La lecture des Pierres de Roger Caillois

Les pierres, du joyau à la géode renfermant un univers de cristaux, n’ont de cesse de fasciner l’imagination humaine.Alors que la litothérapie emporte de plus en plus d’adeptes, les écrits de Roger Caillois regroupés dans La lecture des pierres, nous plongent dans l’interprétation poétique des pierres. La mise en page de l’ouvrage alternant page blanche et reproduction des tranches de cristaux à échelle réelle, invite à la contemplation.On prend le temps de savourer la plume de R. Caillois, de s’enfouir dans les univers veloutés de l’agate.

A travers l’histoire de ce goût pour l’interprétation des dessins cristallins, on découvre les secrets de la formation de ces merveilles naturelles. R. Caillois nous berce dans un univers de dendrites de manganèse, de nodules silicateux, d’infiltration d’agate et de cristaux de quartz. Sous sa plume, la chronologie de l’agrégation des pierres semble nous conter la genèse de notre cosmos avec ses entités divines et son chaos.

Le dessin singulier d’une agate me conduit soudain à extrapoler follement, à poursuivre jusque dans le travail obscur de la pierre à l’aurore des temps, les traces de semblables avortements. Les échecs qu’ils perpétuent deviennent pour moi, par leur bizarrerie même, d’éloquents présages.

L’ouvrage commence par Pierres, écrit en 1966. L’auteur nous relate l’influence des roches atypiques et de leurs dessins sur les sociétés humaines de la chine du XVIéme siècle à l’Italie de la Renaissance.

Le personnage de Mi Fou, un fonctionnaire de l’empire T’ang de la Chine du Xeme siècle apparaît sporadiquement dans les récits de Caillois. On reconnaît de sa part une fascination pour cet être fantasque, habité par ses pierres. L’orientalisme est un motif qui se retrouve tout au long du livre. Le recul de la culture chinoise face aux merveilles gratuites de la nature évoque les Stèles de Victor Segalen.

Les marbres toscans dessinent des mondes de redents ocres et terres aux ciels torturés de jade que les peintres du XVII siècle ont peuplé de figures antiques. Les formes caractéristiques de ce marbre évoquant les débris d’une cité enfouie lui ont valu son surnom de « Pierre-aux-masures ». On trouverait les plus beaux de ces tableaux sur pierre dans L’opificio delle pietre durre à Florence. Roger Caillois décrit un tableau inspiré par la Divine Comédie de Dante

Les flammes rouges ressortent sur l’ocre foncé aux arborescences noires que les corps nus des damnés parsèment en même temps de tâches blêmes. Il existe comme une connivence manifeste entre les étages du royaume souterrain des supplices et la genèse d’une pierre extraite elle-même des profondeurs du sol et torréfiée à la chaleur de quelque brasier inhumain.

 

Ensuite dans L’écriture des pierres, parut en 1970 le lecteur se trouve dans le laboratoire d’interprétation de Roger Caillois. Telle infiltration d’agate dans le quartz évoque le doublon des jumelles, tel liseré blanc l’écume sur le sable de la calcédoine.

Enfin Roger Caillois ne nous parle pas en géologue décrivant dans le menu détail la formation de chaque cristal, il ne nous parle pas en mystique, du pouvoir des variétés d’agates. Il rédige en poète les étapes de son voyage dans l’univers paradoxal des cristaux et nous invite par sa prose cristalline à nous aussi se perdre dans la contemplation des dessins torturés de la surface des pierres.

La fine dentelure trace la frontière d’un champ de forces qui vient expirer là. Elle rappelle l’ourlet de nacre et de varech, de coquilles broyées et d’algues errantes qui trahit le long des plages l’avancée la plus profonde de la marée, là où s ‘envolent au moindre souffle et s’éparpillent avant de se dissiper, des essaims évasifs de flocons irisés

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