Chapitre 3 : Je ne sais pas où je vais

Crédit : Eurgen // Série Sorcières, 2017

Paris (branches)

J’ai toujours aimé Paris. Enfant, j’y allais régulièrement, chez mes grands-parents, métro Grands Boulevards, pas loin du Palace et des Folies Bergères, on achetait les meilleures roses des sables du monde chez Zazou, qui est fermé aujourd’hui. Le métro me fascinait, un vrai parc d’attraction, avec son lapin dessiné sur les portes. « Ne mets pas tes doigts dans les portes, tu risques de te pincer très fort »

En bonne bretonne, je m’installe dans le 15ème, métro Volontaires, dans un foyer d’étudiantes du paramédical. Je sèche mes larmes. Changement de décor, une tout petite chambre, une cuisine collective, visites tolérées dans les parties communes, garçons interdits. La porte est fermée entre 1h et 6h du matin. Heureusement, certains gardiens sont plus sympas que d’autres.

Mon école est à Créteil, encore des tours moches, au niveau de l’entrée du parking souterrain, des barreaux aux fenêtres, trois salles un peu sombres, une heure de trajet matin et soir. Et pourtant, l’ambiance est bonne, j’apprends un métier qui me plaît, je découvre la psychiatrie et je me fais des ami.e.s que j’ai toujours 20 ans plus tard, éparpillé.e.s un peu partout en France.

Paris est une ville faite pour marcher, un amas de rues, sans limite. J’investis dans de bonnes chaussures.

A l’école, je trouve tout le monde plus à l’aise et plus créatif que moi, j’ai un complexe de campagnarde qui ne sait toujours pas s’habiller, ni se maquiller, ni se coiffer. Je trouve que je n’ai pas d’imagination. Je suis intimidée par la ville et ses habitants.

Je suis mes amis, on explore les quartiers. J’ai de merveilleux souvenirs de sorties aux Bains Douche dans la 4L blanche de Mathieu. Je manque d’argent. J’investis dans une carte MK2-UGC, je vois tous les films qui sortent.

Je change de gars. J’apprends à jouer à la belote.

Il y a toujours quelque chose à faire à Paris. On ne s’en prive pas.

En 2001, je décroche mon diplôme, c’est l’année de la sortie d’Amélie Poulain. On écoute la BO en boucle.

Je pars à Marseille pour quelques jours avec Céline pour fêter ça. Nous rencontrons un metteur en scène qui vit là-bas. Pendant presque deux ans, nous échangeons une correspondance par mail. Souvenez-vous, il fallait aller dans un cybercafé, payer à l’heure et c’était toute une affaire de se connecter.

C’est le premier qui me dit « tu écris bien, tu as du souffle ». Il va me falloir presque 20 ans pour l’entendre.

Au retour de Marseille, je trouve du travail dans l’un des nombreux hôpitaux psychiatriques des banlieues de Paris, Paul Guiraud à Villejuif. On excentre les fous pour ne pas les voir, ni les entendre. Je gagne 6500 F par mois, soit 1000 €, pour moi c’est une aubaine mais, en vérité, le salaire des soignants est déjà un scandale qui ne sera jamais démenti.

Grâce à une amie, je trouve un appartement dans mes moyens dans le 11ème, métro Alexandre Dumas, 109, Bd de Charonne. L’appartement est petit, peu importe, je ne suis jamais chez moi en bonne parisienne.

C’est le quartier des artistes, pas encore bobo, toutes origines et nationalités se côtoient dans la bonne humeur. C’est un village que j’adore. Céline habite en bas de la rue de Charonne. Nous écumons Paris sur nos vieux vélos de dame, ils s’appellent Anquetil et Poulidor, c’est gravé sur le cadre. On a des jambes d’acier !

Encore une fois, je rôde dans les bars, les lieux culturels. C’est la grande époque de Louise Attaque, Noir Désir et des Têtes Raides. Ils jouent le même soir au festival des Vieilles Charrues en 2002. Je fais le déplacement, il pleut, on a de la boue jusqu’aux genoux, on doit pousser la voiture pour sortir du champ-parking.

Brigitte Fontaine explose en robe rose et crâne rasé avec Kékéland. Java balance le rap musette. On chante « c’est pas la rue Kétanou, c’est nous qui sommes à la rue ».

Au boulot, ce n’est pas facile, le service est vieux, les médecins sont vieux, les neuroleptiques sont rois. Dans l’atelier sous les toits, que je partage avec deux collègues, c’est un bric-à-brac de matériel et d’anciens objets d’art brut réalisés par les patients. Tous les matins, une vieille patiente à tête de sorcière me salue : « Bonjour Anne Franck ». Les fous savent.

Ce fouillis me plaît, j’adore le bordel, je m’y sens bien, j’imagine des trucs un peu dingues avec les patients.

Je trouve un appareil photo au fond du placard. Un Nikon D90 dont personne ne se sert. Je l’emprunte. Je ne le rendrai jamais, il est encore quelque part chez moi. Abus de bien social.

Puisque je ne sais rien imaginer, je vais photographier ce qui est déjà là. J’ai le sens de l’observation. Je m’entraîne. Je fais développer dans un labo photo juste en bas de chez moi, à l’époque il y en a encore plein partout.

J’ai encore des cartons pleins de bandes de petites photos chez moi que je n’ouvre jamais.

Je suis plus ou moins célibataire.

En avril 2002, Le Pen passe au second tour et je rencontre l’homme de ma vie. Il est musicien, chanteur, auteur-compositeur dans un groupe mulhousien, Valiumvalse. On n’échappe pas à son destin.

Pendant 15 jours, toute la scène culturelle française s’agite pour crier non au Front National. Le slogan : « Plus jamais ça ! ». Je passe mon temps au Bataclan, qui n’est pas encore taché de sang, tous les artistes sont là pour protester en chanson. A l’intérieur, je bouillonne.

Mon amoureux vit à Mulhouse et vient me rejoindre à Paris. On déménage ensemble sur le même palier, toujours au 109, Bd de Charonne, dans le plus merveilleux appartement que je n’ai jamais eu. On écoute Clandestino, Zebda, Lo Jo, Lhassa, qui était encore vivante.

Je passe mon temps en backstage de ses concerts, je touche du doigt ce qui fait rêver. Je photographie encore et encore.

Je m’inscris à un atelier théâtre en bas de chez moi. Je suis nulle, mal à l’aise et empêtrée.

Quand il s’agit de chanter je pleure de frustration.

Vaille que vaille, je me fais payer une formation « animer un atelier théâtre en institution » par l’hôpital. Sur le terrain, les patients sont contents.

Je lis Jim Harrison, Richard Brautigan. Je rêve de grands espaces et de poésie.

A l’époque, pour aller à Mulhouse, il faut prendre le train corail, 4h30 dans un compartiment de six personnes. Sur les portes, c’est écrit : « Porte donnant sur la voie ». Un présage ?

Pour répéter, c’est loin. Au bout de deux ans d’allers-retours incessants, on décide de quitter Paris pour Mulhouse.

On organise une fête mémorable, on part, en 205 et camion orange bourré à bloc. Le chat flippe.

Je quitte mes amis et Paris en pleurant.

Pour aller plus loin, découvrez la biographie de Eurgen :

Je suis conteuse, clowne et photographe. De plus en plus souvent, j’écris aussi. Je vis près de Strasbourg.

Liens 
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