Le roman comme une bande originale

Et si un roman, tel un morceau de musique, permettait de saisir les pulsations d’une personne? Comme si les mots, à la manière d’un rythme, d’un couplet et d’une mélodie, traduisaient un instantané. Comme la bande originale d’une âme. Antti Rönkä, jeune auteur de 23 ans, offre avec son premier roman Sans toucher terre aux éditions Rivages une composition romanesque juste et personnelle sur la sortie de l’enfance et de l’adolescence et sur ce métier qu’est d’exister et de vivre.

Antti Rönkä évoque par touches successives différents moments de vie. L’auteur compose ainsi entre les chapitres toute une une musique du silence, le morceau de Simon & Garfunkel faisant écho à l’atmosphère du roman :

Les ellipses entre les chapitres sont ici l’expression du non-dit du personnage d’Aaro. La construction du roman, lequel suit les différentes saisons d’une année, rappelle par ailleurs la grande œuvre de Vivaldi, au sens où la saison détermine les sentiments personnels et intérieurs du personnage.


Chronique d’un alien

Là-haut, les aliens voltigent
En faisant leurs propres films
Pour que les gens rentrent chez eux
De toutes ces créatures bizarres
Qui cachent leurs pensées
Creusent des trous dans leurs corps
Et vivent pour leurs secrets.

Radiohead, Subterranean Homesick Alien

Le personnage d’Aaro est un jeune homme silencieux et secret, qui se livre peu. Il semble être un autre, au sens d’un alien, vivant l’expérience difficile de l’altérité et de la violence exercée par autrui. L’enfance et l’adolescence sont des périodes où le corps mute mais aussi l’univers qui entoure ce corps. Le roman est ainsi peuplé d’animaux étranges, porteurs de signes et de symboles, tels que le renne :

Mais aussi un étrange poisson se trouvant dans la baignoire de l’appartement du narrateur :

Ce bestiaire traduit les métamorphoses intérieures du jeune homme, quittant l’adolescent qu’il fut, cette créature bizarre qui cache ses pensées.


Une éducation sentimentale, entre lumière et obscurité

Je suis un papillon de nuit
Qui a juste envie de prendre part à ta lumière
Je ne suis qu’un insecte
Essayant de sortir de l’obscurité

Je coïncide seulement avec toi
Parce qu’il n’y en a pas d’autres

Radiohead, All i need

Sans toucher terre traduit aussi avec justesse toute la difficulté éprouvée par le narrateur lorsqu’il ressent des sentiments pour les filles. Il passe souvent d’un absolu à un autre, se confrontant à cet écart entre ce qui est ressenti et ce qui est dit par le langage, à l’image de la relation avec Iisa :

Antti Rönkä renoue avec cette belle écriture introspective des sentiments que l’on retrouve dans l’entreprise autobiographique de Karl Ove Knausgaard, Mon combat, que l’auteur cite d’ailleurs en exergue :

Chaque mouvement que je faisais se transmettait en désignant ma bêtise, chacun de mes mouvements disait : voilà un imbécile.

Karl Ove Knausgaard

Dans son troisième volume intitulée Jeune homme, Karl Ove Knausgaard rappelait la force immuable des sentiments, force que l’on retrouve dans le roman d’Antti Rönkä :

– Les sentiments sont les sentiments, qu’on ait sept ou soixante-dix-sept ans. Ils ont la même importance, tu comprends?

Karl Ove Knausgaard, Jeune homme

L’écriture pour accorder de l’attention

Il n’y a pas d’issue
Tu peux crier et tu peux hurler
C’est trop tard maintenant
Parce que tu n’es pas là
Pour accorder de l’attention

Radiohead, 2+2=5

L’auteur traite avec justesse du harcèlement subi par Aaro, et traduit toute la souffrance mêlée de honte ressentie par son personnage. Il effectue des analepses en revenant sur les années de harcèlement vécues par le protagoniste :

La chanson de HIM citée en exergue traduit bien la douleur produite par ces souvenirs, fonctionnant comme des marques indélébiles portées physiquement et intérieurement par Aaro:

Les souvenirs, pointus comme un poignard
Percent aujourd’hui la chair
Le suicide de l’amour a pris tout ce qui est important
Et a enterré le reste dans une tombe sans nom dans ton cœur

HIM, Killing Loneliness

Cet aller-retour entre son année étudiante et ses années scolaire passées sont autant de façons de mesurer le poids des années et la difficulté à se reconstruire.

Ce premier roman déploie une écriture sensible, juste et empathique qui cherche à donner toute son attention à ces vies blessées et cabossées. Un roman qui rappelle l’importance de prendre soin de l’autre, celui qui est en nous. Cet alien à qui il faut accorder notre attention. Pour qu’il se transforme et devienne un autre :

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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