Je ne fais pas de plan quand j’écris, mais je sais ou veux aller, j’ai une sorte de ligne de vol et c’est pareil au tennis, il faut savoir où on veut envoyer la balle !

Camille Laurens

On comprend aisément en quoi le tennis se rapproche de l’écriture. Derrière sa ligne, le joueur est aussi seul qu’un auteur à sa table d’écriture. A l’image du romancier avec le langage, le joueur de tennis évolue dans un espace clos, à la discipline stricte. L’écriture est donc un sport comme un autre.

Le tennis fait qu’on est quelque chose d’intuitif, d’instinctif.

Camille Laurens

Dans son premier roman, L’Avantage aux éditions Tristram, Thomas André, joueur de tennis lui-même, raconte durant un été les tournois de tennis qu’effectue Marius dans le sud de la France et le temps passé dans une villa avec ses amis.

Une écriture des corps

C’est très intéressant le sport parce que c’est la question des attitudes du corps. Il y a une variation des attitudes du corps sur des espaces plus ou moins longs.

Gilles Deleuze, T comme Tennis dans Abécédaire

Ce qui frappe à la lecture de ce roman, c’est la précision avec laquelle Thomas André décrit les corps, en commençant par celui de son narrateur Marius. Avec cette narration à la première personne, le lecteur est au plus près des attitudes du corps, et notamment lors des parties de tennis.

L’écriture saisit avec précision et rythme le mouvement des corps. Rien n’est jamais de trop dans l’écriture de Thomas André. Il décrit par le biais de son narrateur des corps en mouvement mû par des règles sociales, sportives ou festives.

C’est le corps de Georges, le père de Cédric, un corps qui se contente de vivre les nombreux plaisirs dont il peut profiter.

C’est aussi le corps de Cédric, dont la présence et l’absence rythment souvent les débuts de chapitre. Son corps semble fléchir ou infléchir les mouvements du narrateur, cherchant sa propre légitimité d’être et d’action:

J’avais à peine dormi quelques heures quand Cédric est à nouveau venu me réveiller.

Quand je me suis réveillé, vers midi, la première chose que j’ai faite, c’est jeter un coup d’œil au lit de Cédric.

Le matin, j’ai décidé d’aller courir. A croire que Cédric avait pris possession de mon cerveau, avec ses grandes idées sur le réveil musculaire.

Thomas André, L’Avantage

C’est par ailleurs le corps d’Alice, suscitant de manière codée et implicite le désir et le trouble :


Une écriture de l’instant

Le roman se déroule durant un été, alors que le narrateur est accueilli par une famille bourgeoise dans le Sud de la France. Toute la force du roman se situe dans la tension qui réside entre l’écriture directe et incarnée et la difficulté qu’à le narrateur à être là, à vivre pleinement les choses, comme l’indique l’incipit du roman :

Je n’ arrivais pas à exister. Il allait me prendre mon service encore une fois et plier le match en deux sets. Mais qu’est-ce que je pouvais faire, ça jouait trop vite pour moi.

Thomas André, L’Avantage

Thomas André décrit avec justesse ces différents moments estivaux qui se succèdent, que le narrateur semble vivre de l’extérieur. L’écriture à l’os, au moyen de phrases courtes avec des verbes qui ne chargent jamais la phrase, traduit bien cette atmosphère étrange, entre marivaudage rohmérien et vitesse fitzgeraldienne :

Tout dans ce roman est affaire de signes à décoder, de gestes à interpréter, d’attitudes à déchiffrer. Marius évolue dans une société où il doit apprendre à saisir les différents codes, aussi bien sportifs, sociaux que sentimentaux.


Une écriture du temps qui passe

Il y a un seul plaisir, celui d’être vivant, tout le reste est misère.

Cesare Pavese

On sent bien que le personnage vit son adolescence comme si une fine paroi de verre se trouvait entre lui et le monde. Il n’est que difficilement dans le sentiment de l’instant présent, comme s’il était étranger à lui-même. Thomas André sait dès le début du roman distiller cette sensation déceptive, donnant l’impression que le narrateur passe à côté des choses à vivre.

Il tombe ainsi sur un article scientifique sur Einstein au sujet de l’illusion temporelle :

L’Avantage est un beau roman sur le temps qui passe, sur la mélancolie et la déception qui en découle. On pense dès lors à une littérature italienne d’après-guerre, baigné de poésie, de soleil mais aussi de déception et de mélancolie, et notamment à Cesare Pavese, dont des textes comme Le Bel été ou La Lune et les Feux.

On ne se rappelle pas les jours, on se rappelle les instants.

Cesare Pavese, Le métier de vivre

Le narrateur du roman fait l’expérience du réel dans ce qu’il a de plus banal, de plus prosaïque. Il éprouve ainsi cette difficulté d’être au monde, ce « métier de vivre » dont parlait Pavese. C’est un roman se jouant en plein été qui exprime cet hiver de l’âme et du corps présent dans toute éducation sentimentale et sportive.

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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