La fin d’année est là. C’est l’heure du bilan de cette drôle d’année 2020. Quelles furent mes lectures marquantes ? Que vous conseillerais-je ?
Si je me suis plié à la règle du classement, c’est comme prétexte pour vous parler de livres. Cette hiérarchisation ne met en compétition ces ouvrages que de manière tout à fait artificielle.
Numéro 1
Tu m’as donné de la crasse et j’en ai fait de l’or, de Pacôme Thiellement, Massot éditions
Une autobiographie intimiste où Pacôme Thiellement fait l’exégèse de sa propre vie pour parler de nous tous, pour parler de la Vie. Face au piège cosmique dans lequel nous sommes coincés, face à ce labyrinthe dressé par le mauvais Démiurge, s’y dessinent des lignes de fuite déjà esquissées par les Sans Rois. C’est un ouvrage plein d’espoir dans lequel une grande sensibilité pleine d’humanité rencontre la mentalité de guerrier de « l’Art de la guerre » de Sun Tse. C’est un ouvrage clairvoyant qui ouvre notre regard en le dirigeant vers des plaines de liberté. A lire absolument !
Numéro 2
Autoportrait dans l’atelier, de Giorgio Agamben, L’Arachnéen
Giorgio Agamben nous livre ici une autobiographie passionnante, ou plutôt, devrait-on dire, un hétérographie. Car c’est à travers ses rencontres qu’il nous fait le récit de sa vie intellectuelle, nous rappelant que c’est à travers les autres que nous nous constituons. Nous sommes multiples, et cet ouvrage nous révèle une partie du patron d’un tissage intellectuel des plus stimulants, Agamben comptant parmi les plus grands philosophes encore vivants. Au fil du récit, des photographies, des lettres, des tableaux, nous rencontrons Martin Heidegger à Thouzon, nous apercevons Guy Debord, Italo Calvino, Elsa Morante, Giorgio Colli, nous faisons une halte dans la campagne siennoise avec Jean-Luc Nancy. Les auteurs s’incarnent. Nous faisons quelques détours par la bibliothèque d’Agamben, par ses ateliers. Nous sommes hantés par Simone Weil et Walter Benjamin. Et c’est au milieu de tout cela que la pensée continue de s’étendre sous nos yeux ébahis.
Numéro 3
L’Hypothèse autonome, de Julien Allavena, Editions Amsterdam
Les ZAD, le black bloc, les gilets jaunes… Autant de formes de lutte contemporaines héritières d’une tradition autonome. Mais qu’y a-t-il derrière l’autonomie ? Prise de parti pour les dominés, organisation horizontale, la recherche de l’émancipation collective en conciliation avec la libération individuelle est au centre des préoccupations des autonomes. Julien Allavena nous en raconte l’histoire, en passant bien évidemment par les « années de plomb » italiennes, mai 68, le mouvement des squats en Allemagne, et les luttes LGBT. Face au Capitalisme toujours plus envahissant, s’immisçant dans toutes les facettes de la vie, il a fallu, il faut et il faudra s’organiser. Julien Allavena nous présente cette « hypothèse autonome » tout en y posant ses contradictions qu’il appelle de ses vœux à dépasser.
Numéro 4
Béton : Arme de construction massive du capitalisme, d’Anselm Jappe, L’Echappée
Le béton est partout. Responsable d’une certaine homogénéisation des lieux, le béton ne serait-il pas un matériau incarnant parfaitement la logique capitaliste ? Anselm Jappe nous en retrace l’histoire pour mieux comprendre son impact présent. Il nous explique comment ce matériau à la durée de vie pourtant très limitée, s’est autant répandu, comment l’obsolescence programmée est aussi devenue la règle en architecture malgré des conséquences écologiques désastreuses. Il nous dévoile les desseins obscurs, l’idéologie douteuse de certains de ses partisans, notamment Le Corbusier, qui ont transformé le bâtiment en marchandise. Il nous explique également comment le béton a amené une perte tragique des savoir-faire et le déclin de l’artisanat. Et nous voyons quel monde le béton nous a laissé : un monde où nous sommes étrangers à nous-mêmes, un monde difficilement habitable. Une critique indispensable.
Numéro 5
Une théorie féministe de la violence, de François Vergès, La Fabrique
Concilier luttes féministes et luttes anti-racistes, c’est l’ambition de Françoise Vergès à travers cet ouvrage. Car derrière le sexisme et le racisme se cachent un même responsable : le Capitalisme patriarcal. L’autrice nous explique comment la convergence des luttes s’avère donc nécessaire, pour sortir de certaines impasses. Face à la montée d’un féminisme mainstream, féminisme d’Etat qui s’enfonce dans un discours sécuritaire dans lequel la prison et la police sont au cœur des (fausses) solutions, elle nous invite plutôt à questionner les sources de la violence machiste pour tenter d’en sortir. C’est ainsi qu’elle nous offre une histoire du capitalisme racial et sexiste qui a contribué à forger une masculinité violente à travers l’esclavage, les guerres, les pillages. Elle s’attache à nous dresser le portrait de la femme noire, à réfléchir à sa condition à travers les époques. Elle nous invite à questionner le rôle de l’Etat dans la perpétuation des violences et à trouver de vraies solutions, par nous-mêmes. Pour un féminisme intersectionnel. Pour un féminisme décolonial.
BONUS
L’année a été particulièrement intense en terme de réflexion sur les violences policières. Pour penser la police, je vous conseille deux ouvrages : un recueil de textes et une bande dessinée.
Police, d’Amal Bentounsi, Antonin Bernanos, Julien Coupat, David Dufresne, Eric Hazan, et Frédéric Lordon, La Fabrique
La Force de l’ordre, de Didier Fassin, Frédéric Debomy, et Jake Raynal, Seuil Delcourt