C’est l’hiver et cette année on assiste à une bien belle avalanche de romans… Si on a de la chance, on peut passer devant ce livre, le regarder, et trouver que la couverture est belle. Un bleu lumineux, un vert impérial, on voit le ciel, on voit des arbres, on lit le mot « peintre » et on se dit qu’on a envie de ça. De couleur, de douceur, de lumière, de beauté, d’art. Et ce livre est tout ça, point par point et dépeint une vie debout, un pinceau à la main. Alors, on se dit qu’on va le lire !

C’est le récit d’un destin singulier qui semble universel. Et il est magnifique, ce récit lui aussi singulier : touchant, émouvant, lumineux et sa beauté échappe aux mots.

Une auteure aux multiples facettes

Noëlle Renaude est dramaturge, figure majeure du théâtre français contemporain, auteure d’une trentaine de pièces, parmi lesquelles Ma Solange, comment t’écrire mon désastreAlex Roux ou Madame Ka. Elle est aussi l’auteure d’un roman noir, un récit d’apprentissage : Les abattus aux éditions Rivages, prix Transfuge du meilleur polar francophone 2020.

Et elle nous offre en ce début d’année ce très beau, très visuel et poétique roman, P.M. Ziegler, peintre, aux éditions Inculte, qui nous plonge dans l’univers du peintre dont le titre est simplement le nom et le métier. Tout est clair et annoncé.

Un roman qui remonte le temps et la vie de P.M. Ziegler de manière étonnamment apaisée et pleine de joie par moments, car si « le monde en général lui va mal », « il est (pourtant) bien comme il est dans ce monde qui ne lui va pas ».

Ce roman nous emmène admirer le paysage d’une vie passée le pinceau à la main, pour en éclairer le mystère et nous en faire arpenter la beauté.

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Métier de peindre, métier de vivre ?

Né en 1950 dans le Finistère, Pierre-Marie Ziegler est le constructeur d’une vie de peinture à double lecture, comme beaucoup : abstraction, sensation, paysagisme, mélangisme, peinturisme, figuration, fulguration.

Sa vie est peinture : il a rempli un nombre infini de carnets, il a peint en série et a décliné ses pensées et ses vues en utilisant un matériel et une base volontairement réduits.

Il a été le mari de Noëlle Renaude pendant plus de 40 ans et le père de Julien Ziegler, peintre lui aussi, auquel ce roman est dédié.

Et comme le titre minimaliste le dit : ce livre est sa vie, vue par celle qui l’a partagée. Car elle l’a regardé vivre, travailler, marcher, réfléchir, fuir, douter, manquer de tout et profiter de ce qui vient, du présent et de son sens de l’observation détaillé, aussi.

L’eau était un élément suffisamment instable pour qu’il l’affronte avec calme.

Les drogues étaient un élément suffisamment instable pour qu’il les aborde sans crainte.

L’angoisse était un élément suffisamment instable pour qu’il s’y sente chez lui.

Le réel solide et stable, lui, qui ne flottait pas, était une zone à risque.

P.M. Ziegler, peintre, de Noëlle renaude

Le roman d’une vie qui n’est pas forcément une biographie

On entre dans la vie de P.M. Ziegler comme on entrerait dans sa tête. De sa naissance à sa mort. Mais il y a des ellipses, on ne sait pas tout, il n’y a ni date, ni lieux précis, ni généalogie ni idéologie. On voit, on admire, on ressent, car c’est l’émotion qui porte ce livre.

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P.M. Ziegler semble être voué à un destin pré-écrit : pour lui la peinture, le réel, la vue et la vie sont unis puisque sa mère l’a décrété « Il sera peintre ».

Tout le ramène à la peinture, du croquis à la toile, du châssis à la trame d’une vie. Il est entouré de matériel : pinceaux, brosses, spalters, pots, siccatifs, pigments, liants, pastels, cartons, tubes, gestes, habitudes, observation, intelligence, singularité, sensibilité… Il observe tout et garde tout dans un coin de l’oeil. Il deviendra « peintre, en bâtiment, décorateur, artiste, copiste, faussaire peu importe mais peintre, passer quoiqu’il arrive sa vie le pinceau à la main ».

Peindre peut être amener le réel devant soi pour réussir à s’y insérer quand on a un sentiment intense et profond de ne pas pouvoir s’adapter au réel tel qu’il est.

Car on le sent inadapté. Démuni. Pauvre aussi. Menacé. Mais pas seul. Il a rencontré la peinture et sa femme. Entre autres.

La peinture, quand il décida d’en faire sa vie, ne l’était pas encore, mais n’allait pas tarder à devenir suspecte, puis haïssable, l’odeur haïssable, la matière, le geste, tous les éléments physiques et sensibles devenus haïssables.

Il fallut donc être têtu pour décider puis continuer d’être peintre quand tout annonçait que la peinture allait mourir.

Mais la peinture a la peau dure.

Et les peintres aussi.

P.M. Ziegler, peintre, de Noëlle renaude

Un homme sensible, fragile, sans mots, armé de pinceaux

P.M. Ziegler, peintre raconte la vie de cet être pour qui l’art de peindre est devenu la vie, le cheminement personnel en est empreint : il existe parce qu’il peint, il peint parce qu’il existe, sa vie est un « acharnement à peindre » puisque c’est la peinture, justement, qui fait que ses yeux savent exprimer ce qu’ils voient et rendent cette vie supportable.

L’art n’est pas un refuge, c’est un combat avec une préparation nécessaire, le temps de s’imprégner du réel pour « arriver à se poser calmes et droits debout comme des gamins au piquet devant une surface vide » et l’art peut être une perpétuelle remise en jeu pour rendre visible ce que tous n’arrivent pas ou ne sont jamais arrivés à voir, penser, imaginer ou même être.

Peindre c’est savoir incarner et rendre visible aux autres ce que peut-être seul notre cerveau voit.

Peindre, c’est à la fois ce qui sauve et ce qui fait tomber, se mettre en danger, ce qui assouvit et qui dévore un même besoin, dans un même mouvement.

Une écriture observatrice mais discrète, qui éclaire une vie et la rend limpide, en toute humilité

P.M. Ziegler, peintre est un récit fragmenté qu’on lit comme des tableaux « à double lecture, figurative et abstraite », une mosaïque pointilliste de morceaux, de tranches, de « copeaux d’existence« , rassemblant les éléments bucoliques ou anodins d’une vie de peintre, de couple aussi, de famille, de paysages et de méandres, nous tenant à bonne distance, la distance qui convient pour admirer cette vie d’une limpidité extrême, remplie de fulgurations qui éclairent.

Sous des airs de scènes banales, ces détails racontent l’essentiel, sous nos yeux qui n’en perdent pas une miette. Le titre minimaliste dit l’important : le nom, le métier. On découvre une vocation qui sonne aussi comme une parenthèse, une liste d’instants de vie que l’auteure brosse d’un trait précis et sans plonger, jamais, dans la tristesse et la douleur.

Le peintre et sa femme vivent une vie, ensemble, ils travaillent ensemble, ils voyagent, marchent en montagne ou dans de beaux pays, ils observent ensemble, elle a ses mots, il a ses pinceaux. Et nous les découvrons. On suit P.M. Ziegler sur le chemin de quête de beauté et de peinture, on vit avec lui, on travaille avec lui, on partage, on compatit. On découvre. Et on vibre.

Et ironie : le choix de mots Noëlle Renaude semble parfaitement épouser la vie et le mystère du peintre et ce livre dépeint sa vie comme si « la proximité du peintre » et de son pinceau avait déteint sur l’écriture et la plume pour raconter à distance l’être aimé.

Un magnifique roman, émouvant et contemplatif, intense et précis

Ce livre est une histoire à la fois infiniment touchante et sublime, un hymne à la beauté simple et proche, sensible et c’est là le noeud de la beauté.

C’est aussi un grand texte d’amour, oui, et tout le talent de l’auteure et de ne faire u-aucune déclaration mais de nous emmener traverser la nature avec P-M. Ziegler, peintre, à s’y sentir heureux, apaisé ou bloqué, à aimer ou détester le réel avec lui.

Et à rester silencieux, émerveillé devant tant de beauté.

Comme on peut l’être ensuite, nous, en découvrant ses peintures, si ce n’était pas déjà fait, sur son site .

Si je pouvais nommer les choses, je ne les peindrais pas, a dit je ne sais plus qui.

Sa variante à lui était, à quoi sert de connaître le nom des choses pour parvenir à les peindre ?

La peinture ne jaillit pas des mots. On se demande bien d’où elle jaillit, d’ailleurs. Sans le peintre, elle resterait à jamais inerte. Au peintre de la faire venir. Et d’en faire ce qu’il veut. Surtout s’il est seul dans sa tranchée.

Alors il peint. Sans hâte, sans préavis, sans relâche.

P.M. Ziegler, peintre, de Noëlle renaude

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