Découvrez Julien Amillard artiste transdisciplinaire ( écrivain, plasticien) à travers une série de textes dans lesquels il nous fait plonger dans son univers.
Voici le troisiĂšme volet.
De ma fenĂȘtre, le ciel Ă©tait toujours bleu.
Bien sĂ»r, quelque fois, des nuages blancs Ă©parses traversĂ©s le bleu mais le ciel conservait la mĂȘme teinte.
Jâavais arrĂȘtĂ© de peindre, mon diplĂŽme Ă©tait dans cinq mois, quâest-ce que je pouvais faire ?
Je regardais par la fenĂȘtre de mon atelier et, en voyant ce ciel, je me demandais si le ciel Ă©tait pareil ailleurs ?
On sait que les Ă©toiles que nous regardons aujourdâhui sont les mĂȘmes que celles observĂ©es par les premiers Hommes (pour les perplexes, cela est dĂ» Ă leurs distances vis-Ă -vis de la Terre, Ă la vitesse de la lumiĂšre et puis, merde, faites comme tout le monde : regardez câest pas sorcier !).
Si les Ă©toiles sont les mĂȘmes, quâest-ce qui m’empĂȘchait de penser que ce ciel bleu toulonnais Ă©tait celui de St Martin VĂ©subie, d’Aubagne, d’Apt, de St Cirq Lapopie, de Digne les Bains, de Toulouse, de Marseille, de Madrid, de Berlin, de Göteborg, de Barcelone, de Cologne, de Budapest, de Florence, de Hambourg, de Rome, de Nice, de Dublin, de Marrakech, de Londres, de Paris, de Rennes, de Lille, de Bruxelles, de Mulhouse ?
Rien, si ce nâĂ©tait lâexpĂ©rience du corps.
Le corps Ă©tait tout. Quâon le veuille ou non, notre corps Ă©tait le premier vecteur de notre vie : au-delĂ de nous faire vivre, on ne pouvait rien ressentir sans lui : nos cinq sens Ă©taient nos frontiĂšres.
Et jâavais soif de Vie, de ressentir cette Vie via mes cinq sens et la bouffer par tous les bouts, la brĂ»ler !
Les arts (arts plastiques, littĂ©rature, cinĂ©ma, thĂ©Ăątre, etc.) mâavaient enseignĂ© la libertĂ©, la critique, la politique mais quid la Vie ?
On ne pouvait pas enseigner la Vie. La Vie, il fallait la Vivre. Sauf que dire ceci est naĂŻf et sonne comme une absurditĂ©. Et pourtant, jâavais rencontrĂ© trop de gens ne Vivant pas : quand on se plaignait quotidiennement dâun boulot quâon ne voulait pas, ce nâĂ©tait pas Vivre ; quand on avait dĂ» abandonner les primes ou les droits sociaux dont on pouvait jouir parce que cela Ă©tait trop long administrativement parlant, ce nâĂ©tait pas Vivre ; quand on se rĂ©jouissait dâavoir enfin un boulot mĂ©diocre alors quâon possĂ©dait un doctorat en lettres, ce nâĂ©tait pas VivreâŠ
Vivre impliquait des dĂ©fis Ă relever, des expĂ©riences marquĂ©es dans les mots mais aussi dans la chaire (Hannibal Lecter disait une phrase superbe Ă ce sujet : « Nâayez pas honte de vos cicatrices. Elles sont la preuve que votre vie nâa pas Ă©tĂ© un rĂȘve. »)
AprÚs tout, notre entrée dans la vie, notre premiÚre expérience se soldait toujours par une premiÚre cicatrice : le nombril.
En observant les nuages, je me rendais bien compte que jâĂ©tais en manque de cicatrices.
Pourtant, ici et lĂ , je voyais bien mes expĂ©riences passĂ©es : le phimosis, des cicatrices Ă la cheville, des traces de brĂ»lures sur les deux mains, les deux bras, lâappendicite remplacĂ©e par le dessin dâune arĂȘte de poisson, une crevasse Ă la base du dos lorsquâon avait dĂ» mâopĂ©rer dâurgence pour hernie discaleâŠ
Et pourtant, jâĂ©tais toujours en manque de vie : aussi, je partais, je voyageais.
LâannĂ©e de mon redoublement, je n’avais cesser de voyager : Florence (oĂč je m’enivrais de beautĂ©), Barcelone (oĂč je m’enivrais d’absinthe), Londres (oĂč je survivais en vendant des toiles produites Ă la chaĂźne et de pommes) et Berlin (oĂč je ne savais que dormir Ă cause de Londres…).
Un an plus tard, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă partir Ă pied pour atteindre Rome.
En quittant Toulon, jâavais pour objectif de rejoindre Rome. Mon voyage dura 7 jours. ArrivĂ© Ă Monaco, mon genou gauche se bloqua. JâarrĂȘtais et rebroussais chemin par le train.
Durant ces sept jours, j’avais marchĂ© et Ă©cris tout ce quâil mâĂ©tait arrivĂ©. Je ne voulais pas dessiner, ni filmer, ni photographier, seulement Ă©crire.
Ce carnet rempli de mots, je le transformais alors en une sĂ©rie dâinstallation intitulĂ©e Lâombre du mot car, au-delĂ de mon corps, le spectateur aussi devait vivre une expĂ©rience. A mon sens, il ne pouvait rester cantonner dans son rĂŽle de regardeur, il devait devenir l’activateur de la piĂšce, physiquement. Il devait manipuler l’Ćuvre, prendre rendez-vous avec elle, la transformer du fait de son action.
Puis je partis Ă Toulouse. Je continuai de travailler mais le voyage, partir, concentrer dans mes mains lâespace et le temps, ce que lâart peut faire, je ne cessais de lâexploiter.