L’apparence du vivant, c’est un premier roman, et un premier roman ô combien étonnant.

On l’ouvre et on sent immédiatement qu’on va être … étonné, surpris, dérangé, séduit, fasciné, tant ce roman va nous surprendre.

Ce roman de Charlotte Bourlard se passe à Liège, ville qu’elle connaît en profondeur et en nuance, puisqu’elle y est née. Et il n’est pas sans rappeler « Le nécrophile » de Gabrielle Wittkop, sérénissime plume subversive, tout en étant bien différent, c’est toute sa qualité, aussi.

Un dense talent funèbre, mais d’une jubilation rare, qui sait orchestrer les mots avec maestria et dont la stylistique et la poétique tutoient les ténèbres. Un roman qui porte les thèmes de la mort, de l’entre-vie, de l’entre-mort au centre de son intrigue. N’est-ce pas le cas de toute vie ?

Le vivant a-t-il une « apparence » ?

Qu’est-ce que « L’apparence du vivant » ? Ce qu’on veut, ce qu’on croit, ce à quoi on veut faire croire grâce aux produits chimiques ? Ce qu’essaie de donner, en apparence, la taxidermie à un cadavre ? La vie, « le vivant, » est-ce une façon d’éterniser les corps ? La taxidermie est loin de passionner tous ceux qui aiment observer la vie. Pourtant.

La première page, le prologue, annonce déjà la trame. La mort est là, et bien là : en mots, en couleur, en description, en image, en odeur. Le petit conte cruel belge peut commencer.

Qui est la narratrice ? Et que cache -t-elle ?

Une jeune photographe, en rupture avec sa famille et la société, fascinée par la mort, est engagée pour prendre soin d’un couple de vieillards, les Martin, propriétaires d’un ancien funérarium, une maison figée par le temps, dans un quartier fantôme de Liège, soustraite aux regards par de hauts tilleuls.

Captivée par ce décor, la jeune photographe s’est installée dans la demeure de ces riches retraités qui vivent reclus dans cet ancien funérarium, dans lequel on trouve une collection d’animaux naturalisés, fruit d’un travail de toute une vie.

La valse macabre peut commencer, il y aura trois temps, trois parties après le prologue, et chaque pas, chaque détail importera !

Madame Martin tient à enseigner son savoir-faire à sa protégée. La jeune femme apprend donc, patiemment, minutieusement, l’art de la taxidermie, mais sur toutes sortes de cobayes.

Elle aurait pu être attirée par la thanatopraxie, cette pratique qui préserve l’intégrité du corps humain (hors fluides), mais elles préfère apprendre à recréer la forme de corps de défunts en utilisant uniquement la peau et certains éléments de la créature qu’elle recrée.

Elle aime apprendre à croiser ce qu’elle vit, sait et voit. Et quand elle apprend à naturaliser des corps, on sent qu’elle se prépare à la possibilité prochaine d’accomplir son Grand-Œuvre.

L’ancien funérarium a été vendu. Il faut aussi tout nettoyer, tout ranger, tout désinfecter. Préparer la suite. Allier la mort, l’argent et la vie est un destin à accomplir, parfois.

Madame Martin et sa demoiselle

Pour la narratrice, la famille est un problème. Et si elle est fascinée par la mort, c’est qu’elle a passé sa vie entourée de morts auxquelles elle a malgré elle assisté.

Entre elle et madame Martin naît une complicité tendre, sous l’observation immobile, muette et cireuse de monsieur Martin. Lors de leurs promenades au bord du canal, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Ce serait bien mal les observer, les écouter et les regarder vivre entre elles.

La jeune photographe a toujours été fascinée par la mort et s’est spécialisée dans la photographie de personnes âgées posant nues devant elle. Mme Martin a une conception très particulière de la mort et ne souhaite pas quitter ce monde sans jouir de ses derniers instants, serait-ce au prix de quelques caprices.

Une relation qui ressemble à celle d’une mère avec sa fille, où le jeu et la confiance savent être en osmose et sans aucune retenue, mais aussi à celle d’un élève avec son professeur : « Je suis une élève douée. »

Et madame Martin réussira à faire mettre la main à la pâte à son invitée et à lui faire découvrir ses techniques de taxidermie : il y a le scalpel, l’écharneuse, l’insuline, le borax, l’acide sulfurique, le detof, des pinces, des bassines, des ciseaux, des pinceaux, et du polyuréthane pour le moulage, de la terre glaise, des ficelles, de quoi coudre de quoi nettoyer…

Certains passages sonnent comme des modes d’emplois, des recettes, des méthodologies, au croisement de celles d’un médecin légiste, d’un sculpteur, d’une maquilleuse et d’une couturière, pour (re)donner un semblant de vie à des êtres défunts.

Où est monsieur Martin ? Et les autres personnages ?

Monsieur Martin est tombé au pied de la cheminée. Ça fait cinq ans. Il s’est agrippé au divan, puis il a flanché. madame était en train de préparer des pains perdus. Elle a appelé les secours. Les pains perdus ont cramé, monsieur est devenu un légume. Elle n’a jamais voulu le lâcher. Elle veut continuer à l’aimer.

« L’apparence du vivant », Charlotte Bourlard

Le thème de la mort tient dans ce roman un rôle central. N’est-ce pas le cas de toute vie ?

Même s’il pourrait sembler un peu lugubre, le scénario tient parfaitement la route et on est emporté par la danse menée par Charlotte Bourlard dans ces pages, une danse macabre non dénuée d’humour noir !

« A Noël, les funérariums sont remplis de suicidés et de cancéreux qui ont mis longtemps à mourir. Pendant 45 ans, monsieur et madame Martin n’ont jamais pris un jour de congé. Ils ont aimé prendre soin de morts. Ça leur évitait de devoir partir en vacances »

« L’apparence du vivant », Charlotte Bourlard

Des personnages tournent donc en ronde autour de madame Martin et la jeune fille qu’elle semble avoir adoptée. Sont ils vivants, vont-ils le rester ?

Le jeu entre madame Martin et la jeune photographe, semble être un passage de relai de génération à génération qui n’est ni familial, ni gratuit, ni désintéressé.

Et à travers un jeu de noirceur nécrophile, fantômatique et gothique, le fil conducteur essentiel reste celui de la relation si particulière entre les deux femmes, entre la vie et la mort, entre les pensées de l’une et le décharnement de l’autre, les rires de plus en plus réels et sataniques, et leur relations avec les oiseaux, les chats, les chiots, les passants, Jozef, Marin, Auguste, monsieur Desoteux, Suzanne, Les Rois maudits, WillyWanker, les Clash, un jeune qui passait par là…

La ronde va commencer : accrochez-vous, et lisez-la ?

L’apparence du vivant regorge d’images, de fixations visuelles de scènes uniques et photographiques décrites avec minutie, comme si la photo était composée puis développée sous nos yeux.

Les scènes sont élégantes, décrites avec des détails exacts et un gestuelle précise, les couleurs sombres sont veloutées, entre anthracite, vers de gris et pourpre, les cendres sont partout, la poussière est la beauté.

On se promène dans un Liège lui aussi immortalisé : Le zephyr, La bouée, le canal Albert, le Pont Saint Léonard, Le Faraday…

Les scènes macabres semblent toujours entourées d’un rire satanique doux et feutré, et l’ironie de la narration est faite de velours et de papier de verre, à la fois.

Et pour couronner le tout, des morceaux de musique classique jalonnent ce roman, comme une parfaite bande originale : des concertos strasbourgeois de Bach, le concerto « Jeune homme » de Mozart, le troisième concerto pour piano de Rachmanikov, la première symphonie de Brückner, La Traviata….

Ecouter ces morceaux en lisant viendrait parachever la perfection de la lectures en cours !

Une histoire qui sonne comme un hommage à d’autres lectures aussi troublantes que délicates, de Daphné Du Maurier à Gabrielle Wittkop en passant par Ann Radcliffe…

Un livre d’embaumement, de crémation, de taxidermie, emportant, jusqu’à la dernière recette qui sonnera comme un bouquet final !

Un roman radical, d’où émerge, à travers la noirceur et la cruauté, beauté, malgré tout, et douceur même si âpre ou aigre de la complicité filiale.

Le fric et les sentiments sont les mobiles préférés des meurtriers. Deux points pour nous.

« L’apparence du vivant », Charlotte Bourlard

CECI EST DONC UN PREMIER ROMAN TRÈS SURPRENANT ET DÉROUTANT ! ET C’EST UNE BELLE QUALITÉ D’ÉCRITURE QUE DE RÉUSSIR CELA !

Alors…. Rendez-vous à partir du 5 janvier en librairie !

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