Le Bal des folles est un chef d’œuvre de second degré, un livre fantasque et délirant par sa dérision où se mêlent orgie sexuelle et narrative.

Grand amour, sexe sans retenue, drogues à gogo, crimes abjects : en fantasmant sa vie, Copi nous donne à lire un roman aussi drôle qu’horrifique.

Un roman amoureux et picaresque

« Ah Pietro, je t’ai aimé aussi à cause de ton regard de gazelle, ton regard qui haletait quand il recevait mes pointes. Je t’ai souvent blessé, je le sais, et toujours injustement. J’aurais dû te regarder vivre de loin, avec des jumelles, rester seulement un bon ami. Mais j’avais besoin de ton odeur comme cible de mon regard, l’as-tu jamais compris ? Non, tu ne l’a jamais compris. Je t’ai fait peur, je t’ai fait fuir. Tu es allé te réfugier dans le regard vide d’une blonde et tu t’es noyé dans le lac d’acier bouillant. »

Le Bal des folles (1977) met en scène un écrivain se remémorant la grande histoire d’amour de sa vie : Pietro Gentiluomo, un splendide garçon romain en plein changement de sexe, avec lequel il vit une passion pleine de rebondissements qui l’a mené de Rome à Paris puis à New York, et à Ibiza.
Au cours de cette épopée, il croise aussi la route d’un sosie de Marilyn dépressif et tyrannique, d’un hippie attardé père adoptif de triplés qu’il élève de façon peu orthodoxe. Cette galerie de portraits, plus loufoques les uns que les autres, campe les années 1970 et leurs folles libertés.

Copi ne cherche pourtant pas la chronique de la société, il ne veut rien prouver. Tout est hasard chez lui, de la caricature à l’exagération.

« Il est Américain, il s’appelle Michael Buonarrotti, il connaît quelques mots en italien, quelques-uns de plus en américain, point d’autre langue. Il a été sourd-muet dans son enfance parce qu’il est tombé sur la tête du berceau, son nez en est définitivement cassé comme celui d’un boxeur, il a les cheveux rouges crépus. »

Le bal des folles est ouvert

« Quelques-unes ont des motos et s’habillent en cuir, vont chercher les vieux masos qui draguent en voiture au bois de Boulogne qu’elles flagellent à coups de chaîne à vélo pour cinq cents francs ( nouveaux). »

Ici, folle ne désigne pas une vérité enfouie d’homosexuel. Vous trouverez dans ce roman une galerie foisonnante de personnages dans laquelle s’entrechoquent des versions altérées de l’homme et de la femme. Il s’agit d’une culture, une vision du monde, une manière transgressive de théâtraliser la vie et de performer la féminité. Les postures sont déjouées et les masques tombent.

Pour la plupart du temps, les folles sont homo, travesties, ou trans en devenir et se distinguent par leur esprit affolant de féminité relative, par leur goût pour le déguisement, leur sens de la provocation et de la critique.  Elles sont furieuses, radicales, elles crient dans la rue, racolent des vieux les humilient et leur font du chantage, prennent de la drogue, se font courser par la police et ont des accoutrements invraisemblables.

« Il ( Pietro) s’habille d’un turban et d’un bikini du même tissu doré. (…) Depuis qu’il ne fait plus de traitement d’hormones ni masculines ni féminines, les deux mamelles se sont affaissées, il se laisse pousser des grosses moustaches flasques vertes ( c’est la mode du henné vert) ; quand il se met l’après-midi sur la tête les mamelles et les moustaches pendant dans le sens contraire du normal, c’est dégoûtant. »

Un roman dansé, en forme de boucle

« Je sais qu’un jour Pierre va me revenir, mais quand ? Un beau jour il traverse le couloir, frappe à ma porte. J’ouvre. je reviens, me dit-il. (…) Pendant la nuit le boa a essayé de l’étrangler, il a demandé à Marilyn de s’en débarrasser, elle a préféré garder le boa (…). »

 Le Bal des Folles est un livre dansé, un récit en forme de boucle, qui commence à Paris pour s’y achever, où les personnages sans attache passent d’un partenaire à un autre, d’un pays au suivant, et changent d’ambiance en un claquement de doigt. Ce sont des carnavals de fictions, des orgies narratives, dans lesquels les histoires s’entremêlent, se fécondent, prolifèrent à l’infini. 

Il faut oser entrer dans la danse, qui le lira ? Les impertinents, les rieurs, les êtres doués du sens de l’autodérision.

Ce roman d’une impudeur rare, à l’écriture cabriolesque et splendide, s’assoit sur la bienséance. Et c’est jouissif.

Dates de parution : 1977, 1999, 2018 et le 21 janvier 2021, pour la présente édition, aux éditions Christian Bourgois.

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