Une petite découverte d’un auteur et de son premier roman ? Oui. Et pas n’importe lequel !
Une sorte de mosaïque de personnages et d’images associées, un Pancho Villa aveyronnais, un Don Quichotte rodézien, un sous commandant Marcos de rond point ou de pavillon, un dramaturge au sens du dialogue tellement prenant et expressif qu’aucune phrase n’a a être ponctuée de « dit-il », « répondit-il », « pensa-t-il à voix basse », car sa voix à lui, elle est multiple, solo, guide, choeur, orchestre, scansion et trémolos, elle est tout, à tel point qu’on se demande si elle est réelle, tout comme celle des alterno-zapatistes qui vont s’agglomérer autour de lui !
Une superposition sans surexposition ! Les grands mythes révolutionnaires mexicains plaqués sur la laideur du Grand Rodez, zone périurbaine victime de l’étalement urbain, tout ça insurgé et occupé par de nouvelles formes de luttes sociales investies d’un pouvoir de modification de la réalité, la realidad. En avant !
Déjanté, ubuesque ou jubilatoire, ce « Rodez-Mexico » ?
Tout ça, bien sûr, et bien plus encore, il n’y a qu’à regarder la couverture pour comprendre !
Bienvenue dans « Rodez Mexico », un roman dont il est difficile de savoir qu’en dire, puisqu’il nous emporte dans la réalité mise en abîme d’elle-même, ou bien dans les illusions sans masque et sans faux semblants, mais avec des passe_montagne pour être sûr que le vrai message, la vraie lutte, pure et profonde, passera ? Un roman qui donne envie de crier en collectif « Ya Basta », aussi, comme tout Zapata qui se respecte et respecte son entourage !
Oui, oui, vous avez bien lu, un roman atypique et tourbillonnant, le roman de rage éveillée et de prise de conscience, ou de perte du réel, la limite est ténue, un orchestre de lutte et de subversion burlesque et hallucinante, voire hallucinatoire, une révolte contre l’impitoyable normalisation, supposée modernisation, des zones où l’on vit mais où l’on ne devrait que se soumettre et laisser le fric avancer partout, une histoire de renversement et de Realidad.
« Est-ce que ma vie me plaît ? » Il ne s’était jamais posé cette simple question. Jusqu’ici, il n’avait jamais envisagé l’idée qu’une autre vie était possible ni même d’ailleurs songé à voyager — encore moins à déménager dans une autre ville. Contrairement à son paternel qui ne vivait que pour son travail, il n’a aucune ambition professionnelle. L’idée même d’un plan de carrière lui donne de l’urticaire. Son désir se limite à en faire le moins possible.
« Rodez Mexico », de Julien Villa
Oui, en effet ceci est un roman follement mixte et déconcertant, un premier roman, oui, mais ô combien étonnant, virevoltant et réjouissant pourtant.
Qui est ce Julien Villa qui porte le même nom qu’un célèbre Pancho ?
Julien Villa est comédien, formé au Conservatoire du Ve Arrondissement de Paris puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, metteur en scène et dramaturge, Après le succès de sa première pièce, « J’ai dans mon coeur un General Motors », il met en scène et écrit en 2019 son deuxième spectacle : « Philip K. ou la fille aux cheveux noirs ».
Cette création est une partie de la trilogie des Don Quichotte qui continue avec « Rodez-Mexico », ici roman, mais qui deviendra spectacle, d’écriture aussi : « des contes présentant des chevaliers du réel, des bouffons, arpentant chacun une époque, dans l’histoire de la société capitaliste ». (Dixit l’auteur)
Et là, vraiment, dès les premières pages, Julien Villa joue de son talent pour la mise en scène brute et viscérale, son talent aussi pour le dialogue et nous réjouit avec le lyrisme inspiré de son héros. Et la zone secondaire occupée s’installe en scène réelle devant nos yeux !
Le roman porte, en plus du reste de ce qu’il nous raconte, la géographie folle dès la double page présentatrice du roman et du lieu en miroir où nous emmène la guerilla qu’on s’apprête à lire !
Le sous-commandant de Rodez, un révolutionnaire de seconde zone ?
Faisons donc la connaissance de Marco.
Marco mène une vie paisible dans son petit pavillon rose saumon avec sa mère. Entre son travail de jardinier pour la mairie, ses potes, le quotidien et l’ennui frisent l’apathie, à part lors de quelques soirées bien arrosées et quelques pétards. Mais attention, évidemment, un personnage pareil dans un roman pareil, peut faire tout basculer !
Une soirée, il aura pas une révélation, mais LA révélation : il tombe par hasard sur un film du sous-commandant Marcos pendant la révolte du Chiapas au Mexique.
Et soudain, pour lui, tout s’est éclairé : lui, Marco, agent communal près de Rodez, se découvre révolutionnaire; habité par un destin, par une vocation. Le sous-commandant Marcos, zapatiste qui a milité aux côtés des révolutionnaires au Chiapas, le regarde, sous son passe-
montagne et il comprend qu’il est son double transposé dans l’Aveyron.
Le théâtre et son double : Marco, Marcos, Artaud ou Zapata ?
La sensation d’avoir rencontré son double le bouleverse : il se passionne pour la pensée révolutionnaire, pour le Mexique, pour Marx et consorts, la théorie de la valeur contre celle de l’argent lui ouvre un nouveau regard et un intérêt vital pour tout ce qui touche de près ou de loin à cette insurrection, jusqu’à en perdre le sommeil.
Et cette révélation obsédante tombe bien, car une sorte de guérilla urbaine agite les plus obscurs recoins de l’hexagone, une canicule inattendue en janvier, de surcroît; titille la raison, demande documentation. Alors, il va lire, éplucher, dévorer pour comprendre, tout savoir. Des mois durant.
Et, cerise de la guerilla sur le gâteau explosif, Marcos reçoit un avis d’expulsion du pavillon hideux dans lequel il vit, afin que la municipalité puisse continuer son projet d’aménagement de la zone d’activité commerciale.
Qu’à cela ne tienne ! La révolte grondait, il ne s’en rendait pas tout à fait compte, mais là ça y est, il a trouvé un double pour le guider, ça suffit, tout ça, il faut le crier… YA BASTA ! Marco est Marcos tranposé à Rodez, mais oui, et les acteurs de ce drame du passé qui conduisit Zapata et Pancho villa à rassembler une armée de libération des peuples autochtones du Chiapas doit se reproduire, ici et maintenant !
Marco est Marcos, et lève lui aussi son armée, à Rodez, veut éviter la démolition de sa maison familiale et celle d’autres, aussi !
Une occupation (de pavillon, de rond point, le rond point le plus proche de sa maison familiale, oui,oui), une rebellion, une insurrection, tout ça ensemble, comme un nous transposé revigoré, oui C’EST PARTI !
Où va-t-on finir, si on suit tout ça ?
Alors, oui, ils vont l’occupercette zone à défendre, pour résister. Et ils seront de plus en plus nombreux, de plus en plus loufoques ET de plus en plus pris au sérieux.
On suit avec le sourire aux lèvres les délires révolutionnaires du jeune employé municipal, dont les convictions parviennent à déstabiliser les instances officielles, et qui entraine à sa suite une équipe aussi solidaire qu’aveuglée par les propos fermes de leur sous-commandant ! YA BASTA !
Le théâtre de la guerilla de Rodez est passionnant, plein de rebondissement. Il faut bien l’avouer, c’est super loufoque et déjanté, avec en fond un arrière gout fond de folie qu’un Cervantès ne démentirait pas, évidemment, on ne s’appelle pas Villa pour rien , et l’auteur à la vertu de nous avoir prévenus qu’on allait être happés par un récit ubuesque et jubilatoire.
Et tout le monde est là, Compadres zapatistas, le viel Antonin aussi, Artaud, rien que lui, une sorte de Diego Rivera des indiens Tarahumaras, tout ça donne des envies de Peyolt, mais on fait avec ce qu’on a, on a des barricades, c’est dejà ça, La Realidad, Libertad, democracia y justicia, et tout ça atttirera des journalistes de France Bleu Aveyron, la 4G portera les communiqués de La Realidad, en direct et à cheval sur les langues, espagnol et argot se mélangent, oui, oui, c’est aussi ça la Realidad, Juanité Granesitas, Don Alpa de la lacandona….
Au final, c’est délicieux de se laisser perdre et de reconstituer cette mosaïque de voix revisitées ET réelles.
Dans Rodez-Mexico, tout s’entremêle, comme dans la vie, et c’est tout l’art de l’auteur de faire que nous suivons malgré tout qui parle, de quoi, le présent, le passé, la fiction la réalité, le Mexique et l’Aveyron, on lit, et grâce à l’oralisation théâtralisée romancée, l’écrit n’a pas besoin de guillemets pour nous guider. Le délice de cette lecture vient aussi de là : c’est la tête du lecteur qui comprend ce que désire l’auteur.
Et tout au long, on sourit des italiques, des petites étoiles, des voix dont on sait qu’elles sont diverses parce qu’elle savent qui suivre, et surtout, on sait qu’on lit un roman qui a des airs de théâtre révolutionnaire du Chiapas, et savoir ce qu’on lit, c’est déjà ça !
Une véritable bouffée d’oxygène offerte par un auteur qui a un très étonnant mais indéniable talent de conteur.
Et, tout déconcertant qu’il soit, il est « Rodez-Mexico » est jouïssif à sa façon de revisiter les personnages qu’on connait, les passe montagne insurgés, la colère d’un peuple ignoré et qui en a assez. Gilets jaunes ou guerilleros rouges, oui, c’est clair ce qu’on lit, c’est lié, et tout ça est savamment et ludiquement mené par un esprit loufoque mais juste, politique, idéologique et burlesque.
La documentation de ce roman, via Marco, est réelle, et on prend nous aussi des repères, des notes, des noms, des histoires qui peuvent aussi nous guider, si jamais l’envie nous prenait, nous aussi, comme Marco/Marcos de savoir contre quoi lutter.
Alors, pourquoi lire Rodez-Mexico, au final ?
Rodez-Mexico marque par son originalité, sa documentation véridique, aussi, son humour, comme un cocktail molotovo-linguistique, historico-marionnettisé avec des pages parsemées de fragments de l’histoire du Mexique, que l’on découvre en même temps que Marco, aussi illuminé et fascinés que lui, avouons-le.
Les zapatistes ne désirent pas prendre le pouvoir. Ils réclament seulement justice, démocratie et liberté. Sous le passe-montagne du sous-commandant Marcos se trouvent le peuple chiapanèque et les opprimés du monde entier.
« Rodez Mexico », de Julien Villa
Un roman juste, une plume alternative guidée par un esprit loufoque et burlesque, mais qui sait interroger sur nos vies désormais toutes chiffrées, marchandisées, capitalismo-normalisées, des vies monnayables qui ne sont plus que des objets. Alors, ce livre est une simple brise d’air pur et frais. Rien que ça.
“Est-ce-que ta vie te plaît ?” Annie prend Marco en autostop et lui pose la question, une brèche s’ouvre, et si la question il ne se l’était jamais posée, la réponse, elle, est dans ce roman.
Une mise en abîme et en miroir et en mots d’une lutte sans fin et d’un espoir qu’on espère malgré tout éternel, non mesurable, non comparable et non monnayable. Parce que Ya Basta.