Découvrez Julien Amillard artiste transdisciplinaire ( écrivain, plasticien) à travers une série de textes dans lesquels il nous fait plonger dans son univers.

Voici le troisiĂšme volet.

Julien AMILLARD, L’ombre du mot, 2006
Dimensions variables – Installation solaire

De ma fenĂȘtre, le ciel Ă©tait toujours bleu.

Bien sĂ»r, quelque fois, des nuages blancs Ă©parses traversĂ©s le bleu mais le ciel conservait la mĂȘme teinte.

J’avais arrĂȘtĂ© de peindre, mon diplĂŽme Ă©tait dans cinq mois, qu’est-ce que je pouvais faire ?

Je regardais par la fenĂȘtre de mon atelier et, en voyant ce ciel, je me demandais si le ciel Ă©tait pareil ailleurs ?

On sait que les Ă©toiles que nous regardons aujourd’hui sont les mĂȘmes que celles observĂ©es par les premiers Hommes (pour les perplexes, cela est dĂ» Ă  leurs distances vis-Ă -vis de la Terre, Ă  la vitesse de la lumiĂšre et puis, merde, faites comme tout le monde : regardez c’est pas sorcier !).

Si les Ă©toiles sont les mĂȘmes, qu’est-ce qui m’empĂȘchait de penser que ce ciel bleu toulonnais Ă©tait celui de St Martin VĂ©subie, d’Aubagne, d’Apt, de St Cirq Lapopie, de Digne les Bains, de Toulouse, de Marseille, de Madrid, de Berlin, de Göteborg, de Barcelone, de Cologne, de Budapest, de Florence, de Hambourg, de Rome, de Nice, de Dublin, de Marrakech, de Londres, de Paris, de Rennes, de Lille, de Bruxelles, de Mulhouse ?

Rien, si ce n’était l’expĂ©rience du corps.

Julien AMILLARD, Ciel, 2008-2012

Le corps Ă©tait tout. Qu’on le veuille ou non, notre corps Ă©tait le premier vecteur de notre vie : au-delĂ  de nous faire vivre, on ne pouvait rien ressentir sans lui : nos cinq sens Ă©taient nos frontiĂšres.

Et j’avais soif de Vie, de ressentir cette Vie via mes cinq sens et la bouffer par tous les bouts, la brĂ»ler !

Les arts (arts plastiques, littĂ©rature, cinĂ©ma, thĂ©Ăątre, etc.) m’avaient enseignĂ© la libertĂ©, la critique, la politique mais quid la Vie ?

On ne pouvait pas enseigner la Vie. La Vie, il fallait la Vivre. Sauf que dire ceci est naĂŻf et sonne comme une absurditĂ©. Et pourtant, j’avais rencontrĂ© trop de gens ne Vivant pas : quand on se plaignait quotidiennement d’un boulot qu’on ne voulait pas, ce n’était pas Vivre ; quand on avait dĂ» abandonner les primes ou les droits sociaux dont on pouvait jouir parce que cela Ă©tait trop long administrativement parlant, ce n’était pas Vivre ; quand on se rĂ©jouissait d’avoir enfin un boulot mĂ©diocre alors qu’on possĂ©dait un doctorat en lettres, ce n’était pas Vivre


Vivre impliquait des dĂ©fis Ă  relever, des expĂ©riences marquĂ©es dans les mots mais aussi dans la chaire (Hannibal Lecter disait une phrase superbe Ă  ce sujet : Â« N’ayez pas honte de vos cicatrices. Elles sont la preuve que votre vie n’a pas Ă©tĂ© un rĂȘve. Â»)

AprĂšs tout, notre entrĂ©e dans la vie, notre premiĂšre expĂ©rience se soldait toujours par une premiĂšre cicatrice : le nombril.

En observant les nuages, je me rendais bien compte que j’étais en manque de cicatrices.

Pourtant, ici et lĂ , je voyais bien mes expĂ©riences passĂ©es : le phimosis, des cicatrices Ă  la cheville, des traces de brĂ»lures sur les deux mains, les deux bras, l’appendicite remplacĂ©e par le dessin d’une arĂȘte de poisson, une crevasse Ă  la base du dos lorsqu’on avait dĂ» m’opĂ©rer d’urgence pour hernie discale


Et pourtant, j’étais toujours en manque de vie : aussi, je partais, je voyageais.

L’annĂ©e de mon redoublement, je n’avais cesser de voyager : Florence (oĂč je m’enivrais de beautĂ©), Barcelone (oĂč je m’enivrais d’absinthe), Londres (oĂč je survivais en vendant des toiles produites Ă  la chaĂźne et de pommes) et Berlin (oĂč je ne savais que dormir Ă  cause de Londres…).

Un an plus tard, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă  partir Ă  pied pour atteindre Rome.

En quittant Toulon, j’avais pour objectif de rejoindre Rome. Mon voyage dura 7 jours. ArrivĂ© Ă  Monaco, mon genou gauche se bloqua. J’arrĂȘtais et rebroussais chemin par le train.

Durant ces sept jours, j’avais marchĂ© et Ă©cris tout ce qu’il m’était arrivĂ©. Je ne voulais pas dessiner, ni filmer, ni photographier, seulement Ă©crire.

Ce carnet rempli de mots, je le transformais alors en une sĂ©rie d’installation intitulĂ©e L’ombre du mot car, au-delĂ  de mon corps, le spectateur aussi devait vivre une expĂ©rience. A mon sens, il ne pouvait rester cantonner dans son rĂŽle de regardeur, il devait devenir l’activateur de la piĂšce, physiquement. Il devait manipuler l’Ɠuvre, prendre rendez-vous avec elle, la transformer du fait de son action.

Julien AMILLARD, Ce que la marĂ©e n’aura pas effacĂ©, d’autres s’en chargeront, 2008
Dimensions variables, dalle de sable Ă  l’entrĂ©e d’une salle d’exposition
Ci-dessus : Lieu-Commun, Toulouse

Puis je partis à Toulouse. Je continuai de travailler mais le voyage, partir, concentrer dans mes mains l’espace et le temps, ce que l’art peut faire, je ne cessais de l’exploiter.

Julien AMILLARD, Aube et Crépuscule, 2008
Objet, 2X75 flip-book de 7X4 cm, bois, fer

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