« c’est comme une langue qui serait queer, en fait la poésie […] notre corps devient hors catégories »

Je profite de cette belle occasion qui m’est donnée par Cultures Sauvages, publier tous les mardis du mois de mai 2022 dans la section “un artiste, un univers”, pour développer une pensée sur les rapports qu’entretiennent l’écriture et le geste. Même si elle part d’une volonté d’auto-réflexivité, cette pensée sera poétique dans sa forme.

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En tant que poétesse, je pense poétiquement.

Cette action est le résultat direct de ce que c’est que d’habiter poétiquement le monde. D’abord, de vivre poétiquement dans le monde sans le faire exprès, d’avoir vécu ainsi, et puis, au fur et à mesure, de décider d’habiter ainsi le réel, consciemment. Du passif à l’actif,                   progressivement

Penser poétiquement, pourquoi, parce qu’on écrit poétiquement le monde. Pas en prose, pas en récit, pas autrement : du coup, on l’arpente ainsi comme on arpente la feuille avec son stylo. Je ne sais pas comment écrivent les romancières et les romanciers. Probablement pas comme les poètes et les poétesses. Je devrais leur demander. Je veux dire comment ielles écrivent physiquement, comment ielles posent le stylo sur la feuille ou la feuille sur le stylo, comment la parole se pose sur leurs documents word, comment les lettres se tapent.

Ici, j’interroge plutôt le geste de l’écriture lui-même.

Bien sûr cette manière de mettre en page poème, rempli de blancs, se retrouve dans le résultat final, dans le livre (BIZARRE, c’est le mot que les élèves me ressortent le plus souvent lorsque je fais de la médiation culturelle en milieu scolaire, c’est BIZARRE comment c’est écrit madame dans le livre !)

Oui la poésie c’est bizarre car la poésie c’est du désir. Incroyable, insatiable, irrémédiable. et notre désir est inépuisable parce qu’il est complexe, bizarre, incohérent

en tout cas le mien

la poésie,

ça fait changer de forme.

littéralement.

ça me fait changer de forme.

j’ai changé de forme depuis que je fais de la poésie. ou plus exactement depuis que j’ai choisi de dédier ma vie entière à cela. de lui dédier le plus clair de mon temps et de mes jours. mon corps a changé de forme, et donc, mes gestes aussi.

dans la vie quotidienne,

et lorsque je lis sur scène, lorsque je performe.

mes mouvements, associés à des mots poétiques lorsque je suis en situation de lecture-performance, vont être poétiques eux aussi. forcément. c’est là le sens premier de la performance : la parole y est performative.

mes mouvements qui performent vont être non linéaires, non domestiques et non domestiqués, aussi sincères que possibles. tout comme il y a du souffle dans la langue poétique, il y en a dans le geste poétique

le geste poétique n’est pas normé

on fait des choses BIZARRES, oui

changer de forme, donc. c’est hors norme, la poésie, hors catégories. profondément marginal. c’est comme une langue qui serait queer, en fait, la poésie. notre corps devient donc un peu hors catégories. qu’on le veuille ou non,

qu’on le veuille ou non.

 Performance autour de Ruralités, 25 janvier 2022, Le Grand Portique La Ciotat.
Crédit : Christiane Genteaume

Pour aller plus loin, découvrez la biographie de Hortense Raynal :

Hortense Raynal est performeuse, poétesse, comédienne et aveyronnaise. Elle publie son premier livre de poésie, Ruralités, en 2021. Elle a étudié la littérature, le théâtre et le cinéma à l’ENS Ulm de Paris. Elle se forme au théâtre physique, aux accointances avec la danse, en Feldenkreis, Body Mind Centering, Butô et clown. Elle réalise des performances partout en France, et diffuse sa poésie sur Spotify & YouTube
Sa poésie est organique, gestuelle. Elle explore autant dans son écriture le champ de la géopoésie et les thèmes de la mémoire paysanne que la posture punk et queer. Et ce, toujours avec un lien très physique aux syntagmes. Elle explore dans ses recherches performatives la saturation de la langue, sa matière physique, la générosité scénique, le lien public-poésie-poétesse, le lien geste et écriture, la présence de l’objet livre. Comment investir la poésie ?
Elle a publié dans de nombreuses revues : Teste, Point de Chute, Lichen, Fragile, Tract, Gustave, Terre à ciel, Meteor, Sabir… Elle a été poétesse résidente à La Factorie, à L’Usine Utopik, à La Maison de la Poésie d’Amay, à La Colle à Gréoux-les-Bains entre 2020 et 2022. En 2022, elle fonde Mater Atelier, qui tente de fédérer le matrimoine poétique contemporain.

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