Pendant 17 jours, je vous livre mes sensations, mes impressions, mes sentiments de lecture au sujet du roman O de Miki Liukkonen, qui paraît au Castor Astral.
Dix septième jour
O, Miki Liukkonen
Lire un roman comme O de Mikki Liukkonen, c’est faire l’expérience du temps. A la manière de Proust, ce roman nous fait ressentir dans sa lecture même le sentiment du temps qui a passé. Nous ne sommes déjà plus le même que lorsqu’on avait démarré la lecture du roman. Il y a bien ici une histoire de magie.
Dans son merveilleux texte Sur la lecture, Marcel Proust nous rappelait l’aspect magique de toute lecture :
Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clés magiques nous ouvrent au fond de nous-même la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire.
Marcel Proust, De la lecture
Ainsi, comme l’analyse Luc Fraisse dans un article intitulé « Proust ou la lecture comme expérience du Temps », « le temps de l’écriture et celui de la lecture se rejoignent pour se confondre, si l’on remarque avec Pascal Alain Ifri que le cycle romanesque tout entier pourrait bien avoir pour sujet général un apprentissage de la lecture« . En effet, « sous la plume de Proust, l’acte de la lecture porte en lui-même l’empreinte du Temps« .
Lire des romanciers tels que Proust, Joyce, Perec ou encore Miki Liukkonen nous engage pour toute une vie, tant ces pages vont nous accompagner autant pendant la lecture même du roman que pendant notre vie même de lecteur.
[Un roman] déchaîne en nous pendant une heure tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous mettrions dans la vie des années à connaître quelques-uns, et dont les plus intenses ne nous seraient jamais révélés parce que la lenteur avec laquelle ils se produisent nous en ôte la perception.
Marcel Proust
Il est dès lors important de rappeler qu’un roman comme O ne peut se laisser résumer simplement. Il est souvent désagréable de se voir divulgacher une œuvre, car le premier plaisir vient de la lecture elle-même, faisant de ce livre même un plaisir pur. Lire, c’est être dans le présent même de tourner les pages, tenir un objet, le considérer comme un élément central dans sa journée. Une sorte de boussole qui nous permettrait de savoir où on est et qui on est.
Je m’inscris donc très modestement dans les pas de notre héros à tous, celui qui a placé la lecture au centre de toute vie pleinement vécue : Alberto Mangel. Ce dernier a écrit un incroyable Journal d’un lecteur, dans lequel il rappelait d’ailleurs l’importance de ne pas résumer un livre :
Je n’aime pas qu’on me résume un livre. Tentez-moi à l’aide d’un titre, d’une scène, d’une citation, oui, mais pas de toute l’histoire. Amis enthousiastes, quatrièmes de couverture, enseignants et histoires de la littérature sabotent une grande partie de notre plaisir de lecture en révélant l’intrigue. Et, l’âge venant, la mémoire aussi peut gâcher le plaisir d’ignorer ce qui va se passer. Je me rappelle à peine ce que c’était de ne pas savoir que le docteur Jekyll et Mr Hyde étaient une même personne, ni que Robinson Crusoë allait rencontrer Vendredi.
Alberto Mangel, Journal d’un lecteur
Lire s’apparente bien à une marche, une façon de placer ses pas, son souffle, son rythme dans les pas d’autres lecteurs. C’est une façon de traverser le monde et de vivre accompagné.
Si j’ai donc marché avec Miki Liukkonen et ses nombreux personnages, j’ai aussi conversé avec eux, comme le rappelait à nouveau très justement Alberto Manguel:
La lecture est une conversation. Des fous se lancent dans des dialogues imaginaires dont ils entendent l’écho quelque part dans leur tête; les lecteurs se lancent dans un dialogue similaire, provoqué par les mots sur une page. Si, le plus souvent, la réaction du lecteur n’est pas consignée, il arrive aussi qu’un lecteur éprouve le besoin de prendre un crayon et de répondre dans les marges d’un texte. Ce commentaire, cette glose, cette ombre qui accompagne parfois nos livres préférés transpose le texte en un autre temps et une autre expérience.
Alberto Mangel, Journal d’un lecteur
Durant toutes ces pages, j’ai pu converser avec tous ces personnages : de natation avec Jérome W, de Kant avec Mikael Ahlqvist, de toboggan avec Caesar Jensen, de Bach avec Anton Benavita, de décor de théâtre avec Laura Jensen, de cuisine avec Meila Enkroos, de Tesla avec Jantek Zoltanfi,….
Il s’agit dès lors de lire dans les marges un roman comme O de Miki Liukkonen. D’être toujours à la lisière du sens, de rechercher toutes ces traces qui nous amènent à retrouver l’origine même de ce geste de lecture qui se confond avec celui de l’écriture. Lire pour plus tard écrire, lire pour être écrit par le livre qui semble nous constituer. Lire pour retrouver cette parole, cette écriture qui doit être prononcée. Lire ou écrire pour ne pas se taire, à l’instar des mots de Jacques Derrida :
Ce qu’on ne peut pas dire,
il ne faut surtout pas le taire
mais l’écrire.
Jacques Derrida, L’écriture et la différence
Il me reste donc plus qu’à me taire pour mieux retrouver la lecture, pour pouvoir continuer à lire, et vous inviter à lire vous-même ce roman prodigieux qu’est O de Miki Liukkonen.
Et terminons en musique comme il se doit.
[…] il referma donc sa @Lunch Box et la rangea dans le tiroir central, , puis il resta planté devant le poster du Rocky Horror Picture Show surmontant son bureau, affamé et contrarié, sans comprendre où avait bien pu disparaitre son épluche-légumes.
O, Mikki Liukkonen
