L’histoire d’un geste malencontreux, un deuxième roman autobiographique drôle et narquois sur le rapport à la violence.

Dalie Farah est née en Auvergne, à Clermont-Ferrand, et y a grandi. Agrégée de lettres, elle enseigne au lycée et en classes préparatoires.

Le doigt, (Grasset, 2021), c’est un deuxième roman. Le premier était Impasse Verlaine (Grasset, 2019).

Impasse Verlaine, son premier livre, autobiographique, raconte son enfance à Clermont-Ferrand. Poignant, vivifiant, incisif. Couronné par plusieurs prix, il a été son entrée en littérature, la littérature qu’elle aime tant et qui l’a sauvée de la brutalité en l’emmenant jusqu’à l’agrégation.

Le doigt s’inscrit dans le prolongement du premier roman, poursuit et approfondit, avec un regard impitoyable, mais aussi beaucoup d’humour, la fiction personnalisée et l’auto-analyse entamée avec Impasse Verlaine. Ce deuxième roman a vu le jour après que l’agrégée est devenue professeure à Thiers, à 50 km à l’est de la préfecture du Puy de Dôme et a dû affronter d’autres violences.

Enquêter sur soi et pour un geste

Un réalisme sensible, entre justesse et humour. Émouvant, étonnant, percutant. Un roman empreint de rage mais dans lequel l’autodérision n’est jamais absente. Un style très vif et très drôle.

Une histoire banale et malencontreuse… Un matin pluvieux, très tôt, il fait encore nuit devant un lycée auvergnat. Dans une doudoune pour se protéger du froid, une professeure se passe et se repasse le plan de son cours de philo, et traverse la rue en dehors des passages piétons. Un klaxon la surprend, elle ne se retourne pas, fait un doigt d’honneur. La voiture se gare, un homme en sort précipitamment, hurle, la défie : « Recommence ! » Face à lui, nouveau doigt d’honneur. Il la gifle.

Des liens complexes et entremêlés

Cette quadragénaire est une prof de lettres qui a beaucoup donné pour ses élèves, surtout ceux issus, comme elle, d’un milieu populaire. Ces quelques minutes devant le lycée réveillent en elle les souvenirs d’autres coups reçus. La gendarmerie convoquera les deux protagonistes du minuscule fait divers, mais la réelle enquête à son sujet, c’est l’agressée qui va la mener. Elle s’interroge : quels sont ses liens complexes et intimes avec le statut de « victime » ? Pourquoi et comment fonctionne la soumission qui lui est imposée de partout autour d’elle, de l’éducation nationale aux rapports avec les élèves ? Qui voulait-elle défier avec ce doigt ?

Le geste devient donc un geste littéraire à analyser.

Comprendre pour avancer

Dans ce livre, nous remontons avec elle jusqu’à son enfance, jusqu’à la brutalité subie de la part de ses parents puis dans sa vie d’adulte en tant que femme arabe agrégée.

« Tu as été éduquée ainsi, t’en as pris des coups, c’est comme ça qu’on t’a aimée… C’est comme ça que tu as été fabriquée. »

« Tu es une sauvage bien élevée. »

« Quand tu cherches, tu gagnes. Quand on te trouve, tu perds. »

« Elle est un chef-d’œuvre de la République, jusqu’à ce que le chef-d’œuvre républicain ait un énorme bleu au cul. »

« Elle a préféré le coup, le risque du coup, plutôt que la certitude de la lâcheté. »

Le doigt, Dalie Farah

Ce livre bouscule par son style, écriture au scalpel qui claque comme une gifle. Ses mots sont ventraux, instinctifs parfois crus, quand elle ne l’est pas, crue, même par elle-même, mais toujours justes, les mots… Nul besoin d’arrondir les angles quand ils nous ont blessé…

Pourquoi la violence encore et en corps ?

La violence qu’on subit, celle qu’on exerce, celle qu’on désire, celle qui arrive inévitablement, quand on est femme, quand on est d’origine algérienne, quand on est prof.

Battue dans son enfance, devenue adulte elle a été frappée par un de ses élèves et plus tard insultée par un autre. Pourquoi ? Quel lien existe-t-il entre son corps et la brutalité ? Ce roman est une enquête sur deux minutes qui brisent sa vie.  

Une envie de montrer qu’elle n’a pas peur en découle, mais par quel bout prendre cette démonstration ? Elle est professeure de lettres… Disséquer méthodiquement les trames de la violence individuelle et collective ? Explorer le fonctionnement du dysfonctionnement social ?

« On ressemble à quoi, à 44 ans, couchée sur le ventre, et un chemisier à fleurs et les cheveux bouclés en bataille et la morve, professeure agrégée de littérature, elle espère qu’elle est pitoyable. »

Le doigt, Dalie Farah

Comédie ou ironie ?

Parmi les profs, l’événement perturbe. Dans la salle des profs, les questions fusent, les doutes et l’ironie, aussi…

« – Jonas a eu son bac. Il va peut-être avoir une alternance. Un apprentissage à Volvic.

– C’est bien.

Oui, ça lui fera des sous.

À peine un Smic.

– Un doigt d’honneur.

– Comment ça ?

– Le Smic c’est le doigt d’honneur aux travailleurs. (…)

– Ça recommence ce délire avec ce doigt. »

Le doigt, Dalie Farah

« – Le niveau baisse. Le chauffage, aussi. »

Le doigt, Dalie Farah

Ce doigt, cet événement finit par déclencher une comédie sociale, une comédie des supérieurs, des médecins et de la justice qui sans cesse minimisent la violence subie par la victime.

Au final, la question reste en suspens : à qui s’adressait ce doigt d’honneur et pourquoi en a-t-elle pris le risque ?

Qui est coupable de la gifle ?

« …elle a préféré le coup, le risque du coup, plutôt que la certitude de la lâcheté. »

Le doigt, Dalie Farah
Portrait de l’auteure par la chroniqueuse

Hors les murs, hors du livre, c’est encore l’auteure qui en parle le mieux…

 « Le Doigt tente aussi une approche féministe (…) La question de la restauration de la victime par elle-même sans dépendance affective avec l’agresseur et la réappropriation de son histoire par la puissance vitale ».  

Dalie Farah lors d’une interview

« Parler, avouer est une étape, mais l’émotion est insuffisante pour une réelle émancipation, la littérature est un lieu de pensée, créateur et libérateur.

« Je veux la littérature parce que je l’aime, alors il me faut lever ce doigt non pour l’honneur mais pour la dignité à être. »

Dalie Farah sur son blog http://plumesdailesetmauvaisesgraines.fr/

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