Envie de lire un livre étonnant, plein de talent, éclairant, surprenant, instructif, intuitif, sensible et riche d’humanité ? De comprendre, expliquer, rencontrer, ressentir et sentir des frissons de tendresse, d’apprentissage, ceux de la vie ? Oui ? Alors, alors…

« Sortir au jour » est le livre qu’il vous faut !

Une superbe couverture, comme les éditions majeures La Contre-allée nous en offrent souvent. Un titre attirant, expliqué dans le livre : « Sortir au jour » est la traduction littérale du titre du Livre des morts des anciens Egyptiens. Une histoire de rencontre, de sagesse et d’apaisement. Une curiosité titillée, une envie de savoir justement faire la part des choses sur la vie, la mort, les sens à mettre derrière tout ça, et ainsi, en lisant, connaître un métier qui nous lie, tous, mais ici présenté sous un regard multiple et peu ordinaire.

Quand on a adoré lire « La femme brouillon » et « À mains nues » on ne peut résister à cette envie de lire « Sortir au jour » !

« Sortir au jour » est un livre étonnant qui aborde sincèrement, intimement un thème souvent évité sous cette forme. La mort est censée être triste, tragique, indicible, une perte infinie… Mais « Sortir au jour » nous montre aussi, surtout, combien la mort est un thème qui nous lie.

Les pages sont une rencontre, un dialogue pour rendre l’inévitable acceptable, pour accepter le cours du temps même quand il se brouille, pour ouvrir les portes, aussi, comme une quête de sens collectif.

Chaque chapitre est un prisme, un regard pour penser la mort sous un angle particulier. La narratrice pense la mort comme chacun de nous : faisant face à des questions de ses enfants, se souvenant des êtres chers qu’elle a perdus, assumant le mot « cancer » quand son père lui annonce le sien et les questions que cela soulève, les tentatives de réponses précises, pour se rassurer. La thanatopractrice, elle, regarde la mort car elle en fait « le soin », juste après, sur le corps, pour son dernier voyage? Et elle le raconte avec une tendresse étonnamment rassurante, un professionnalisme au mot choisi pour rassurer, ce « soin ».

Une occasion de réfléchir à nos angoisses, notre désir de transmission, de nourrir la paix intérieure et de nuancer notre cheminement vis à vis de la mort, une manière peut-être d’avoir moins ou différemment peur, liant l’intime au politique, en questionnant tout ce qui tourne autour de la mort, donc de la vie.

Le point de départ : une rencontre avec un métier qu’on ne connaissait pas

À l’origine de Sortir au jour il y a cette rencontre dans une librairie entre l’autrice et Gabrielle…

Un homme a un jour abordé l’autrice, à l’issue d’une rencontre suivie d’une dédicace autour de quelques verres, en librairie, pour lui parler de son intérêt pour la rencontre, pour son travail, et il conclut par ce qu’il avait envie de lui dire, surtout : « il déteste le mot autrice« . Pas facile de répondre à ça, il faut bien l’avouer, difficile de comprendre le besoin de venir dire avec véhémence à une autrice qu’on n’aime pas le mot utilisé pour la désigner.

Par solidarité chacune des femmes présentes s’étonne qu’on ne leur ait pas reproché d’être pour l’une institutrice, ou pour l’autre animatrice, voire thanatopractrice. Ni même narratrice, se dit-on, quand on est lectrice. Voilà, Gabriele est là, une rencontre, la rencontre.

« C’est la première fois que je rencontre une thanatopractrice et je prends la mesure des clichés que je nourrissais jusque ici. Forcément, pour un métier pareil, j’imaginais une personne jaunâtre et grisonnante et pas cette jolie jeune femme qui sourit avec malice. La soirée se termine et, je ne sais pas bien pourquoi, je lui demande son contact, si elle est d’accord. »

« Sortir au jour », d’Amandine Dhée

Un « Vis ma vie  » de thanatopractrice ?

Car suite à cette rencontre, de nombreux échanges s’ensuivent, comme un dialogue intime, entrecoupé par des extraits du verbatim d’une émission : « Vis ma vie de thanatopracteur », véridiquement retranscrits avec l’autorisation des producteurs de l’émission, et ces échanges permettront à Amandine Dhée d’ enfin écrire « un livre réconfortant sur la mort ».

Evoquer la thanatopraxie via le parcours de Gabriele, sa reconversion, les évolutions du métier, permet aussi d’éclairer et clarifier les préjugés et clichés qui entourent cette profession. Une profession dont on ignore peut-être l’importante nécessité, jusqu’à ce qu’on saisisse grâce à Amandine Dhée l’attention et les soins que Gabriele porte vers les corps dont elle s’occupe.

« Gabriele dénoue les traits des visages défunts, ferme les yeux, fait se joindre des mains. Elle met en scène une fin paisible, elle oppose un récit au chaos. C’est bien que la personne ait l’air endormie plutôt que décédée. Ce n’est pas un mensonge puisque tout le monde veut y croire.

Parce qu’on en a besoin, parce qu’on a peur. Personne n’est dupe, mais on joue le jeu. J’apprends que la chambre mortuaire s’appelle un amphithéâtre. Le temps d’une veillée, nous lier avec ce récit. »

On ressent une fusion qui s’opère entre Amandine et Gabriele. On lit page après page une ode à ces vies qui s’imbriquent, s’échangent, amènent vers une acceptation de la mort comme un soin nécessaire, via un métier qui protège et qui permet de la dompter, la mort. Donc la vie.

Quel est cet étrange métier et pourquoi est-il aussi fascinant et réconfortant ?

Une thanatopractrice, ce n’est pas un croque-mort, mais c’est celle qui apporte des soins au corps, qui, par ces soins, brise les tabous, rend un décès compréhensible, amorce le chemin du deuil en se sentant compris, ayant eu le droit d’en parler.

Une thanatopractrice redonne aux défunts une apparence d’être vivant, maquillage, cheveux soignés, les habits choisis, pour imprimer une image de souvenir, et pour un éventuel au-delà. Un métier qui permet à ceux qui doivent affronter la perte d’un être.

Un métier dont on préfère parfois ne pas entendre parler, ou qu’on aime rabaisser… «Parfois, les gens insistent, mais pourquoi tu fais ça ? Sous-entendu : c’est quoi ton problème ?» Un métier qui est pourtant nécessaire, utile, et qui s’est présenté à Gabriele comme une vocation.

« Mon orientation professionnelle a toujours été un dilemne.

Ça veut dire quoi, travailler ? Faire un métier par passion quitte à galérer ? ¨Penser avant tout à paye ses factures et s’éclater sur son temps libre ? (…) C’est le mari d’une copine qui m’a parlé du métier de thanatopractrice. Cela a tout de suite résonné en moi. Je ne sais pas ce qui m’a attirée, exactement. Le fait d’approcher les morts ? La transgression ? Adolescente, j’ai lu tous les romans de Patricia Cornwell. J’aimais m’imaginer, comme son héroïne Kay Scarpetta, après une longue journée de travail, enlever mes bottes, prendre une bonne douche chaude et boire une tasse de thé anglais. (..)

J’ai décidé de passer le concours de thanatopraxis.

Je me souviens de mon examen final. J’appréhendais beaucoup. Les corps dont j’ai dû prendre soin était celui d’une vieille dame presque centenaire. Cela s’est très bien passé, je la remercie. »

« Sortir au jour », d’Amandine Dhée

Grâce à Amandine, c’est aussi à nous que Gabriele parle des relations avec les familles des défunts, de son écoute et de son application méticuleuse à la justesse de ses gestes. Elle analyse avec justesse l’évolution, les rituels et protocoles, tout comme les changements de mentalité, d’attitudes face aux décès, aussi.

Et grâce à Gabriele, on sait nous aussi, on comprend. Un métier qu’on ne savait pas avoir besoin de comprendre pour apaiser nos angoisses de la mort. Magie de ce livre. Du hasard. Avancée personnelle vers l’universel. Une rencontre, vraiment.

« Le métier de Gabrielle, c’est d’être là quand la catastrophe a eu lieu. Elle travaille avec les morts. À cet endroit que je fuis. Elle et moi nous sommes rencontrées par hasard. J’ai entendu son rire, j’ai vu ses yeux briller. Alors j’ai dit : j’aimerais que tu me parles. »

« Sortir au jour », d’Amandine Dhée

Une rencontre qui soignera l’autrice, un réel en parallèle

« Sortir au jour » a été écrit au coeur du confinement qui a amené certains d’entre nous à interroger le sens de la vie. Un enfermement, une mise à nu de soi, aussi, de sa vie, et de sa fragilité mentale. Elle en parle sans masque et avec humour, aussi.

Ce soir , le président de la République nous pousse à l’intérieur de nos maisons et nous ordonne d’y rester. Il nous invite même à lire, c’est dire si la situation est grave. « 

« Sortir au jour », d’Amandine Dhée

Les pages sur ce confinement sont fascinantes et apaisantes, tout en expliquant ce par quoi Amandine Dhée est passée, comme nous tous. Car à cette période, tout a été bousculé. Nos peurs, nos croyances, certitudes, nos arrogances, nos vulnérabilités, nos apprentissages encore nécessaire et nos cloisonnements de pensées, aussi. Et l’annonce quotidienne d’un nombre de morts dues à la pandémie.

« Les brides d’information attrapés ici ou là, la radio qu’on écoute trop et dont on ne baisse pas le volume assez vite. On reçoit des chiffres, on cherche des clés. Digérer les morts, résister à la bêtise. »

« Sortir au jour », d’Amandine Dhée

Les soins, pendant cette période, n’ont pas forcément pu être mis en place dès le début de la crise sanitaire. On repense à tout ça le coeur serré. Et ce livre rassure, fait se sentir lié. On apprend, au passage, que les séropositifs n’ont pas eu le droit aux « soins funéraires », jusqu’à récemment. On apprend que « les soins à domicile » sont de plus en plus difficiles à pratiques, les protocoles s’étant durcis. Les mentalités et le rapport aux défunts aussi. On réfléchit. On sent grâce à « Sortir au jour » que l’histoire que le livre arpente est ce qui nous lie tous, au final.

« Sortir au jour », un livre plein de vie pour dompter la peur

On arpente les pensées de l’autrice, on détaille, analyse et apaise les peurs. et on arrive enfin à se dire qu’il faut en parler, c’est ce que ce livre fait, aussi. Sortir du non-dit, du tabou, du secret, de la peur. Car la mort « c’est encore plus effrayant quand on n’en parle pas.»

« Est-ce que je vais mourir, moi aussi ? J’ai répondu oui d’une voix tranquille. le cycle de la vie, tout ça . Humains, lapins nains et requins blancs : on est tous logés à la même enseigne. »

« J’ai réalisé que j’avais complètement merdé. J’aurais dû lui dire, que, avant de mourir, une longue vie l’attendait. »

« Avec les amies intimes, on parle encore beaucoup de sexe, mais aussi de mort. Rien de glauque là dedans, j’y vois plutôt une forme de sagesse.»

« Sortir au jour », d’Amandine Dhée

Tout se croise dans ce livre, pour accompagner les questions auxquelles Amandine Dhée répond grâce à Gabriele, ses pensées et tout ce qu’elle puise dans son quotidien, dans sa vie de mère, de femme, ses étreintes, ses peurs et ses disparus, la maladie, la peur, la vieillesse, les religions anciennes, Anubis, Eros et Thanatos.

Et on croise aussi France Gall pour un hommage tendre et vibrant et un « Dolto sors de ce corps » qui nous fait sourire malgré tout.

Une incroyable connexion entre deux femmes, l’une accompagnant l’autre, sur un chemin de sagesse comme de traverse, sur un chemin de vie. Un livre qui fait se sentir « nous » et heureu.x.se d’apprendre de l’autre.

Un conseil ? Lire ce livre sans se demander pourquoi ni à quoi il ressemble, car il ne ressemble à aucune autre, lire « Sortir au jour » pour s’éclairer soi même sur le sens de toute vie, liée à la mort, l’un n’allant pas sans l’autre, il s’agit de le savoir pour l’accepter.

Un prodigieux et pourtant simple chant étincelant de philosophie existentielle,

« Sortir au jour », Amandine Dhée, Éditions La Contre-Allée, sorti le 13 janvier

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