Pendant 17 jours, je vous livre mes sensations, mes impressions, mes sentiments de lecture au sujet du roman O de Miki Liukkonen, qui paraît au Castor Astral.

Douzième jour

Dans les premiers instants, il éprouva la joie aigüe du joueur d’échecs, un sentiment d’orgueil et de soulagement et cette sensation physiologique d’harmonie que connaissent si bien les créateurs.

Vladimir Nabokov, La défense Loujine

Il est toujours étonnant de voir à quel point l’écriture est un art qui mêle vérité, et faux-semblant, enchantement et illusion. Lire s’apparente ainsi à la traversée de cet univers contrasté qu’est le roman où cohabitent mensonge et émerveillent.

Je tombe d’un coup à la lecture du roman O sur la scène dans laquelle on découvre les origines du trouble de la mère de Jérome W, Laura W :

Une fois, sans raison apparente, Julia W avoua à ses fils pourquoi elle avait une telle phobie des lunettes rondes.

O, Mikki Liukkonen

On fait la connaissance du père de Laura W, le grand-père de Jérôme W, personnage décalé et en marge, à l’image de tous les personnages de O:

Ce Bartolomej, personnage nabokovien en diable:

L’image de Vladimir Nabokov m’apparaît donc, puisqu’il était collectionneur de papillons. Je revois d’ailleurs cette photographie où l’on voit Nabokov avec un filet à papillon.

« Si mon premier regard du matin était pour le soleil, ma première pensée était pour les papillons qu’il allait engendrer. J’ai chassé les papillons sous divers climats et déguisements : comme joli garçon en short et cap de marin ; comme un citadin expatrié avec un sac de flanelle et un béret ; comme un gros homme sans chapeau et en short ».

Vladimir Nabokov, Autres rivages

Le jeune Vladimir avait épinglé son premier papillon dans une boîte cartonnée à l’âge de 7 ans. Il devait poursuivre cette quête toute sa vie, en parallèle avec ses activités littéraires : « Mes plaisirs sont les plus intenses que puisse connaître l’homme : écrire et chasser le papillon », avouait-il.

Ainsi sa passion des papillons le poussa à devenir commissaire de lépidoptères au Musée de zoologie comparé de l’Université Havard, étant l’auteur de nombreux écrits scientifiques reconnus en la matière.

La vie des papillons apparait comme le miroir de l’œuvre de Nabokov.

La référence aux papillons dans le roman de Miki Liukkonen, par son détournement référencé et pleinement ironique, semble traduire toute la beauté, la folie et le tragique que comporte le personnage de , à l’image de nombreux personnages dans le roman. L’auteur joue avec les références littéraires et scientifiques pour faire valoir inversement du monde, que l’on peut en permanence inversé, tel la lettre O du titre. Le sens s’échappe et le lecteur n’est-il pas tel Bartolomej, en train d’essayer d’attraper les papillons du sens pour les figer dans l’univoque et la monosémie.

Ainsi pour Mikki Liukkonen, le roman semble le lieu de pratiques imaginaires. Dans le roman O, chaque domaine abordé, chaque discipline génère une multitude de détails, de digressions et de mises en abyme, qui s’étalent sur les parois de verre du roman, ce verre dont la mère de Jérôme W. est phobique.

Alors que je poursuis ma lecture du roman, une citation bien plus explicite de Nabokov apparait cent cinquante pages plus loin :

La partie d’échecs semble ici une belle métaphore de l’écriture et de la lecture.

Au cours de mes vingt années d’exil, j’ai consacré énormément de temps à composer des problèmes d’échecs. […] C’est un art magnifique, complexe et stérile

Vladimir Nabokov, Autres rivages

Plus qu’un simple joueur, l’écrivain de Roi, dame, valet se définissait comme un problémiste passionné.  En 1970, il est invité à joindre l’équipe de composition américaine afin de créer des problèmes pour les compétitions internationales. « La pression sur l’esprit est formidable », écrivait-il dans ses mémoires, Autres rivages, « créer des problèmes de la sorte demande de la part du compositeur les mêmes vertus qui caractérisent tous les arts d’écritures : originalité, inventivité, concision, harmonie, complexité, et une splendide hypocrisie. »  

La référence à Ada ou l’ardeur semble d’ailleurs indiquer au lecteur de O que de nombreuses lectures vont s’offrir à lui sans qu’il arrive jamais à se saisir du sens du roman. Un sens qui se renverse en permanence, à l’image de cette lettre O.

A suivre.

Et on terminera avec une référence musicale présente dans le roman.

Avant d’en dire davantage, elle se leva et alla rapidement remplacer le disque de Peter Gabriel, trop triste, par Graceland de Paul Simon. Puis elle parla.

O, Mikki Liukkonen

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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