L’écriture, par ce mouvement de tracer des lettres composant après coup un sens, renoue avec cette violence du geste premier : celui du signe, de l’idéogramme. Henri Michaux, dans Saisir, avait retrouvé cette pureté du signe.

En référence à l’écriture chinoise qu’il abordait dans Idéogrammes en Chine, il avait tenté dans Saisir de tendre vers un langage universel, dont il serait l’auteur, et qui serait fait, non pas de mots à prononcer, mais de signes :

« Qui n’a voulu saisir plus, saisir mieux, saisir autrement, et les êtres et les choses, pas avec des mots, ni avec des phonèmes, ni des onomatopées, mais avec des signes graphiques ?

Henri Michaux, Saisir

C’est la première chose qui frappe le lecteur face à ce roman qu’il est sur le point d’ouvrir : cet idéogramme qui prend tout l’espace de la première de couverture. Et le voilà prêt à être saisi.

Saisir le monde contemporain

Le lecteur est d’emblée saisi par ces trois personnages qui vont se croiser: Xujin, celle qui note ses rêves, travaille dans un refuge pour enfants arrachés à la rue et aux réseaux de prostitution; Os de Tigre, qui incarne une sorte d’Ange final de l’Extermination, cherche à tuer et à se venger; Esad est à la recherche de Tiger, une prostituée qu’il souhaite sauver.

On va notamment suivre ce dernier personnage à travers une odyssée sans retour, un voyage au bout des nuits humaines :



Saisir le lecteur présent

Le roman Tiger d’Eric Richer décrit un avenir proche dans une Chine gangrénée par la violence. Il dessine une car­to­gra­phie du réel, qui fait écho par de nombreux aspect au nôtre. Cette marchandisation des désirs et des corps dont le personnage d’Esad va être le témoin :

Des lieux voués au gain financier et sexuel répond un lieu onirique et mental, celui des rêves du personnage de Xujin:

Ce personnage semble renvoyer à la figure de l’écrivain, voire du poète. Celui qui cherche, en couchant ses rêves sur le papier de manière alphabétique, à retrouver un lieu où l’on peut dire le monde :

Elle note son rêve à la lettre M, comme Macérage.

Eric Richer, Tiger

Saisir les mots d’hier et d’aujourd’hui

Dans ce roman enragé et sauvage, Eric Richer emploie la langue comme pour laisser une trace du corps du monde. Un corps qui se décompose sous nos yeux. Le lecteur reste sidéré face aux nombreuses scènes de violence qu’il découvre, sans pour autant que la tendresse ne soit absente. Cette tendresse qu’on va retrouver chez Xujin et Esad, dans leurs tentatives de rédemption.

A la manière d’un chaman, d’où la présence du personnage d’Os de tigre, l’écrivain explore les mots pour les désenvouter, leur faire retrouver leur vertus hallucinatoires. Comme Antonin Artaud l’exprimait, l’écrivain cherche un lan­gage “tordu comme des nuages dans l’eau lim­pide avec à côté la lumière qui trace une règle et des cils”. Il faut donc faire jaillir le langage “à coup de langues et de cuisses”.

Qui n’a voulu un jour faire un abécédaire, un bestiaire, et même tout un vocabulaire, d’où le verbal serait exclu ? »

Henri Michaux, Saisir

Dans ce roman, il s’agit d’écor­cher la langue par jaillis­se­ments, par explo­sions, par implo­sions. Afin de trou­ver des scan­sions nou­velles, à l’image de cette langue qui accompagne le personnage d’Os de Tigre :

Reconquérir ce territoire qu’est la langue pour mieux nous donner la possibilité d’habiter notre temps présent, « plein de bruit et de fureur ».

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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