocent accusé à tort. De la prison, il garde un tatouage dans l’âme et sur la peau : « Un couteau dont la lame versait une larme ».
Robert a 32 ans, mais il n’a rien. Rien vécu, rien hérité du temps ou de sa vie, il ne possède rien, sinon des regrets. Et pourtant il revient sur les terres où il a commis un crime, à 15 ans. Il y a de l’ubuesque résolu dans ce roman, du fléau combattu, colère et sècheresse. La suite, il l’ignore, mais il est revenu sur sa terre natale, il va donc devoir affronter ce qui se présentera à lui.
« Le pays se drapait tant dans le blotti de superstitions séculaires qu’il était impossible de déceler la vérité du racontar. Ainsi en allait-il de Malataverne. »
« Retour à Malataverne », de Pierre Léauté
Ce qu’il ignore, de surcroît, c’est qu’il est devenu propriétaire du domaine de Malataverne, lieu du drame qui avait impliqué son enfermement de plus de 15 ans en prison : en effet, le curé du village s’était porté acquéreur de la maison et, juste avant de mourir, la lui a léguée.
Le passé ressurgit et entraînera la suite. Il se peut donc que cela réanime les vieilles blessures et les rancoeurs restées enfouies durant plus de quinze ans. La tension, l’orage grondent, menaçants et lugubres.
« Rumeur s’acharnait, inventait quand la platitude de la réalité n’offrait que peu de fantasmes à croquer sous la dent. »
« Retour à Malataverne », de Pierre Léauté
Est-ce que revoir Gilberte, « Ce corps musculeux, ces cheveux gorgés d’eau », cette femme aimée, mariée aujourd’hui à un homme qui la bat et devenue mère, sa sirène, son amoureuse d’avant et de toujours suffira a endormir la violence tacite qui accourt ?
Une suite, un hommage détourné, une tragédie revisitée ?
Les personnages créés par Bernard Clavel sont toujours là, dans ce roman. l’ambiance, aussi. Et on lit une suite, même indépendante de la réflexion sur la violence et l’usage qu’on en fait.
Dans ce roman, il est aussi difficile de se réinsérer dans la société que dans la réalité : la délicate question du droit à l’oubli lorsqu’une peine a été purgée se pose dedvant nous et sera délayée.
Retour à Malataverne garde la noirceur du Malataverne originel et continue de colmater les brèches, de masquer les failles, gratter ce qui a séché là où pourtant ça fait encore mal, dans ces moments où la violence et la bêtise ne peuvent que se mélanger là où le bestial devient survie, là où l’homme devient glauque, égoïste et incapable de pardon.
Pierre Léauté étoffe, épaissir, densifie le récit initial et les personnages. Voilà les êtres liés dans un pacte de violence voire de sang que n’aurait sans doute pas renié Bernard Claver. Le terroir et l’inconscient savent lire entre les lignes du temps, aussi. .
Les villageois dépeints dans cette réminiscence romanesque ravivée sont aussi noirs, que sous la plume de bernard Clavel, voire pire : au fil des pages ils semblent se muer en possibles bêtes sauvages, en tout cas cruelles, opressantes et menaçantes.
On est flétri, glacé par le ce jeu entre les hommes, le temps, leurs peurs et leur environnement . Mais il y a Gilberte, la délicate Gilberte. Das la vie de Robert, un peu de beauté et de chaleur humaine durable s’instille comme quelques grammes de lumière dans un monde gagné par l’obscurité.
Des nuances manichéennes et brutes, un récit fascinant, le roman d’un salut
« Retour à Malataverne » un bel hommage à « Malataverne », toute ironie mise à part ! Et toute l’indépendance fait qu’on n’a pas besoin de lire l’un pour comprendre l’autre.
Le texte est majestueux, esthétique, et empli de sournois, de violent mais aussi de lumière, de poésie, comme tout roman dit « de terroir ». Il y a aussi un peu Giono, dans les coins, et Bernard Clavel plane au dessus de cet hommage, on le devine reconnaissant, par ailleurs.
L’intrigue est sombre, noueuse, tendue, forte avec son lot de sentiments, d’ombres, de révélations, et de rebondissements qui emportent et font que le roman ne se lâche plus.
Les questions s’amoncèlent, le réel ne dit pas tout et puis reste en surface, et tout s’interroge : la justice, le temps, l’oubli, l’indicible, le pardon, la vengeance, la relation père-fils et ce qui en reste après des lustres de prison.
On se demande aussi, bien sûr, si malgré tout cela un amour peut avoir survécu, au temps et à la cruauté autour de lui.
Un roman qui happe, macère, séduit, remue. Observer une sortie de la torpeur et de l’ombre emporte.
« Retour à Malataverne », de Pierre Léauté , éditions Mnémos, Label Mu, parution le 21 janvier 2022.