Les éditions divergences possèdent une certaine aptitude à proposer des livres puissants, des livres capables de dérouler les fils de pensées toujours subversives et éclairantes. Habiter contre la métropole du Conseil Nocturne, sorti en 2019, ne déroge pas au principe. Cet opuscule d’une centaine de pages assène une critique du capitalisme et son monde particulièrement féroce, empruntant la voix d’une rhétorique proche de celle du Comité invisible.
Le Conseil Nocturne est de ceux qui conspirent dans l’ombre, de ceux qui recherchent des lignes de fuite au sein de la métropole globale en réactualisant la question communiste. Parce qu’il ne peut exister de lutte séparée de la vie quotidienne, parce qu’il ne peut exister d’instants délimités, le Conseil Nocturne s’empare de la question de l’habiter. Et si la métropole entretient des rapports de pouvoir omniprésents à travers de nombreux dispositifs étouffants, c’est du côté des luttes, de la zad de Notre-Dame des Landes, de celle du No Tav en Suisse, ou de celle du Front des Peuples Indigènes en Défense de la Terre-Mère au Mexique qu’il faut se diriger pour remplir ses poumons du souffle de l’autonomie.
Se joue alors l’organisation du territoire comme lieu habitable. Et le Conseil Nocturne s’empare ainsi de la définition heideggerienne de l’habiter pour en appeler à une authenticité perdue, à un habiter pleinement, en contraste avec le loger de la métropole. On comprend ainsi que le capitalisme n’est pas uniquement un ensemble de rapports de production, mais aussi et surtout un mode d’organisation du monde, ce monde qu’il s’est évertué à coloniser, à façonner selon ses besoins. Trouver une porte de sortie, échapper à cet Empire de la marchandise s’avère indispensable. La commune incarne parfaitement ce modèle d’externalité.
Avec ce contre-modèle, se dessinent des solutions architecturales, ou plutôt « non-architecturales ». Face à la recherche d’efficacité du système capitaliste, face à cette volonté de connexion économique des flux, le Conseil Nocturne brandit le labyrinthe comme lieu non-productif et non-gérable. Et puisque l’urbanisme influence jusqu’à nos rapports aux autres, c’est un espace hétérogène qu’il convient d’affirmer pour que de vraies rencontres aient lieu, des rencontres qui ne soient pas le reflet d’une solitude partagée dans la métropole. Enfin, pour enterrer un peu plus l’architecture dans les couches de sédimentation du passé, le Conseil Nocturne prône la nécessité d’un retour au vernaculaire, le vernaculaire comme correspondance entre une construction et son milieu, le vernaculaire comme hasard et habitude, à l’opposé de toute tentative de domination de l’espace.
C’est un souffle poétique qui porte l’ouvrage qui oscille entre des assertions fulgurantes et une argumentation bien menée. Le langage très choisi et les références philosophiques révèlent une accointance flagrante : entre Agamben, Foucault, Deleuze, Guattari, Heidegger, Marx, le Comité invisible et Tiqqun, on comprend vite quelle force parcourt l’opuscule de ce mystérieux groupe situé au Mexique. La pensée autonome que Julien Allavena nous décrit dans l’Hypothèse autonome se déploie ici avec toute sa clairvoyance mais dans une perspective que je qualifierais spécifiquement de métaphysique et qui évoque très vivement Tiqqun et le Comité Invisible et leur pensée de la destitution.
Une pierre philosophique de plus à cet édifice qui est aujourd’hui une des habitations intellectuelles les plus stimulantes pour penser le monde. Je vous renvoie très vivement vers ce livre, Habiter contre la métropole du Conseil Nocturne, ainsi que vers l’article du site lundimatin qui en propose des extraits. Pour pénétrer un peu plus dans cet univers post-situationniste/autonome, je vous recommande le site bloom0101.org sur lequel vous trouverez tout un tas de documents passionnants. Puis, il reste les incontournables, publiés aux éditions La Fabrique : les trois ouvrages du Comité Invisible (L’Insurrection qui vient, A nos amis et Maintenant), ainsi que des agencements de textes extraits de la revue Tiqqun (Théorie du Bloom, Contributions à la guerre en cours et Tout a failli, vive le communisme !)