Frédéric Ploussard a commis un bien drôle roman. Son titre est Mobylette, ça carbure au mélange et ça pétarade, comme seule une grande brêle de campagne pourrait le faire ! Et pour un premier roman, on peut dire qu’il démarre sur les chapeaux de roue !

SPOILER ALERT : ceci est un livre étonnant, certes, mais plein de taches !

De l’huile, de la grasse, de la suie! Nous sommes en plein « Texas lorrain », le nez dans la la « terre grasse » ! Et ce roman décape, pourtant.

Il file, aussi, à 100 à l’heure ! Et pour un 103, 100 à l’heure ça farte ! Alors accrochez-vous !

Car ce roman est déjanté et drôle, même si cruel, parfois, l’humour n’est pas toujours rose et on l’aime aussi pour ça !

On y suit Dominique, un Monty Python à la française. Et on le voit se débattre, envers et contre tout, pour le cap de sa mission, mais laquelle : sa vie, sa famille, son métier, son sens de l’ironie ?

Le portrait décapant d’un trentenaire à la dérive, dans un univers qui ne l’est pas moins

Dominique est un homme trop grand, « un mec au-delà », qui aurait dû s’appeler Laurent mais finalement non. Il vit là où il est né : Clinquey.

Cette commune est romanesque et fictionnelle. Hasard, elle ressemble comme deux gouttes d’eau à une commune existante de Meurthe-et-Moselle, Briey. Pour information : Michel Platini y a fréquenté le collège de l’Assomption, et la ville a par ailleurs vu naître Francis Heaulme et une improbable Cité radieuse de Le Corbusier dans la forêt d’à côté. Le décor est sauvagement planté, non ?

En contrebas du plateau que nous traversons, à une vingtaine de kilomètres vers l’ouest, se trouve une bourgade du nom de Clinquey. Ancienne place forte construite à la sortie d’une vallée encaissée et autoproclamée capitale du Texas lorrain à l’époque du Texas lorrain. Pendant des décennies, le village avait connu la prospérité grâce à la sidérurgie qui s’était développée alentour, avant que cette dernière ne décline et ne renvoie toute son humanité à la maison ou au bistrot. La suie retombe sur les hauts-fourneaux abandonnés. La pluie s’infiltre dans les anciennes galeries de mines. J’y suis né.

Je suis clinquin. Ma mère est clinquine. Mon père, c’est autre chose. 

Dominique est éducateur spécialisé dans les Vosges, au « foyer de la Dent du diable ». Sa vie est rythmée sans mesure : entre des ados marginalisés en grandes difficultés, une vie de jeune père non-épanouissante, une vie maritale inexistante et des parent désarmants dont il aurait rêvé de se détacher.

Une aventure à 103 à l’heure, désopilante, survoltée et hilarante, entre les Vosges et la Moselle

L’équilibre n’est pas évident à trouver dans ce monde brut de décoffrage.

À quinze ans, Dominique avait le rêve est d’avoir enfin un deux roues pétaradant pour promener son corps trop grand à travers la campagne vosgienne, perché sur un 103 Peugeot orange.

Il a fait beaucoup d’efforts pour l’avoir à Noël, surtout pour en finir avec la série des Noël pourris. Il y a cru, il a été très déçu. La déception est alors devenue une constante dans sa vie chaotique. La suite des événements en découlera.

« Mobylette » : un 103 SP pour un éduc spé ?

Ce roman se passe dans le monde en marge de l’aide sociale à l’enfance : Dominique est éducateur spécialisé dans un foyer pour mineurs en difficulté, ­laissés-pour-compte.

Il adore ces « galopins », ces cintrés, un peu, serait-on tentés d’ajouter, avec un sourire narquois, cintrés très appréciés et qui le lui rendent bien, le régalant de surprises quotidiennes 

Voici une liste échantillon des patients rencontrés, pour exemple du « déjanté » de ce roman : un jeune décapiteur fou d’animaux, une lanceuse de javelots ou d’incendies, des sœurs qui préparent un sale coup, une séance de ciné finira sans doute un pugilat par ci, par là.

Il y a beaucoup d’enfants ubuesques autour de Dominique, qui aime pourtant son métier. Pour les calmer, il n’hésite donc pas à s’assoir sur eux.

Ce qui était bon avec ces ados qui ne comprenaient jamais rien à rien, c’était que dans une situation avec un fusil, du feu, un râteau, de l’eau et Anthony, ils comprenaient.

C’était notre spécimen de la catégorie chasseur-cueilleur, ce garçon. (…) Il avait joué au foot pendant une semaine avec un chat mort avant d’être exclu du club de foot. (…) Il était le seul gosse que j’avais vu mordre un chien

Le psychiatre de secteur n’avait rencontré Cindy qu’une fois depuis son arrivée au foyer. Quatre minutes d’entretien, et il avait dû refaire son bureau suite au début d’incendie. De mémoire : « Cindy porte en elle les fulgurances annonciatrices des sombres lendemains qui lui semblent promis. » Ce n’était pas faux tant elle était prompte à passer de la plus complète apathie à la plus complète démence, mais de là à parler de « fulgurances »…

Tout au long de ce roman, on gravite avec quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux mais qui prend son métier à coeur ! Réellement.

C’est un altruiste, émouvant, et doté d’un sens de l’humour épatant ET décapant.

Méchanceté gratuite ? Peut-être, mais qu’est-ce qu’on se marre !

Mobylette creuse joyeusement la rigole, le chemin dans les fossés, la tombe d’une région qui n’en a guère besoin, à grands coups de pelle ironico-cyniques…

Quand on lit ce livre, on se demande si on lit la réalité ou si tout n’est pas un peu déformé par des acides qu’on aurait mis dans notre verre à l’insu de notre plein gré !

Ou des « champi » comme ceux que les parents de Dominique décident de glisser dans la paella de la fête communale qu’ils ont organisée. La drôlerie prend des airs démoniaques quand elle est aussi extrême. Et délicieuse, avouons-le !

Dernier avertissement 

Le pot d’échappement de « Mobylette » fume un peu et sent très fort la poisse. Une jolie poisse subie par Dominique, de laquelle rire est malgré tout agréable. Quelle poisse ?

Petite liste non exhaustive : une famille lorraine catapultante où l’on s’offre des cadenas et un fusil pour Noël, au lieu de la mobylette rêvée, où l’on n’aime pas quand l’enfant sait parler allemand, un enfant qui emmerde ses parents dès la naissance, trop grand pour l’utérus, et qui aurait dû s’appeler Laurent, parce que c’est plus facile à hurler !

Nous entrons dans ce roman dans un pays poissard et poisseux, et nous y promener nous fait réellement rire… Jaune, pas jaune ? Lisez, vous verrez et vous saurez !

L’homme à table est surnommé Molosse pour sa ressemblance avec un gros jambon à l’os. C’est le fils spirituel de mon père, même si spirituel ne convient pas vraiment à leur relation. 

(…)

Retour au pays des phrases baroques. Si mon père a déniché une sorte d’alter ego de la déconne pour se promener en forêt, il n’en montre rien. Nous sommes possiblement dans une situation où ça peut faire mal.
Ah non, mon père est présent.
Ah si, en fait, cette donnée n’est pas fiable.
« Matthias ! C’est toi, Matthias ? » poursuit l’homme en désignant mon ami du bout de son fusil.
Trois lettres tatouées sont visibles sur le dos de sa main : HIL. Matthias ne répond pas.
« Pourquoi t’es pas venu tout seul, trou du cul ? Bordel ! Je t’ai pas demandé d’emmener ta sœur ! » Tournant son fusil vers moi : « Salopard, mais t’es grand, toi ! La vache ! T’es qui ?
– Le conducteur. »
Il rote.

Mais qui est cet auteur étrange et pénétrant ?

Né en 1968, Frédéric Ploussard a longtemps exercé le métier d’éducateur spécialisé. Il vit aujourd’hui en Ardèche où il se consacre à l’écriture. 

Evidemment, comme Mobylette est son premier roman, on se demande si ce n’est pas un peu de sa vie à lui qu’il se moque, en la fictionnalisant discrètement et en y insérant un peu de La conjuration des imbéciles de Kennedy Toole , un larme du film Les Arcandiers, avec une pincée de Tristan Egolf et son Seigneur des Porcheries

Un premier roman percutant et réussi qui nous embarque sur une mobylette à pot boosté, comme Don Quichotte prendrait Sancho Pança sur son porte bagage et sans casque.

On part en Mobylette sur des chemins sinueux, à la rencontre de gosses paumés, de parents qui le sont tout autant, d’éducateurs qui sont loin d’être trouvés, d’un couple en berne, d’amis tous aussi déjantés et au milieu de tout ça, il y a un éducateur qui découvre le métier, la vie et tout l’art de l’ironie.

C’est bruyant, c’est pétaradant, c’est touchant, c’est déstabilisant, c’est cash et cru, c’est emportant, c’est triste parfois, surprenant, hilarant et surtout réaliste, si réaliste !

Que les trentenaires, comme le héros, mais aussi les tous-agénaires se tiennent à la selle ou au porte bagage, car vraiment ça décape !

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