C’est un livre qui ne vous attrape pas simplement le cœur mais aussi les jambes. C’est un texte qui est de l’ordre de l’effraction. L’effraction dans le réel, dans ce qu’il a de plus brut, de plus contrasté. C’est un livre qui est à mi-chemin entre les récits d’Emmanuel Carrère et certains films de Jacques Audiard avec ce sens du rythme et de la pulsation. Ne t’arrête pas de courir publié aux éditons de L’Iconoclaste est un récit de la pulsation cardiaque. A travers l’histoire de Toumany Coulibaly, cette double vie tendue entre la prison et le sport de haut niveau, Mathieu Palain fait le portait d’un être complexe et fragile. Ouvrez-donc les premières pages et sentez votre cœur de lecteur battre un peu plus fort : pour la force brute du récit, pour le rythme pulsé des phrases et pour cet art si singulier de raconter et d’écrire le vivant.

Crédit : Céline Nieszawer

1.Vos deux ouvrages publiés aux éditons de L’Iconoclaste, Sale Gosse et Ne t’arrête pas de courir, se répondent en de nombreux points, à commencer par la référence cinématographique au film de Gus Van Sant, Will Hunting. Dans votre premier livre, Sale Gosse, d’autres films avaient nourri son écriture comme Polisse et La Haine. Y en a -t-il eu d’autres pour Ne t’arrête pas de courir ?

Will Hunting est un film qui m’a marqué, c’est vrai, je le trouve très juste dans son approche de la délinquance, et d’une certaine manière, j’ai évolué dans ce face à face avec Toumany comme le fait le personnage de Robin Williams vis à vis de Matt Damon dans le film : il tente de comprendre l’incompréhensible, cherche les failles, les fractures.

Il faut qu’on sente une immersion dans un univers. Si ce n’est pas le cas à la lecture, c’est que c’est raté.

Pour autant, je ne me suis pas lancé dans l’écriture de ce livre en pensant à des films. Il n’y a pas d’inspiration cinématographique. Plutôt des liens de parenté avec des œuvres qui, par leur sujet, peuvent ressembler à ce qu’est devenu ce livre.

2.En quoi l’écriture cinématographique, par son art du montage et du découpage, influence-t-il votre manière d’écrire et de structurer le livre ?

Je ne pense pas que ce soit le montage qui m’influence particulièrement, mais plutôt l’œil de la caméra. Quand j’écris, je ne me dis pas : « il faut que ça ait l’air d’un plan séquence », ou je ne sais quelle autre réflexion de spécialiste. Je me dis : essayons de montrer les choses telles que je les ai vues. En pratique, ça implique, un peu comme un réalisateur qui filmerait caméra à l’épaule, de prêter mes yeux au lecteur, et de lui faire vivre ce que je vis, ce que je vois, ce que j’entends. En cela, il faut que ce soit imagé, visuel. Il faut qu’on sente une immersion dans un univers. Si ce n’est pas le cas à la lecture, c’est que c’est raté.

3.Dans le film La Haine, on entendait dès l’ouverture ces phrases : « Mais l’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage. C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : Jusqu’ici tout va bien ». En quoi cela est-il encore d’actualité avec la figure de Toumany Coulibaly ?

Cette phrase correspond tout à fait au parcours de Toumany avant son incarcération. Il y a une forme de fuite en avant. Les cambriolages se succèdent, les alarmes sonnent, tous les voyants se mettent au rouge, mais il continue, encore et encore, comme s’il savait intouchable, ou comme s’il ne pouvait pas faire autrement.

L’énigme initiale, celle qui m’a amené à m’intéresser à lui, elle tient là : pourquoi un mec touché par la grâce, membre de l’équipe de France d’athlétisme et champion de France du 400m, s’enlise à ce point dans la récidive ?  

4. Vous avez été journaliste pour la revue XXI., pour laquelle vous écriviez des reportages. Dans Ne t’arrête pas de courir, on croise une figure de grand reporter, Stéfan L’Hermitte du journal L’Equipe : « Si ce mot a encore un sens, Stéfan est un « grand reporter ». Il aime les aventuriers, les perdants magnifiques, les gueules cassées ».  Partagez-vous ce même amour pour ces figures de « perdants magnifiques » et de « gueules cassées » ?

Tout à fait. J’ai envoyé le livre à Stéfan, ce qui nous a donné l’occasion de parler de notre métier, et nous en sommes venus tous les deux au même constat : ce qui nous intéresse dans le journalisme, ce n’est pas de couvrir la conférence de presse d’Emmanuel Macron, ou de poursuivre Neymar dans les travées du parc des Princes pour lui arracher un commentaire d’après-match. Ce qu’on aime là-dedans, ce sont les histoires extraordinaires de gens ordinaires, des hommes et des femmes comme vous et moi, qui se retrouvent embarqués dans une aventure plus grande qu’eux-mêmes, qui sont dépassés par les événements, qui sont à la fois complexes et touchants, parfois salopards merveilleux, et souvent, héros malgré eux.

5. Dans Le Journaliste et l’Assassin, Janet Malcolm faisait la différence entre les personnages littéraires et les gens réels : « […] une des différences fondamentales entre les personnages littéraires et les gens de la vraie vie : les personnages littéraires sont davantage peints à grands traits, de manière beaucoup plus évidente ; ils sont bien plus simples, ce sont des créatures génériques (plus mythiques disait-on) que les personnages de la vraie vie. Leur éclat extraordinaire vient de leur fixité dépourvue d’ambiguïté et de leur très grande cohérence. Par comparaison, les personnes de la vraie vie semblent être relativement inintéressantes parce qu’elles sont tellement plus complexes, ambiguës, imprévisibles et singulières que celles qu’on rencontre dans les romans. » Comment s’articule chez vous cette différence entre le réel et la littérature ?

Je ne suis pas un romancier. Au sens où il m’est impossible d’inventer une histoire qui serait de la pure fiction. Je ne peux pas me réveiller le matin, m’asseoir en tailleur dans mon lit et me lancer dans la rédaction d’une histoire extraordinaire. Si je le fais, ce sera mauvais et bourré de clichés. Il me faut aller sur le terrain, rencontrer des gens, leur parler, les regarder vivre, s’engueuler, pleurer, pour être capable ensuite de les raconter.

Je suis sans cesse surpris par l’extraordinaire imagination de la « vraie vie ». 99% des histoires que je rencontre « sur le terrain », j’aurais été incapable de les inventer.

Je suis d’accord avec Janet Malcolm quand elle dit que les personnes de la vraie vie sont plus complexes, ambigües, imprévisibles que les personnages littéraires. Tout simplement parce qu’ils sont réels, et dans la vraie vie il n’y a pas les bons et les méchants, les héros et les salauds, mais des gens qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Les personnages de la vraie n’ont pas un trait de caractère, ils en ont mille, et tout autant de facettes qu’il est passionnant de décrire. Je suis sans cesse surpris par l’extraordinaire imagination de la « vraie vie ». 99% des histoires que je rencontre « sur le terrain », j’aurais été incapable de les inventer.

6. Dans ce même livre, Janet Malcolm établissait aussi la distinction suivante : « L’auteur de livres de fiction est maître de sa maison et peut y faire ce qu’il veut; il peut même la démolir si ça lui chante. Mais l’auteur de livres de non fiction n’est qu’un locataire, et doit se conformer au conditions stipulées sur son bail: il y est dit qu’il doit laisser la maison -en l’occurrence, les faits- dans l’état où il l’a trouvée. Il peut y apporter ses propres meubles, les disposer comme il l’entend, et il a le droit d’écouter la radio sans trop monter le son. Mais il ne doit rien changer à la structure de base de la maison ni à aucune de ses caractéristiques architecturales. » Vous sentez-vous comme locataire ou plutôt comme propriétaire en écrivant des livres ?

Encore une fois, je suis d’accord avec elle. Sale Gosse était un premier roman donc par définition, c’était la première fois, en tant que journaliste, que je me retrouvais vraiment libre. Enfin, c’est ce que je croyais. Car les personnages qui nourrissaient l’histoire, je ne les avais pas inventés. J’avais modifié quelques prénoms, mélangés deux parcours pour n’en dessiner qu’un, déplacé des histoires d’un lieu à un autre, mais dans le fond tout ce que je racontais appartenait à des personnages bien réels, que j’avais rencontrés pendant ces six mois d’immersion à Auxerre ou pendant mes trente ans de vie à Ris-Orangis. Donc la liberté dont je me réjouissais en passant du statut strict de journaliste à celui de « romancier », était en vérité une liberté fantasmée. Parce que j’écrivais les histoires des autres, je leur étais redevable d’une certaine forme de vérité.

Je ne pouvais pas me contenter de prendre ce qui m’intéressait chez eux et de m’en servir pour raconter tout autre chose. Cela faisait partie du « contrat » que j’avais passé avec eux. Bien sûr, cette question s’est posée de manière encore plus nette pour le deuxième livre, car j’écris la vie de Toumany, mais j’écris aussi la mienne, et dans les deux cas leur récit implique de « déborder » sur la vie des proches, des conjointes, des amis, des ennemis, etc… autant de personnages de chair et d’os à qui l’ont doit « le respect des faits », autant que faire se peut. Bien sûr, dans une entreprise aussi énorme qu’un livre dans lequel tout serait vrai, il se glisse toujours des erreurs, et je ne doute pas qu’il y en ait également dans le mien. L’essentiel tient dans le fait qu’elles ne sont pas volontaires.

7. Charles Bukowski a écrit un poème intitulé Roll the dice :

« Quitte à essayer, va jusqu’au bout.
Sinon, n’essaie même pas.

Ça peut vouloir dire perdre des petites amies, des femmes,
de la famille et peut-être même la tête.

Ça peut vouloir dire ne pas manger pendant 3 ou 4 jours.
Ça peut vouloir dire geler sur un banc dans un parc.
Ça peut vouloir dire la prison.
Ça peut vouloir dire la dérision.
Ça peut vouloir dire la moquerie – l’isolation.
L’isolation est le cadeau.

Tous les autres sont un test de ton endurance,
d’à quel point tu veux vraiment le faire.
Et tu le feras, malgré le rejet et les pires des chances.
Et ça sera mieux que tout que ce que tu peux imaginer d’autre.
Quitte à essayer, va jusqu’au bout.

Il n’y a pas d’autre sentiment comme ça.
Tu seras seul avec les dieux, et les nuits flamberont en feu.
Tu conduiras ta vie droit jusqu’au rire parfait.
C’est le seul bon combat qu’il y ait. »

En quoi la vie de Toumany Coulibaly est-elle pareille à ce combat dont parle Bukowski ?

Toumany m’a dit, encore très récemment puisque c’était il y a deux jours : « Je n’abandonnerai pas. Je te jure. Je n’abandonne jamais ». Je le crois quand il me dit cela, car il est ce personnage dont parle Bukowski dans ce poème, quelqu’un qui essaye, et ose vivre sa vie. 

9. Nicolas Mathieu, auteur de Leurs enfants après eux, proposait une vision de la vie et de l’écriture : « Ecrire, c’est faire la guerre à la vie. La vie, elle nous cogne. L’écriture, c’est une manière de rendre des coups. » Partagez-vous ce rapport à la vie et à l’écriture ?

Je trouve la formule très belle. Spontanément j’ai envie de dire non, je ne me reconnais pas dans cette opposition, je n’ai pas l’impression de me faire cogner par la vie, je n’ai pas l’impression de soigner quoi que ce soit par l’écriture. Mais à y réfléchir deux minutes, je vois ce que veut dire Nicolas Mathieu, et si je suis un peu honnête avec moi-même, il faut avouer que Ne t’arrête pas de courir est la réponse que j’ai trouvée pour « rendre les coups », comme il dit. En m’interrogeant sur mon rapport à la prison, quand je me pose à haute voix la question « pourquoi je fais tout ça ? », je tente de résoudre de vieux problèmes, c’est vrai.

10. Par sa thématique, Ne t’arrête pas de courir poursuit le chemin d’investigation entrepris par Sale Gosse. Dans ce premier livre, on pouvait lire cette phrase : « L’avenir, vous pouvez le prendre par tous les bouts, face à un gamin de seize ans qui a décidé de vivre au jour le jour, c’est un mot qui ne veut rien dire. » Ce rapport au futur est-il le même pour Toumany Coulibaly ?

Je ne saurais répondre à sa place. Bien que le livre soit terminé et que l’histoire est désormais écrite, il reste encore beaucoup de choses dont je ne suis pas certain concernant Toumany. Ce que je sais, c’est qu’à la différence de Wilfried, il n’est pas un enfant.

Je ne me sens légitime qu’en allant au devant des autres, avec l’idée que peut-être, il serait intéressant de raconter leurs histoires.

C’est un adulte extrêmement intelligent, père de quatre enfants, qui aime sa femme et veut ancrer sa vie dans un futur sans vols, sans garde à vue, sans prison. La différence, elle est sans doute là. Wilfried se sentait abandonné, seul au monde, il avait l’impression de n’avoir rien à perdre, et en un sens c’était vrai. Toumany, il a sa famille, et un avenir devant lui.

11. Nico Walker, auteur de Cherry, avait déclaré dans une interview accordée au Parisien : « Je ne me vois plus faire autre chose de ma vie qu’écrire. Il fustige « une criminalisation qui crée 100 fois plus de problèmes qu’elle n’en résout ». A sa sortie, « en homme neuf ». Et Nico Walker de rajouter : « Je n’ai pas beaucoup de raisons d’être fier de moi. J’ai déconné, lâche-t-il au téléphone. Mais ça, écrire, je le fais sérieusement. Si on fait pas les choses sérieusement, on ne fait que des erreurs. » Ecrire sur d’autres vies que la sienne, est-ce une affaire sérieuse ?

Oui, c’est une affaire très sérieuse. Comme je le raconte dans le livre, j’ai eu la chance d’échanger longuement avec Nico Walker quand il était encore en détention dans le Kentucky. Je lui avais demandé s’il n’avait pas peur de ne jamais rien trouver d’autre à écrire, maintenant qu’il avait couché le chef d’œuvre de sa vie sur le papier. C’était quelque chose qui m’interrogeait vachement à l’époque : comment peut-on rebondir en tant qu’auteur, quand on a tout mis dans son premier livre.

Walker ne comprenait pas bien ma question. Pour lui, il était évident qu’il trouverait une autre histoire à raconter. Il suffirait de travailler sur les personnages, la structure, c’était une question de technique, plus que d’inspiration. Moi, encore une fois, je ne me sens légitime qu’en allant au devant des autres, avec l’idée que peut-être, il serait intéressant de raconter leurs histoires.

12. Un ouvrage collectif a été consacré à l’écrivain, réalisateur et journaliste Emmanuel Carrère qui s’intitule Faire effraction dans le réel. Peut-on considérer vos deux livres comme une effraction dans le réel ?

Oui, je pense. Parce que ces deux livres tirent leurs sources sur le terrain. Au plus près du réel, empruntant des techniques qui sont celles du journaliste : l’interview, le reportage, la prise de notes… 

13. Dans cet ouvrage, il interrogeait la question de la forme : « Je pense que chaque livre impose sa forme malgré tout. Il y en a deux qui ont une forme assez éclatée, où la chronologie de la rédaction l’emporte un peu sur la chronologie de l’action et des événements. C’est Un roman russe et D’autres vies que la mienne. Limonov suit plus le fil chronologique et d’une certaine façon Le Royaume aussi. Si j’y réfléchis, les deux autres dont je parlais suivent aussi un peu la chronologie de leur rédaction mais c’est le cas aussi pour L’Adversaire. J’ai tendance à considérer ces cinq livres-là, de L’Adversaire au Royaume comme formant une espèce de bloc, des livres de non-fiction que je me suis mis à écrire. » Pensez-vous, comme Emmanuel Carrère que chaque livre impose sa propre forme ? Était-ce le cas pour chacun des livres publiés chez L’Iconoclaste ?

Je dois rester modeste, et rappeler que je n’ai pour l’heure écrit que deux livres. Leurs structures sont très différentes, et je crois que c’est l’histoire qui impose sa forme. Sale Gosse était « monté » un peu comme un film de cinéma, avec un flashback inaugural qui permettait de poser des personnages qu’on allait retrouver par la suite.

Le rythme des phrases est quelque chose de très important. Quand j’écris, je le fais avec cette petite voix dans ma tête, qui relit les phrases, fait sonner les mots.

Ne t’arrête pas de courir est construit en trois parties bien distinctes, tout simplement parce que j’avais l’impression qu’il fallait ces trois axes de narration pour englober l’histoire, et la raconter au mieux.

 14. A la lecture, on est marqué par le rythme du livre. Les différentes parties de Ne t’arrête pas de courir impriment notamment le pas de course de votre personnage, autant dans ses sprints que dans ses entrainements. Avez -vous cherché par le tempo de l’écriture à retranscrire le rythme de la course, son caractère nerveux et saccadé ?

Non, pas vraiment. Tant mieux si c’est ce qui transparait à la lecture, mais ce n’est pas voulu. Le rythme des phrases, en revanche, est quelque chose de très important. Quand j’écris, je le fais avec cette petite voix dans ma tête, qui relit les phrases, fait sonner les mots. Il faut que ça tombe bien, que le rythme tienne, sinon je coupe, et je réécris. En cela, oui, c’est une question de souffle, de fluidité, et de cadence. De foulée, presque.

15. Dans un entretien accordé à Nathalie Azoulai, Cécile Coulon rappelait à quel point la course est essentielle pour l’écriture d’un livre : « Ce n’est pas que les jambes qui courent, l’ensemble du corps aussi. Et dans ce mouvement-là, dans cette concentration-là, il se passe une transformation aussi extraordinaire qu’imprévue : c’est qu’intellectuellement tout ce qui est inutile quitte la pensée. Tout ce qui est encombrant s’en va, alors c’est évidemment uniquement pendant le temps de la course et un tout petit peu après, mais on ne garde en tête que ce qui est parfaitement nécessaire à ma vie et quand je suis en train d’écrire, ce qui est parfaitement nécessaire à ma vie, c’est l’histoire qui est en train d’être construite. Donc en courant, je construis mon histoire, la régularité de la foulée m’oblige à solidifier ce que j’étais en train de faire auparavant, à creuser peut-être encore plus mon histoire, mes personnages, mon suspense, à les crédibiliser. En quelque sorte à dégraisser ce qu’on a écrit. » La littérature est-elle un sport comme un autre ?

Très honnêtement, je pense qu’il est bien plus confortable d’écrire un livre que de s’entrainer au 400 mètres. La course à pied est un sport de chiens. Vous ne pouvez pas tricher, c’est votre corps et vous n’en avez pas d’autre pour rejoindre la ligne d’arrivée, alors il faut l’entrainer, en chier dès l’aube en plein hiver, souffrir, vomir à l’entrainement, se blesser, se soigner, se rééduquer et recommencer, pour peut-être gagner quelques secondes sur votre temps initial, quelques minutes à la rigueur si comme Cécile Coulon vous courrez le marathon. Pour avoir essayé les deux, je peux affirmer que l’écriture est bien plus confortable.

16. Dans son livre Ardoise, Philipe Djian exprimait le choc joué par le livre de Salinger : « J’ai éprouvé le même genre d’émotion avec L’attrape cœur de Jérôme David Salinger lorsque j’avais dix-huit ans. Je sais de quoi un livre est capable. Je pense à une blessure. Je pense à une blessure qui aurait quelque chose d’amical, d’où le sang continuerait de couler avec douceur pour vous rappeler que vous êtes en vie et même bien en vie et capable d’éprouver une émotion qui vous honore et vous grandit. » Est-ce que la lecture et l’écriture sont pour vous pareilles à cette « blessure amicale » ?

Je ne sais pas. J’ai lu un jour L’attrape cœurs, dans un train. J’avais de l’avance. J’ai acheté ce bouquin à la couverture pourpre, avec ce titre qui m’angoissait un peu parce que j’avais peur d’être tombé sur un livre à l’eau de rose, et j’ai vécu un choc. Je m’obligeais à faire des pauses dans ma lecture, pour constater que j’étais en train de lire le meilleur livre de ma vie. Et je pense encore aujourd’hui, après en avoir lu bien d’autres, que c’est le meilleur livre qu’on puisse écrire.

Je l’ai offert à tout le monde autour de moi. J’en ai deux ou trois exemplaires à la maison, que j’ouvre de temps en temps, au hasard, et sans m’en rendre compte je relis le texte dans un état second, ébahi par la prouesse de l’auteur et l’humanité qui se dégage des personnages. Peut-être que Djian parle de cela en évoquant une « blessure amicale ». C’est en tout cas un livre incroyable, qui risque de m’accompagner pour le reste de ma vie.

Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain aux éditions de L’Iconoclaste

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

Cet article a 2 commentaires

  1. MUNIER

    Quelle interview ! Quelle richesse de réflexion ! Passionnant. Mais le roman l’est tellement aussi. Merci pour cette plongée dans l’âme de Mathieu Palain.

    1. Antoine

      Un grand merci pour votre retour.

Laisser un commentaire