Un roman qui étonne, dépayse et déroute, tout en faisant sourire par ton talent sarcastique et le thème obscur dont il se repaît ?

Oui, bien sur, c’est possible. Et en ce moment, c’est particulièrement délicieux !

L’autre femme, déjà le titre trouble. Un roman noir qui porte ce titre, on pense tromperie, jeu double, jeu de l’amour et du hasard, marivaudage et enquête policière, mystère et boule de gomme. Et… on n’est pas loin, vous allez voir.

Et les éditions Quidam nous ayant habitués à être surpris, c’est avec confiance qu’on se saisit du livre et qu’on le lit.

Le titre est original et joue sur le double sens, avant même la première page. « Mujer equivocada« , le titre hispanique, renvoie à la fois à « une femme qui commet une erreur » et « qui est prise pour une autre ».

Double sens, double femme, double-jeu, intrigue joueuse et duelle, auteure talentueuse double-face ?

Un roman noir déroutant qui nous emmène en Uruguay

L’auteure, Mercedes Rosende est née en 1958 à Montevideo. Juriste spécialisée en processus électoraux, elle a également été syndicaliste, enseignante, et chroniqueuse dans divers médias.

Récompensée par de nombreux prix en Uruguay et en Argentine, elle vis désormais en Espagne et sera présente à la prochaine édition du Quai du Polar.

L’autre femme est le premier titre de la trilogie d’Úrsula, dont on espère dès le début de la lecture que les deux autres titres seront publiés prochainement.

Mais qui est cette autre femme, Úrsula ?

Úrsula López n’est plus très très jeune, elle a la quarantaine, elle n’est pas mince, elle n’est pas riche, elle n’est pas mariée. Elle a un travail qui est ce qu’il est, elle bosse un peu dans la télé-réalité, actrice à la petite semaine, quand elle n’exerce pas son métier de traductrice, et elle vit dans le vieux centre de Montevideo.

Elle n’est pas très heureuse, mais il est des moments où être différent de la normalité ne peut pas rendre heureux, puisque le regard des autres pèse incroyablement sur toutes les sensations.

Úrsula participe aux réunions des Obèses anonymes.  Aussi. Entre autres.

Être grosse, ce n’est pas juste être grosse, ce n’est pas être en surpoids et avoir du mal à grimper les escaliers, ce n’est pas la taille qui disparaît ni le double menton, ce n’est même pas la santé en danger, c’est l’humiliation permanente, la colère dissimulée, ce sentiment selon lequel il n’y a pas de pitié et encore moins de justice pour qui est différent.

« L’autre femme », de Mercedes Rosende

Un soir, un appel téléphonique va peut être faire bifurquer sa route vers la revanche qu’elle ne savait pas encore qu’elle espérait.

Un kidnapping va faire tourner le vent

Le téléphone sonne. À presque minuit ? Dans cette maison, il ne sonne presque jamais. Encore moins à l’heure des vampires. Je le regarde, comme on regarde un insecte, un cafard, une araignée descendue du plafond et qui s’est posée sur le lit, juste sur l’oreiller.
– Bonjour.
– Ursula Lopez ?

La voix est étrange, métallique, déformée. Je suis parcourue d’un frisson qui se mêle à l’odeur de la soupe de légumes.
– Oui.
– Nous tenons votre mari.
Rien ne sort de ma gorge, pas un son. Mon mari ?
Quelle voix étrange.
– Nous tenons Santiago.
– Santiago?
– Oui, votre mari. Je vous attends dans une demi-heure, bar Los Tejos, à l’angle des rues Dieciocho et Ejido.
Silence à l’autre bout de la ligne.
– Allô ? Attendez…
Clic.
Nouveau silence.
Quel mari ?

« L’autre femme », de Mercedes Rosende

Ce coup de fil est l’irruption dans sa vie d’un kidnapping foireux. Un certain Germán lui réclame une rançon pour libérer… son mari.

À quelle Úrsula vous adressez-vous ?

Alors, Úrsula découvre qu’elle a une homonyme mariée à un richissime entrepreneur qui a été kidnappé. Et les kidnappeurs n’imaginent même pas qu’ils puissent s’être trompés de personne, puisque c’est le bon nom. (Sarah Connor ? Non, Úrsula Lopez )

Úrsula comprend vite le profit à tirer de la situation… et sent que le vent va peut-être bifurquer si elle réussit à nourrir son plan machiavélique, qui, par manipulation et jeu avec la confusion, lui offrira une cinglante revanche sur la vie.

Une rançon plus importante sera exigée, une proposition de suppression définitive du problème, un surenchérissement s’ensuivra et tout s’embrouillera, il faudra éclaircir tout ça, on sent qu’une enquête devra se mener.

Et le jeu de rôle cynique, absurde et jouissif peut commencer !

On s’est dit qu’on allait lire un polar. Mais on ne sait plus, au fil des pages.

L’intrigue est rythmée par les journées, puisque le roman en compte une à chaque chapitre, donc sept. Et « un mois plus tard » sera le titre du dernier chapitre, épilogue, qui expliquera tout comme une conclusion incroyable, un retournement de situation, un dénouement surprenant, une révélation, un coup de théâtre, ou pas.

On sent qu’il faut continuer, parce que c’est fou, tendu, drôle, tout s’emmêle comme une pelote. Une recette parfaite du roman qui prend aux tripes : on doit tourner les pages, sinon on restera sur sa faim !

Alors on continue et on s’aperçoit qu’on lit une délicieuse intrigue dont l’absurdité cynique nous réjouit. Vraiment.

Il y a dans ce livre un ton légèrement décalé qui balance entre noirceur et dérision. Les dialogues sont tout à fait réussis et dignes des meilleurs films d’Almodovar ou de Scorcese.

Et Úrsula, qui a forgé son caractère au fil d’humiliations, de souffrances, de moqueries ou de mépris, nous touche terriblement.

On a envie de la voir se venger, avouons-le. On se dit qu’elle le mérite. Et l’ironie de la vie en fait sous nos yeux une manipulatrice hors pair et quasiment insoupçonnable. Quasiment.

On se laisse transporter à Montevideo, la nuit, entre la beauté de la nuit sordide et l’histoire désarçonnante, on est happé et séduit.

Un roman qui ne respecte aucune norme et s’en moque, n’est-ce pas un vrai délice ?  

Derrière le genre romanesque affiché par ce roman, il y a le franchissement affranchissant des règles d’écriture, passées allègrement.

Un roman kaléidoscope, qui déconstruit et construit les angles de vue de chaque personnage du réel et de lui même, et, au final, tous jouent un rôle et manipulent celui qui croyait les manipuler.

Et tout ça pose tout à fait habilement des questions existentielle, l’ironie est poussée à son extrême : qui on est quand on n’est pas soi dans le regard des autres, quand on évite les miroirs, quand on comment un crime magnifiquement raté de bout en bout, tout ça dans un roman qui se moque de tout, touche à tout, et émeut par tous ses personnages en les rendant aussi ridicules que touchants ?

Le double sens et l’ironie ? La base, pour ce roman.

Le moteur est le doute, le doute, le quiproquo ;  l’illusion et la duplicité des choses.  Car les choses vont se retourner. Évidemment. Mais on ne sait pas dans quel sens. Ubuesque ou sordide ? Ursula est duelle, une seule, folle, schizophrène ou bipolaire ? Mais combien sont-elles, les Ursula ??? La lecture vous le dira !

On a beau avoir dans ce roman accès à l’esprit multiple en mosaïque d’Úrsula, on souhaite aussi, d’un autre côté, éviter d’avoir à saisir ce qui se laisse discerner, dans cet esprit…. Mais on continue à lire, car « aujourd’hui, plus personne n’est maître de son esprit« 

Si je réfléchis bien, le surpoids est arrivé en catimini, presque à mon insu. Non, c’est faux. Un jour, c’est un bouton qui serre, un autre, tu as du mal à remonter une fermeture éclair et, pris séparément, aucun de ces éléments n’a de signification : je gonfle à cause des règles, des gaz, de la rétention d’eau. Et si je couvrais un fibrome ? Il n’y a pas si longtemps, le médecin jugeait mon IMC équilibré. Vous vous situez dans une moyenne saine, a-t-il dit. Quand la santé a-t-elle pris le pas sur la beauté ? À partir de soixante-dix, soixante-quinze kilos ? Depuis quand se soucie-t-on d’avoir une taille, des jambes et des hanches saines ?

« L’autre femme », de Mercedes Rosende

« L’autre femme », de Mercedes Rosende, Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Marianne Millon, Quidam éditeur, collection « Les âmes noires », 238 pages.

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