« Amour, extérieur nuit », c’est d’abord une histoire algéroise. Celle d’une femme qui veut se sentir bien, libre, qui veut se sentir être, et peut-être, au passage, aimer et être aimée.
C’est donc, aussi, une histoire d’amour. C’est aussi l’histoire d’une sensation, puis d’un sentiment qui entre dans la peau, et qui remue, qui occupe, qui ressasse.
C’est aussi un premier roman et une entrée sensible et touchante dans la littérature. Elle écrit, Mina Namous, intensement et de façon parfois douce, parfois cinglante, toujours juste. Son blog le révélait déjà, avant ce premier roman : https://www.jeuneviealgeroise.com/
Pendant 238 pages, on vit dans la tête de Sarah. Dès les premières phrases, l’auteure nous annonce ce qu’il en est dans un court prologue : « Une histoire d’amour, … de regrets, de remords, de tout. »
On sait dès les premiers mots que ce ne sera pas simple. Pourtant, on chemine avec Sarah comme si on croyait qu’il peut y avoir une autre destinée, malgré les obstacles, malgré l’écart entre les deux personnages, malgré Alger, tantôt aimée, tantôt rejetée, au rythme de laquelle on lit, malgré tout.
Une plume libre à la fleur d’oranger ?
Sarah, jeune algéroise rencontre Karim sur son lieu de travail. Il est un des avocats d’un cabinet français qui défend son entreprise régulièrement.
J’ignore s’il m’est destiné. Je baigne dans son parfum. Je voudrais poser ma tête sur son épaule, ma main sur sa cuisse. Je voudrais m’engouffrer dans sa voix. Quand il parle, le silence des autres se fait plus pesant, tout le monde se tait davantage pour l’écouter. C’est l’homme le plus brillant de la pièce.
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous
L’histoire peut sembler ordinaire : ils se plaisent, se regardent, se sentent et commencent une liaison.
L’amour est peut-être possible. L’amour réel, intense, libre et choisi. Ce n’est toutefois peut-être par un roman d’amour qu’on va lire, mais le roman d’une ville et de la relation que l’auteur et cette ville ont.
Le roman d’une Algéroise libre d’être et d’aimer
On pourrait se dire qu’on va lire un roman à l’eau de rose, ou à la fleur d’oranger. Mais Karim reste à distance, on a assez peu accès à ses sentiments à lui. On le regarde, on l’observe, on sait qu’il a peut-être des sentiments mais on attend.
Car c’est elle, qui nous intéresse, et on la regarde se confier, se livrer à nous, nous dire ce qu’elle voit et sent tel qu’elle le ressent. On lit le roman d’une femme dont le ventre sait, le ventre est libre, et elle devra faire la part des choses face à ce que le réel lui renvoie.
Cette relation ambigüe, même si parfois prévisible nous embarque doucement et joliment, simplement, aussi. On veut savoir si cette jeune femme à l’esprit libre, un brin idéaliste, crédule, va finir par avoir l’amour qu’elle désire, même si elle sait combien l’amour tendu par les obligations qui lui sont imposées.
D’innombrables allers-retours Paris-Alger, d’un restaurant ou d’un hôtel à l’autre, l’auteure décrit tout en pudeur les liens qui se tissent entre Sarah et Karim. Elle se demandant in fine si le bonheur est là, lui, en retrait, caché, méfiant car empêtré dans la clandestinité de sa double vie.
Sincérité, ennui, comblement de vide ou séduction ?
Une histoire qui sonne comme une fenêtre sur rue, malgré le besoin de taire, de cacher… Quelques uns peuvent les voir, les découvrir, se douter de tout.
Ce n’était donc plus un secret, c’était bien visible. Il y avait un garçon dans ma vie, et toutes les femmes autour de moi l’avaient compris. Je n’avais plus l’énergie des cachotteries et des convenances.
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous
La nuit ce sont les regrets, les remords, les doutes, les questions et les certitudes qui viennent pas à pas, fait à fait. Le réel sans illusion, sans masque, sans faux-semblant.
C’est la nuit physique et spirituelle. Les étoiles, les parts sombres, la quête de son âme. Tout est imagé et tout est écrit. La nuit, ses contrariétés et ses tourments. Les nuits auxquelles on craint de ne pas survivre. Le bonheur du jour qui se lève et qui nous délivre, en partie. La nuit et la profonde solitude des gorges serrées.
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous
Lui et elle, eux et Alger ou Alger et elle ?
Quel est le sujet de ce roman ? L’amour ? La morale ? La liberté ? La féminité ?
Le point de vue adopté par Mina Namous sur sa relation naissante est à la fois étonnant et tout à fait juste : c’est l’Algérie qui est à sa façon l’héroïne de ce roman, c’est la ville où se déroule leur histoire, c’est le regard des autres qui impose une distanciation, une déréalisation des sentiments.
Et le jeu des regards dans cette histoire est finement décrit, tout comme les frissons provoqués par la sensation d’une complicité intense, mais à ne pas dévoiler à qui se trouvent autour.
Les phrases d’usage ne correspondent pas. Sortir avec un homme marié, voir un homme marié, coucher avec un homme marié. Être l’autre femme. Adultère, aventure, tromperie, tricherie. Tout ce vocabulaire, que certaines de mes amies me ressortent de temps à autre pour l’accabler, sonne douloureusement faux.
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous
De plus, le regard de Karim sur la ville et la vie est parfois déconcertant. Ayant quitté Alger pour s’installer à Paris, fait des allers retours, et quand il revient au pays natal, il ne peut s’empêcher de remarquer avec parfois un ton acerbe, les changements à Alger.
« En vrai, je vois bien que les choses, et surtout, les gens, changent, mais je n’ai aucune envie de parler sociologie avec lui »
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous
En somme, l’histoire qu’ils vivent ne peut être séparée d’Alger, qui malgré elle n’est plus ce qu’elle a été. La ville de « ceux qui ont connu une période révolue, ceux qui ont cru à un semblant d’insouciance, à un monde des possibles. »
Une écriture qui tait et soulève des sentiments
Leur relation et leurs ébats sont clandestins, secrets, et la porte reste close : nous, lecteurs, n’assistons pas à leur intimité.
Toute l’intensité du lien tissé entre Sarah et Karim se sent entre les phrases et grâce à la suave et douce force qui imprègne la plume pleine de nostalgie de l’auteure.
Une femme peut-elle être libre et amoureuse ? Quelles questions se posent, si on veut, ou doit, faire un choix ? La ville nous rend-elle libre d’être ?
Même clandestin, l’amour est réel, mais fait peur.
Karim passe me prendre, j’entends sa voiture qui ralentit, mon téléphone qui vibre et mon cœur qui bat plus fort. Je suis encore sous le choc de l’annonce de son départ, je crains que le schéma se répète, j’ai peur de le perdre, je redoute Alger sans lui.
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous
Dans ce roman, Nina namous nous raconte de l’amour à cheval sur deux pays, deux ville, de l’amour contrarié, de l’amour impossible, de l’amour émouvant et touchant.
En fin de compte, Alger est la ville blanche mais aussi la ville de l’ambivalence, avec sa chorale de voix diseuses de vérités et ses contradictions.
On ouvre par ailleurs avec ce livre un tiroir où les souvenirs se rangent les pensées camouflées, avec les histoires qu’on connait ou qu’on n’a pas connues mais qui résonnent avec mélancolie dans la tête et sur les pages.
Un roman tout en délicatesse, simplicité et justesse, qui nous montre le tourbillon des sentiments, sa beauté paradoxale et sa cruauté inévitable.
Un premier roman étonnant, doux et fort à la fois, beau et pudique, très émouvant.
« Amour, extérieur nuit », de Mina Namous, aux éditions Dalva, publié en janvier 2022.