Sorti en février dernier, ce roman s’est déjà bonifié !

Une cuvée surprenante et délicieuse des éditions Inculte, signée Philippe de Jonckheere.

Un roman enthousiasmant, un Philippe de Jonckheere informaticien, photographe, créateur du site www.desordre.net, multipistes et par ailleurs auteur de deux autres romans : Une fuite en Egypte et Raffut.

Entre autofiction et séance de psychanalyse voici étalée devant nous une auto-analyse à la Jacques Lacan Barthes 2.0…  

Et c’est étonnamment jubilatoire de se frayer un chemin dans cette analyse à l’humour ravageur et à la justesse à la fois étonnante et documentée.

Vie virtuelle et réelle, entre envies et besoins

Sur près de 300 pages, dans Le rapport sexuel n’existe plus, l’auteur est son propre personnage, un narrateur du même nom et d’une même partie de sa vraie vie.

Il s’agit donc pour Philippe de Jonckheere de faire parler Philippe de Jonckheere, son héros, d’une déception amoureuse, voire de la déception tout court, pour le soigner.

L’auteur et/ou le narrateur – cinquantenaire obsédé par l’arrivée de l’andropause qui vient alourdir le bilan de sa vie sexuelle – n’arrive pas à se départir d’une certaine tristesse, même si le drôle émerge toujours.

Le rapport sexuel n’existe plus, contient « Soixante-neuf fois le mot andropause. Vous pouvez vérifier ». 69, petit clin d’œil mutin, oulipien et biaisé.

La quête de soi au jour le jour ?

Nous entrons, dans ce livre, dans les pensées d’un quinquagénaire « obèse mais pas architecte, amateur de musique contemporaine » dont la vie personnelle se voit de plus en plus rêvée voire fantasmée.

Une découverte journalière et diaritisque d’une âme errante, entre érotisme et sentimentalisme, qui détaille et digère ses connaissances.

Bref, un journal-fiction quasi lacanien.

« Bientôt la retraite ?/ Bientôt l’andropause ?/ Mélancolie d’open space. »

Le rapport sexuel n’existe plus, Philippe de Jonckheere

Notre Philippe tend à se sonder en profondeur, se traquer dans les recoins, s’avouer ses plus inavouables faiblesses et se laisse aller à des rêveries érotiques, alimentées par des recherches sur Internet à propos d’une certaine contrebassiste incernable qui aiguise ses fantasmes virtuels.

Deux ans plus tard, le fantasme prendra corps sous les traits d’une musicienne en chair et en os.

Tentative de mise à jour 

Le récit commence en 2022 et s’achève en 2024. Une première distance (auto)fictionnelle dans un récit qui ressemble pourtant étrangement à  un véritable journal intime.  Le mystère s’est installé, le lecteur a donc toutes les questions à se poser et les pensées du narrateur à observer et disséquer.

« Internet c’est étonnant parfois. On dit souvent que c’est une mémoire, c’est tout le contraire, c’est une fiction dont les mises à jour gomment les données les plus anciennes, elles les écrasent, comme on dit en informatique. Car, comme vous savez, je suis informaticien ».

Le rapport sexuel n’existe plus, Philippe de Jonckheere

Il y a l’avant, un « je », il y a l’après, un « tu ».

Tout existe, en mots, en musique, en fantasme, en sourire
Première page, première partie

La première partie du roman évoque / réévoque / révoque / repense à /revit un souvenir. Une musicienne dont il pense avoir été amoureux. Avant. Jessica.

Jessica, Internet, émoi, premier paragraphe
Entrons dans la musique, la danse et le roman

Cette musicienne et son ventre calé contre la contrebasse, un fantasme, sans doute partagé par beaucoup, le narrateur en reste obsédé.  Ce fantasme aurait été déçu par la perversité de la musicienne et notre narrateur esseulé n’arrive pas à affronter le réel, y compris sur Internet où il la recherche parfois, en vain.

« Et je me demande si justement, plutôt que de me raisonner sur le caractère extravagant d’une telle attente de l’existence, et sur le peu de chance de succès d’une pareille bouteille à la mer, je n’ai pas nourri de faux espoirs avec Internet ? »

Le rapport sexuel n’existe plus, Philippe de Jonckheere

Entrer le nom de quelqu’un + son instrument de musique dans un  moteur de recherches est-ce vraiment efficace ? Il ne la trouve pas, il l’imagine sous toutes les formes possibles, acrobate, dompteuse ou comptable.

Internet lui permet donc de dénicher une/la femme, puis le regretter, regretter tout court tous les sentiments qu’il avait cru pouvoir éprouver.

On entre alors dans la seconde partie, celle d’après. Celle où il parle à une/la femme qui n’est pas restée.

De n’existe pas à n’existe plus, il n’y avait qu’un pas.
Deuxième partie

Il fait alors appel à la créativité fantasmatique dont son cerveau est capable. On est dans le conditionnel absolu, celui qui libère, celui qui assaille le réel et aide à vivre, ventre et âme : « Aurais-je désiré Jessica flûtiste ? » – « Nos retrouvailles auraient lieu, un soir, dans un restaurant », « Jessica (…) boirait pas mal – elle ne cracherait pas sur la Gueuze » – puis on se retrouve malgré tout au présent…

Tout cela est-il un échec ?

Une rupture coupante ou guérissante ?

Le narrateur digresse,  entre le cinéma et le jazz, de faux rêves racontés, de pensées déambulatoires, il parle de tout. Lacan revient toujours.

De digressions en plaisanteries le réel revient, de plus en plus lucide, serein, il parle de plus en plus de son quotidien, et des ses enfants.

On s’habitue, on découvre. On s’attache à eux et on sourit. Tout cela nous porte, en rythme, chahuté et chaloupé à la fois.

Dans la tête du narrateur, on navigue au cœur de sa « propension naturelle et inextinguible à la fiction », mais aussi au cœur de son désarroi, pas moins intéressant que son humour.

Désamour ou humour ? De quoi est-il question entre les lignes ?

Il est question de sexe bien sûr, mais plus encore de solitude, de manque d’affection et d’élévation, de stimulation intellectuelle et sensorielle.

Il est aussi beaucoup question de musique, de jazz en particulier, car celle autour de qui tourne tout le roman est une contrebassiste. Mingus, Coltrane et quelques autres (non pas Pat Metheny, pas les autres qu’on n’aime pas écouter) sont là au fil des pages.

Qu’il n’y ait peut-être plus de rapport sexuel ne veut pas dire, bien sûr, que les relations sexuelles n’arrivent plus jamais ; mais que le langage, les mots font la différence entre l’humain, quel que soit son sexe, et l’appropriation dudit sexe.

Une mise à nu de la fragilité lucide

Ce roman est au final une réelle mise à nu sincère, lucide, remplie de tendresse et de fragilité.

Ce récit nous émeut et nous fait découvrir une très émouvante, elle aussi, fragilité masculine. Une fragilité qui est peut-être devenue trop rare en détails et analyse dans les récits contemporains. La souffrance des femmes semble mise en avant, mais celle des hommes qui souffrent et ne peuvent ou n’osent le dire, laissée de côté.

 « Voilà bien la bêtise des hommes, des hommes qui se moquent des femmes quand elles souffrent d’un chagrin d’amour, qu’elles disent en souffrir jusqu’à la douleur physique, qu’elles voudraient mourir, et puis, à 52 ans (…), proie facile du démon de midi, être percuté de plein fouet par un tel chagrin. »

Le rapport sexuel n’existe plus, Philippe de Jonckheere

Une fiction réinventée, un roman réinventeur ?

De quoi et comment sont fabriqués les fantasmes contemporains ? Comment ces fantasmes évoluent-ils dans un corps qui avance en âge ? Comment reprendre pied après l’épreuve de la blessure ?

Par ce récit plein d’autodérision, Philippe De Jonckheere rebat les cartes du viril et du plaisir tendre ou non, déconstruit les signes de la libido pseudo universelle  de la masculinité.

Dans l’époque actuelle, cette espèce d’amour passion, d’amour romantique, n’est plus à la mode (…) Ce qui apparaît obscène aujourd’hui, ce n’est pas la sexualité , c’est la sentimentalité . 

Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes

La question reste de savoir si le rapport sexuel existe encore, peut-être que oui, peut-être que non,  pourrait-on dire. On pourrait même, face à cette question et sa non-réponse, crier « tant mieux » !

En effet, cela permet à de si jolis romans, intelligents et novateurs, de décrire les déroutes et les déconvenues, avec un humour et une gravité dévastateurs et mélangés.

Cela permet à la pensée de se bonifier dans une fiction toute en finesse et en justesse délectables, que nous pouvons, donc, en nous léchant les babines, lire.

Alors, LISONS !

« Ce que les dieux trouvent sublime, plus merveilleux
que tout, c’est quand l’aimé se comporte
comme on attendrait que se comportât l’amant.»
Jacques Lacan (1901-1981, psychanalyste français)

L’auteur nous fait découvrir le livre par sa contre-bande sonore, musicale, visuelle, cinématographique ou littéraire dans un espace dédié du site de Philippe de Jonckheere.  http://www.desordre.net/rapport/

Il en parle lui-même, de surcroît, très bien dans une rencontre, animée par Camille Thomine, à la Maison de la Poésie https://www.youtube.com/watch?v=OeCHjAw7BD8

Cet article a 2 commentaires

    1. Margot

      Touchée par ce commentaire de votre part. Chroniquer un auteur pourrait-il faire espérer mieux que le toucher par des mots !?
      Un grand merci, donc, pour votre lecture, aussi.

Laisser un commentaire