Une rentrée littéraire décidément riche, déjantée et enchantante !

Quand une famille se met à dérailler, faut-il rester dans le train ?

Une fiction entremêlant tous les genres, du journal intime à la poésie.

Un style unique, intrigant et prenant dès les premières lignes.

Un univers familial terriblement singulier.

Il est des livres qui ne ressemblent à aucun autre.

Wonder Landes est l’un de ces livres.

Un roman cacophonique, brillant et saisissant, déraillé, déraillant avec talent, aussi chancelant qu’humainement touchant

Tout semble déjanté dans ce roman : l’inventaire d’un sac noir révèle ses OBNI (Objets Bizarres Non Identifiables), une maison regorge d’objets étranges, un mannequin siège dans le salon d’une maison familiale, un président du syndic, comme un big brother à oeil de concierge, surveille intégralement une résidence, un lapin blanc apparaît à chaque fois qu’un personnage arrive en voiture à la maison de son enfance, les wonder Landes s’offrent aux lecteurs d’aventures intérieures, comme wonderland s’était ouvert à Alice, un huissier ressemble à celui des Triplettes de Belleville et il y a des Kinder Bueno partout !

Un frère s’évapore et, soudain, tout vacille entre stupeur et paranoïa, sans tremblements pourtant, entre folie en ellipses et secrets du passé. On mélange les indices, les repères narratifs, inventifs et poétiques, comme une belle généalogie du désordre.

Dans cette enquête psychologiquement familialement inquiétante, le récit est extrêmement dense et sans temps mort. Le lecteur est par moment aussi désorienté que l’auteur pour comprendre ce qui lui arrive et ce qui arrive à son frère, puis à son père, à ses proches. Le ton est grave, mais il reste juste. Alexandre Labruffe cherche, il enquête, ailleurs, autrement, il veut savoir.

Le narrateur nous emporte dans sa vie ?

Les Landes du titre évoquent la forêt landaise, ce paysage arboré et mystérieux, cette région du sud-ouest où Alexandre et son frère ont grandi, et notamment dans la propriété familiale à Labrit, au nord de Mont-de-Marsan. Grandir dans les Landes provoque parfois des envies de fuite. La fuite en avant est parfois un exil, jusque de l’autre côté de la planète.  

Après des études de chinois, Alexandre Labruffe a travaillé pour des Alliances françaises en Chine, en Corée du Sud (sa compagne est coréenne). Il sera nommé attaché culturel à Wuhan, en octobre 2019.

Wuhan, 2019 : sa vie basculera vers les mots. Le besoin de dire, de faire dire et faire vivre, de faire lire. Il nous a raconté « de l’intérieur » son quotidien dans une ville que nous connaissons tous désormais, depuis cette pandémie qui nous a assaillis, dans Un hiver à Wuhan (Verticales, 2020).

Il s’était mis dans la peau d’un gérant de station service pour publier ses ébouriffantes Chroniques d’une station service (Verticales, 2019).  

Dans ce cheminement de l’écrivain, Wonder Landes est une remise à niveau du présent en analyse d’une période pourtant révolue de sa vie, la vie réelle, sa vie et surtout celle du passé de sa famille.

Nous rencontrons donc, dès les premières lignes, le frère de l’auteur. Pierre-Henri Labruffe, dit PH, qu’il soit neutre ou acide ne nous est pas précisé, PHL, et non BHL, il ne faut pas tout confondre quand on lit ! Même si, quand on lit du tragique, rire est toujours une pause nécessaire, une reprise de souffle, et l’auteur nous fait sourire malgré nous à de nombreuses reprises

Fiction ou friction d’une famille ?

On comprend donc qu’on est dans vie réelle d’Alexandre Labruffe, le narrateur. Et que son frère aux contours flous a disparu des radars.

Première page, premières lignes

Et puis, la nouvelles tombe : le frère de l’auteur est incarcéré et soupçonné d’association de malfaiteur, de trafic et de malversation.

Alexandre doit donc faire face aux interrogatoires de la police, à ses propres interrogations, puisqu’il veut savoir, équipé d’une compagne très particulière, Kim, qui subit, elle aussi, tout cela, et se montre parfois aussi désorientée que viscéralement surprenante.

Le choc est rude. Réel. Et la vérité semble apparaître douloureusement : PH souffrirait de problèmes psychiatriques, sans doute pathologiques, depuis longtemps, et cette vérité explose comme une bombe. Schizophrénie ? Bipolarité ? Pire ? Est-ce possible ? La lumière sera-t-elle faite, serait-ce au bout du tunnel ?

Les choses pourraient s’arranger. Tout fait sens dans ce livre ou alors le narrateur fait en sorte que tout trouve sens : déglingué mais toujours debout, il essaie de mettre à zéro les compteurs du passé, et scrute le réel, pense à fouiller dans les archives familiales, car rien n’est simple chez les Labruffe.

Un domaine et des archives familiales

Découpée en quatre saisons, dans cette enquête, cherchant à comprendre, Alexandre s’enfonce au coeur de son monde chaotique, du présent il passe au passé. L’enquête dépasse le frère : Alexandre apprend que son père s’enfonce dans la sénilité et que ses jours sont comptés.

Le père vit retranché dans les Landes dans le domaine familial où les désordres et le bordel historique s’entremêlent et s’accumulent.

Alexandre va donc revenir dans cette maison pour mettre un peu d’ordre dans tout ça, mais la maison familiale est désormais entre les mains d’un huissier.

Faudra-t-il la vendre pour récupérer ce que le père n’a pas dilapidé ? Celui-ci survivra-t-il à cette folle équipée et à sa sénilité bien avancée ?

Il s’attelle à trier, jeter ou brûler ce qui traîne et ne sert plus à rien. Dans cette famille, on met sous le tapis tout ce qui gêne pour éviter de s’y confronter.

Pour chercher des preuves de ce qu’on lui a probablement caché, il fouille dans le grenier, pour tenter de comprendre. Une impossible renaissance pour laquelle pourtant tout repose sur ses épaules.

Chronique d’une famille déglinguée ?

La relation entre les deux frères est la base du récit. Il règne dans leurs rapports une atmosphère étrange, un sentiment de malaise et les actes répondent plus à des pulsions qu’à la raison.

Alexandre Labruffe a de l’affection pour ce frère, à qui il a dédié le livre, même si le comprendre et l’aider est complexe et difficile. Comprendre l’autre, sans jamais le juger, comprendre pour saisir, c’est aimer.

L’aîné a sans doute des problèmes psychologiques, oui. Bipolarité, autisme, paranoïa ou mythomanie, qu’importe, ce n’est pas un récit psychiatrique, c’est une enquête familiale.

L’auteur décrypte et décode peu à peu le réel, pour voir PH tel qu’il est : déconnecté de la réalité, en plus d’être enfermé, dans la réalité, justement.

Et le père pourrait avoir caché beaucoup de choses sous le capharnaüm dans lequel il se terrait, dont quelques dérives sexuelles peu avouables…

La mère a disparu depuis bien longtemps, mais elle a eu sa part de responsabilité dans l’éducation déjantante de son fils.

Pour cette plongée dans la folie du frère, dans le naufrage du père, Alexandre Labruffe tient, dans les rails, le rôle délicat du personnage normal entouré d’êtres dérivants, si ce n’est déviés.

La fiction d’une famille dans tous les sens du terme

Les paragraphes courts et les impressions au jour le jour nous amènent, petit à petit, au coeur même de cette enquête sur le passif et le passé d’une famille.

Dans ce gouffre affectif, ce vortex, on ne sait plus que penser, mais, comme l’auteur, on se perd, se lâche et détourne les règles du genre.

L’écriture est multiforme et quasi oulipienne, l’exercice de style permet de prendre de la hauteur : haïku, poésie en prose, sms, lettre… L’auteur traduit les sensations variantes et variables, la diversité des émotions ressenties par ce fils perdu et sans repères.

Le désordre est partout autour, dedans, dans le passé, dans le présent, on a l’impression petit à petit de lire ce qui advient dans l’esprit du narrateur comme une partition démesurée, un point d’orgue du réel, une explosion existentielle.

Le ton n’est pourtant jamais à l’apitoiement : malgré la situation, tragique mais pas désespérée, vécue par l’auteur, une sorte de lumière intérieure semble le guider au fil des pages pour lui laisser espérer des jours meilleurs.

«Une seconde passe.
A priori, rien n’explose,
ou c’est imperceptible, infra-sonore.»

Un récit comme une catharsis pour survivre à cette histoire (de famille) qui sent le soufre et l’urgence, un texte sincère et déjanté, un récit chaotique, désordonné, atypique et syncopé. Beau, aussi, par son intense et rare sensibilité lucide.

Lire est parfois savoir affronter et découvrir ce faisant que la normalité n’est pas ce qu’on cherche. Vraiment pas. On veut savoir et voir dire ce que l’on ne dit pas toujours, pourtant.

Et dans cette recherche de vérité au coeur du chaos, ce livre est ÉTINCELANT !

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