Cheval Fou apparaît pour la première fois en public en 1971. Après un galop de cinquante ans après, Michel Peteau, musicien producteur, reprend les rennes du trio à la pensée et à la musique sauvages, oscillant entre free pop et rock psychédélique. Il nous présente son nouvel album Couteau calme, aux dix titres créatifs, aux accents ancestraux et incantatoires.

Prêts à monter à bord d’une roulotte qui vous emmènera des plaines les plus paisibles aux ressacs les plus menaçants ?

Sortie prévue le 12 novembre 2021 chez Marelle Music / L’Autre Distribution.

1/ Vous avez sorti en 1993 chez Legend Music La Fin de la vie, un album qui regroupait des titres enregistrés dans les années 70 (hormis le titre culte La Fin de la vie enregistré pour l’occasion), offrant alors un OVNI musical. Cheval fou était alors un trio. Vingt-huit ans se sont écoulés depuis. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir avec un nouvel album sobrement intitulé Couteau Calme ?

Tous les titres du 1er album ont été enregistrés en live, lors de concerts que nous avons faits en 1973/74/75. Le son est unique, sale, live … Mais la dernière chanson de l’album La Fin de la vie, que j’ai enregistrée bien plus tard (en 1993) s’est détachée du lot, et s’est mise à circuler, à être joué dans des clubs, dans des rave-parties à Goa, à San Francisco. Le discours qu’on y entend (« La fin de la vie, le début de la survivance ») écrit par le chef Seattle en 1854 est tellement d’actualité qu’il sonne encore tout à fait juste.

C’est de là que je suis parti pour composer Couteau calme. Je voulais entendre le mouvement de la terre, les infrabasses de la fonte des glaciers, j’avais besoin de l’odeur des champignons et des chevaux, et je voulais surtout entendre, quelque part sur la terre lointaine, les voix des Indiens, dont la disparition, si dommageable, m’a toujours profondément attristé. Ce tragique massacre m’a beaucoup marqué, probablement en raison des films de « Far West » que je voyais par dizaines quand j’étais gamin. Je ne suis pas très nuancé sur ce sujet, et j’ai toujours penché du côté des Indiens ;

Les colons blancs ont anéanti le concept de Sagesse, pour toujours, comme des bêtes sauvages …

Vu l’état de la planète Couteau Calme était à la fois une nécessité – pour moi – et un message pour tous ceux que j’aime.

2/ Vous avez repris l’aventure, en cavalier seul, armé de votre guitare, votre fidèle jaguar. Vous en jouez comme un chaman chevauche son tambour et nous emmène en périple, interprétant une épopée instrumentale libre. Aviez-vous une intention particulière quand vous avez écrit cet album ou pensez-vous comme Zweig qu’avec la création on touche à quelque chose d’ineffable ? Arrivez-vous à expliquer la raison pour laquelle vous avez composé ces morceaux ou faut-il aussi garder cette part de mystère ?

À vrai dire, cet album s’est fait de façon assez spontanée. Quand j’ai commencé à jouer seul en studio à la mi-2020, essayant d’oublier le monde extérieur, j’ai réalisé que l’idée d’enregistrer un nouvel album de Cheval Fou avait toujours été là, vague mais persistante. Le projet était sans cesse reporté, vivant une vie heureuse de musicien accompagnateur et de producteur. Quand j’ai réalisé que j’avais la chance d’avoir un studio et beaucoup de temps devant moi, je me suis mis à jouer de la musique tous les matins, en ouvrant les fenêtres, pour briser le silence de la ville ;

Il m’a fallu quelques semaines pour m’arrêter sur un certain nombre d’improvisations, que j’ai ensuite montées et mixées avec Armelle Pioline.

Cyril Avèque a pu jouer quelques batteries sur Couteau Calme, Matthieu Askehoug nous a rejoint à la fin du confinement, une fois l’album terminé.

3/ Quand et dans quelles conditions avez-vous écrit l’album Couteau Calme? Quel rôle la crise sanitaire du COVID et ses trois confinements ont-ils eu sur la création de celui-ci ?

J’étais sur le point de partir en tournée avec SuperBravo, probablement pour plusieurs mois. Nous avions fait notre release party à Paris le 13 mars 2020. Et le lendemain, nous étions tous assignés à résidence pour cause de pandémie planétaire !

Je me suis senti triste et frustré pendant un moment, mais je suis descendu au studio, de plus en plus, et j’ai ressenti à quel point c’était bon et à quel point j’étais chanceux de pouvoir échapper aux nouvelles stressantes et anxiogènes qui émanaient du monde entier. J’ai commencé à jouer de la guitare, à enregistrer des boucles, des idées, tandis que mon petit jardin explosait avec le printemps qui arrivait… comme nous avions tous beaucoup de temps, j’ai passé des heures sur le magnifique livre de photographies d’Edward Sherrif Curtis, ethnologue, l’un des derniers témoins à avoir été en contact avec de nombreuses tribus indiennes aujourd’hui disparues… J’ai laissé aller mon esprit, aussi loin (vers l’ouest !) que possible, de manière à oublier que nous étions enfermés pour une durée indéterminée. Il m’a fallu quelques semaines pour trouver la voie à suivre… Je me souviens avoir enregistré Troncs, branches, brindilles d’abord, et de m’être senti mieux après.

Les titres sont sortis les uns après les autres, m’ont donné du carburant pour continuer, et un beau jour j’ai décidé que Couteau Calme était né.

4/ Le nom de votre groupe, Cheval fou, interroge le rapport à ce qui est ou non domestiqué. Notre rapport à l’animal, et notamment au cheval, questionne notre rapport à ce qui n’est pas encore perclus de règles. Le lien de l’homme au cheval, c’est ce dialogue à construire avec notre propre animalité, ce qui n’est pas gouverné par des règles. Les spectacles de Bartabas le montrent bien : il construit un dialogue entre le cheval et lui.  Ce terme de Cheval fou, est-ce une façon de ne pas perdre sa liberté tout en la délimitant à une expression artistique ?

C’est avant tout le nom d’un grand chef Sioux, qui m’a toujours fait rêver ; peut-être a-t-il choisi ce patronyme pour les raisons que vous évoquez ?

5/ Votre album est composé de larges plages musicales dans lesquelles on entend toutes sortes de voix, d’Indiens d’Amérique, de vieux, d’enfants et celle d’Armelle Pioline en featuring.

Est-ce un format dédié à la scène pour permettre à tous les musiciens vous Michel Peteau, à la guitare, Mathieu Askenoug à la basse, et Cyril Avèque à la batterie, de s’éclater ? Comment l’avez-vous élaboré ?

C’est plutôt un disque solo que j’ai fait – par la force des choses – mais que j’ai eu envie de jouer en groupe très vite.

Dès que le confinement s’est arrêté, j’ai convoqué mes deux amis pour tenter de transposer les titres en live. Depuis, les répétitions se succèdent mais ne se ressemblent pas ; chaque séance est un voyage qui nous surprend nous-mêmes. Je suis très excité par l’idée de faire bientôt de la scène. Armelle Pioline viendra aussi poser sa voix sur Habillée de deux ailes, comme sur l’album.

6/ Couleurs fantômes , le premier titre de votre album, est un chant de sorciers, envoûtant et galvanisant, qui donne envie de danser. Le clip d’Olivier Seror met en scène trois personnages qui sont dans la forêt et préparent une cérémonie avec sacrifice de poulets avec humour et autodérision. On pourrait parler de sabbat. Quelle réflexion sur la nature humaine avez-vous voulu aborder ?

Le chaman ordonne, les sbires s’exécutent, et les poulets se font manger …. Cette scène est une farce bien sûr, mais elle montre la cruauté intrinsèque à l’homme qui tente de se maintenir au sommet de l’échelle des vivants … c’est factice, c’est grotesque, mais c’est aussi la vie.

(c) Olivier Séror

7/ Dans le clip du titre L’Oreille d’un Sourd, on vous voit, à l’extérieur, dans une forêt entourée d’arbres, et deux compères vous peignent le visage d’argile comme pour un rituel et puis, ils vous tartinent généreusement le visage de cette substance, la faisant couler, ce qui en devient comique. Parallèlement, on vous voit danser en jupe blanche en dentelles dans un intérieur. Au début, on ne comprend pas que c’est vous dont il s’agit puis, on vous voit assis sur une chaise : d’abord, vos deux complices vous transforment en sorcier avec des accessoires dont ils vous affublent. Ensuite, ils entourent votre visage avec une corde. Dans quelle mesure l’autodérision sert-elle à décentrer votre toute-puissance d’homme ? Est-ce personnel, intime ou cela peut-il s’étendre à la condition humaine ?

En effet, ce clip décentre pas mal ma supposée « toute-puissance d’homme » ! Pour accéder au statut de chaman, il faut en passer par des rites et gestes parfois ridicules, mais la cérémonie se fait dans une sorte de douceur et de joie qui rassure aussi. J’aime ces trois personnages, un peu perchés, dont le but nous échappe …

Le clip se termine sur une vue d’arbres, dans la forêt. Est-ce pour resacraliser le rôle de la nature, des arbres, et pour dire, eh ho, les arbres sont aussi importants que nous, ils sont nos frères ?

Ça peut effectivement me prendre de parler à un arbre oui, sans problème. 

Le dernier que j’ai planté, je l’ai baptisé Charlie Watts.

(c) Olivier Séror

8/ Vous véhiculiez déjà une pensée alternative dans votre album La Fin de la vie en 1996 sur la force de la nature. Votre message est-il exactement le même ? Pensez-vous que les consciences ont évolué depuis ? Et dans quel sens ? Pourrait-on dire que votre album a pour intention notamment d’élargir la conscience de l’homme ?

La terre est un bijou, un trésor, que nous contribuons chaque jour à faire disparaitre … Nos petites révoltes post soixante huitardes n’ont eu aucun pouvoir sur le capitalisme cynique qui se fout bien de savoir ce que la terre ressent …

Mais les luttes évoluent, les populations se mobilisent, je crois à fond en notre jeunesse pour imaginer quelque chose de nouveau.

9/ Vous faites partie d’un groupe SuperBravo, un trio composé de Julie Gasnier, Armelle Pioline et de vous qui a conçu deux merveilles d’album L’Angle vivant en 2017 et Sentinelle en 2020. En quoi cette démarche vous-a-telle préparé à créer l’album Couteau Calme  ?

Oui, j’ai rejoint ce beau projet en 2013, lorsqu’Armelle Pioline terminait le mixe de son tout 1er album de SuperBravo. J’aime les chansons d’Armelle, et j’aime bien la rigueur que le format chanson implique. Il faut être carré, inspiré, concis …

10/ Sur le recto de la pochette de l’album, on voit une plume bleue sur fond rouge et au recto un photogramme du clip Couleur fantômes ou votre coiffe de sorcier à plumes bleues ressort toujours grâce au filtre rouge ? C’est une invitation à la légèreté, à voler pendant les temps actuels aux airs de fin de monde ?

La plume a plusieurs significations pour moi, au-delà de sa forme si légère …

D’abord, elle vient du monde animal, qui perd pas mal ses plumes en ce moment … et puis, dans l’inconscient collectif, la plume sert à écrire ; or, nous aurons besoin de grands discours pour évoluer autrement au milieu de notre écosystème malmené. J’offre cette plume à tous ceux qui veulent s’emparer du sujet, trouver les bons mots. Cette plume est, à sa manière, « un couteau calme ».

(c) Franck Loriou

11/ Cheval Fou sera en concert le mercredi 17 novembre au Triton – Les Lilas ( 93), avec sur scène, vous, Michel Peteau à la guitare, Mathieu Askehoug à la basse, et Cyril Avèque à la batterie.

Comment abordez-vous ce concert ? Avez-vous prévu des conditions de jeu spécifiques comme vous l’aviez fait pour votre premier album que vous aviez joué pendant un cycle lunaire de quatre ans en allant de ville en ville pour prêcher la pensée alternative et la force de la nature ?

Quand Cyril Avèque et Matthieu Askehoug sont venus me rejoindre dans Cheval Fou, je leur ai donné quelques éléments nébuleux.

Je leur ai dit que nous allions mettre la transe au milieu de notre organisation, et qu’on allait en appeler aux puissances du désordre, que nous allions négocier avec l’invisible, le tout en jouant très fort, très large, et déguisés en sauvages … ils n’ont pas fui, bien au contraire ! La formule est en cours d’élaboration …

12/ Qu’avez-vous comme livre de chevet actuellement ? 

Mon livre de chevet du ce moment, c’est Le Chamanisme et les techniques de l’extase de Mircéa Eliade. C’est du lourd, mais je m’accroche …

13/ Qu’est-ce qui vous fait vibrer en ce moment ?

Comme toujours, écouter de la musique ! J’ai découvert Woo, un duo anglais expérimental génial. J’écoute tous les albums de Yo la tengo, génial groupe new yorkais. J’écoute Thelonious Monk aussi toujours, pour son intelligence. Mon disque de chevet, c’est Ragalet  de Sébastien Martel, tellement musical et léger …. J’écoute beaucoup aussi  tous les disques solo de Mocke.

14/ Notre association et webzine s’appelle Cultures Sauvages, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

Cette phrase de Seattle : « Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autres façons de vivre ».

Pour aller plus loin :

Le Concert du MERCREDI 17 NOVEMBRE aura lieu au TRITON – LES LILAS : 11 bis rue du Coq Français 93260 Les Lilas

Infos/ Résa :

https://www.letriton.com/programmation/cheval-fou-2723

Page Facebook de l’événement : https://www.facebook.com/events/4562148873816426

 

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