L’écriture tend à se rapprocher d’autres arts, et notamment de la peinture. La littérature est affaire de couleur. Ecrire, c’est conférer au langage une couleur, et ce n’est pas Rimbaud avec ses voyelles qui prétendra le contraire:

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, /Je dirai quelque jour vos naissances latentes.

Arthur Rimbaud, Voyelles

Chaque voyelle correspond donc à des couleurs, des sensations, des images. L’enfance de l’art appelle à relier sons et couleurs pour percevoir le monde avec sensibilité et différence.

Colors and the kids

Ça doit juste être les couleurs
Et les enfants qui me tiennent en vie
Car j’ai envie de partir loin
vers une nuit de janvier

Cat Power, Colors and the Kids

Dans son précédent roman, Ce que j’appelle jaune, Marie Simon faisait correspondre la couleur jaune avec tout un univers propre à la naissance et à l’enfance. Dans son nouveau roman, Une gifle, elle va creuser d’une autre manière la palette des couleurs en la mêlant à un univers musical. Car ce roman compose avec sensibilité, tendresse et justesse la bande originale des vies blessées, heurtées. Celle d’Antoine, qui a connu les violence familiales, et qui tente de reconstruire tout en détruisant. Ou celle de ce personnage qui se prénomme « elle » et qui tente d’échapper à ces mêmes violences. Le lecteur va suivre leurs parcours respectifs, de l’enfance à la vie adulte. Comment ils ont ou non réussi à se construire face aux violences de l’enfance et comment ils vont ou non réussir à se rencontrer et à vivre ensemble.

Marie Simon convoque en citation liminaire un morceau de Cat Power, Metal Heart, extrait de l’album Moon Pix, laquelle avait dit lors d’un interview:

“J’ai l’impression d’être vivante aujourd’hui grâce à ma capacité à écrire ces chansons. Au lieu de l’obscurité, au lieu d’autres choix humains, j’ai choisi d’écrire des chansons. Moon Pix était mon salut en tant que personne jeune et confuse. Aujourd’hui, je le vois.”

Cat Power

Il semble ainsi évident que ce roman est écrit pour rappeler toute la blessure que peut constituer le fait d’être vivant, et que toute personne doit affronter ses choix. Et le langage nous permet d’éprouver cette blessure pour mieux la traverser.


Metal Heart

Couds tes chances sur une corde

Couds tes chances sur une corde

Et lève-les à la lumière

La fumée bleue prendra

Une fuite très violente

Et tu seras changé

Tu oseras tout

Et tu seras dans un zoo particulièrement triste triste

Cat Power, Metal Heart

Le roman Une gifle parcourt plus de trente cinq années de la vie d’Antoine et du personnage féminin « Elle ». Les chapitres sont une traversée des années 70 à nos jours et alternent les points de vue, de manière à saisir la complexité d’un individu, dans son éducation de la violence, celle intériorisée et celle acceptée. On plonge par exemple avec Antoine dans les années 90 avec un art de l’ellipse temporelle et de la concision, à l’instar d’une chanson de Cat Power comme Metal Heart:

Marie Simon joue avec finesse et intelligence sur le temps, celui qui est brisé, dû à la contamination de la violence qu’on reçoit et contre lequel on doit se battre. Le texte opère une reconstruction des temps et des époques pour mieux traduire cette difficulté qu’ont les personnages à ne pas subir leur passé, à l’instar de cet emploi d’un futur de la protection, de la reconstruction. Un futur employé par « Elle » qui est autant l’image d’un temps qui s’est diffracté que d’un temps que ce personnage tente de reconquérir :

Cette violence dont parle avec justesse Marie Simon, c’est bien l’impossibilité de vivre dans une linéarité temporelle. La violence morale, psychologique et physique des violences faite aux enfants amène à vivre le temps comme un espace en déséquilibre permanent. On comprend bien pourquoi Mio, la fille du personnage féminin, arrive encore à vivre dans un présent, contrairement à sa mère :


Say

N’abandonnez jamais, n’abandonnez jamais
Si vous cherchez quelque chose de facile
Vous pourriez tout aussi bien y renoncer
Une fois, ils avoueront une chose
Et le lendemain, ils confesseront la suivante
Parlez-leur, ils diront
Apprenez à dire la même chose

Cat Power, Say

Une gifle interroge et tente de saisir cet instant où la vie dérape, par la violence, l’incompréhension, le geste qui sauve ou qui tue. Par l’emploi de la construction romanesque et l’art de saisir des personnages dans toutes leurs complexités, Marie Simon creuse cette part innommable en nous. Celle qui ne nomme pas car elle en est incapable. Ecrire, c’est tenter de briser le silence. C’est nommer à la fois qui on est et qui est l’autre:

Marie Simon inscrit son roman dans le sillage de romancières comme Virginie Despentes pour qui écrire relève d’un exorcisme, d’une nécessité d’être.

Les livres étaient là, rendaient la chose possible, dicible, partageable. Prison, maladie, maltraitance, drogues, abandons, déportations, tous les traumas ont leur littérature.

Virginie Despentes, King Kong Theory

Au fur et à mesure des chapitres, la violence va réapparaitre entre ces deux personnages, Antoine et « Elle ». Cette dernière va se retrouver ainsi face à elle-même, et le langage se trouve ramené à son plus simple appareil verbal, traduisant le besoin d’être, de faire et d’exister :

Lire Une Gifle.

Etre happé par ces vies blessées et trouées.

Lire ce roman pour mieux traverser le monde en étant accompagné.

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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