Quel est le lien entre un ancien boxeur devenu chauffeur, une jeune femme de 20 ans intensément séduisante, à la beauté renversante, et le maire d’une petite ville bretonne ?

« Demander de l’aide à son employeur n’est pas toujours sans conséquence. » 

« La fille qu’on appelle », Tanguy Viel

Et en nous montrant justement ces conséquences, Tanguy Viel nous offre, pour cette rentrée littéraire, un nouveau roman virtuose, noir, social, psychologique, un brillant bijou littéraire.

Une intrigue toute en tensions et dominations, une mise en scène limpide, non dénuée d’humour et d’ironie, des intériorités tourmentées et des corps entravés, une tension narrative et des phrases incisives, une observation des rapports de force et de toute l’ambivalence de ces rapports.

Un roman particulier dans la carrière admirable de l’auteur, différent de ses précédents, un roman dense et nécessaire pour montrer et démonter les mécanismes pernicieux de l’emprise et pour cerner avec exactitude la notion du consentement.

Du grand art !

Mettre en image et en scène son écriture

Tanguy Viel a écrit une dizaine de romans en vingt ans. La plupart de ses romans sont inspirés par l’univers du 7ème art, du polar et du jazz, sauf parfois, quand sa ville natale ou une ville bretonne alentour sert de cadre. Avec une écriture nerveuse et rythmée, il est l’auteur de parfaits exercices de style.

Son écriture est, dans chacun de ces romans, à la fois fluide et incisive, mais chaque roman semble pourtant pétri de propositions littéraires différentes. Ses personnages sont souvent reliés par une intrigue ou habités par une obsession, un drame à régler. 

Les romans de Tanguy Viel sont souvent des mises en abîme et sous les projecteurs qui jouent avec tous les codes du genre, même s’il avait déclaré lui-même lors d’une interview qu’il n’aimait pas cette expression… « Jouer avec les codes ? Derrière le mot « jeu », il y a l’idée que mes personnages ne seraient que des marionnettes et que je serais plus intelligent qu’eux. Ce n’est jamais le cas. » 

Il réussit à rendre le cinéma encore plus cinématographique, dans Cinéma, ou la musique encore plus musicale, dans son premier roman publié en 1998, Black Note, dans  L’Absolue Perfection du crime (prix Fénéon et prix de la Vocation) ou Insoupçonnable. Avec Paris-Brest, il a joué avec les liens de famille et avec sa terre d’origine. Il nous ramène encore une fois, dans cette rentrée littéraire, dans sa Bretagne natale.

Rapport de force, de domination sociale et tension psychologique

Max, ancienne gloire de la boxe, a connu la chute après la gloire. Il a fini par devenir, pour vivre et subvenir à ses besoins, le chauffeur du maire de la ville. Le maire, de son côté, a des envies de pouvoir en montée : il rêve de Paris, de ministères, d’ascension sociale absolutiste et centralisée.

Les deux hommes se côtoient dans un face à face au quotidien, sans amitié réelle ni haine biaisée.

Mais Laura, la fille de Max, revient vivre auprès de lui. Laura est jeune, 20 ans, et elle est renversante de beauté. Elle est aussi pleine d’ombre et cache peut-être un passé sulfureux. Une proie facile et appétissante pour un manipulateur ?

Elle rencontre le maire, sur les conseils de son père, pour obtenir une aide éventuelle pour trouver un logement.

Mais rien ne se passe comme prévu et l’histoire vacille. Commence une lutte, un combat. Et personne ne peut plus reculer.

Lecteurs, nous sommes spectateurs de ce combat, avec sa violence éventuelle, son injuste injustice.

Et nous regardons se dérouler l’histoire devant nos yeux. Chancelants, comme mis KO par les souffrances engendrées.

Une étude de mœurs, une scène de la vie de province

Le roman prend place dans une petite ville bretonne, dont le nom n’est pas précisé. Qu’importe, cette ville est malgré tout reconnaissable car décrite avec une précision qu’on pourrait qualifier de sociale, réelle et réaliste.

Un Balzac ou un Zola modernisés et transcendés par les éditions de Minuit.

Le roman s’est ouvert avec Laura devant la police, Laura avec sa plainte, mais la vie, la réalité de la société, comme le narrateur, ont ensuite repris le dessus.

Et l’intrigue pointe les limites de cette déposition, de la justice, face au pouvoir d’un homme.

On observe, avec désarroi, l’emprise, l’influence, on décrypte le fonctionnement de la domination masculine et l’ignorance du consentement, dans cette petite ville, ce petit milieu, où l’on s’arrange avec la morale et jongle entre la richesse et la possession d’autrui.

Dans ce décor, par ailleurs, l’ailleurs est toujours présent malgré tout : où qu’on regarde, on peut apercevoir la mer, même si elle apparaît grise et sans transparence, « par temps calme on la croirait d’asphalte », mais qu’importe, elle est un interstice, une fêlure, un peut-être possible.  

Le lecteur a l’impression d’être devant un écran ou derrière une caméra, dans un savant mélange d’Hitchcock, de Verhoeven, de Claude Chabrol et d’Eric Rohmer, de lire un Raging bull social et littéraire.

Face à l’emprise du pouvoir, l’écriture est un combat

Face à l’abus de pouvoir, ce livre explore les zones grises des relations entre les protagonistes.

L’histoire contient peu d’événements, et pourrait se résumer en fait divers, mais le roman est un zoom intérieur dans l’esprit des personnages.

Au fil des pages, on a l’impression que l’objectif se rapproche de plus en plus, qu’on observe les esprits comme au microscope. De ce fait, les identités deviennent instables, on s’interroge sur les ambivalences : qui domine, qui se soumet et pourquoi ?

Sans aucun mot inutile, l’intrigue se frotte malheureusement et malgré elle à l’actualité. On découvre alors une réalité décrite avec détachement et ajustement permanent et le lecteur arrive inexorablement vers une fin inattendue. Le dernier chapitre se présente comme un dernier coup de poing.

Un livre physique, incarné, nerveux où l’écriture elle-même ressemble à un combat.

Une fiction implacable sur le pouvoir, sur la domination, sur le consentement abordés avec délicatesse et pudeur.

Une puissante et sombre fable contemporaine, un tournant décisif dans l’écriture, une profonde remise en question des rapports sociaux, d’argent et de pouvoir : Tanguy Viel signe sans aucun doute ici son plus somptueux, viscéral et renversant roman aux Éditions de Minuit !

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