Découvrez Julien Amillard artiste transdisciplinaire ( écrivain, plasticien) à travers une série de textes dans lesquels il nous fait plonger dans son univers.

Voici le second volet.

Julien AMILLARD, Pierres Tombales, 2008
marbre sérigraphié, 12 X (11X16,8cm)

La chaleur faisait fondre l’asphalte. Lorsque j’allais aux gogues, il n’était pas rare que la sueur perle entre mes bourrelets. J’étais gros. Il me fallait mes deux mains pour entourer l’une de mes cuisses et je ne parvenais toujours pas à en faire le tour.

Cet été-là, je travaillais dans un Carrefour près de Toulon. J’étais caissier et passais mes journées à biper des produits pour des gens qui semblaient s’amuser quand j’étais seul. Je travaillais là pour grappiller quelques sous en attendant la rentrée de ma seconde première année à l’école des beaux-arts de Toulon.

Oui, seconde première année : les professeurs m’avaient proposé un redoublement parce que j’en faisais trop, je travaillais trop, j’allais dans le mur. Je n’avais aucune distance critique sur ce que je faisais et, pour m’aider à l’obtenir, ils m’offrirent la possibilité de redoubler. J’aurai pu refuser mais qu’aurais-je fait alors ?

Et puis, je n’étais pas dupe : j’étais clairement mauvais, carrément bidon. J’avais déjà de la chance qu’ils veuillent bien me garder. Aucune autre école d’art ne m’aurait accepté…

Aussi, lorsque la rentrée arriva, un ennui profond me submergea : je recommençais… encore et toujours… des exercices que j’avais déjà faits lors de mon année de prépa… et de ma première première année…

Mais je ne me voyais rien faire d’autre : je devais me calmer et prendre du temps pour réellement voir ce que je faisais. Et déjà les effets se faisaient sentir : j’étais bien plus patient lors du travail des ombres ou pour l’obtention d’une nuance de couleur. Pour autant, cela ne me satisfaisait pas. Je devais trouver une catharsis, un moyen pour évacuer mon surplus d’énergie.

Or, le matériel déjà nécessaire pour l’année scolaire standard était un gouffre financier. Je ne pouvais me résoudre à dépenser plus encore ce que je n’avais pas. Je pouvais bien sûr travailler chez moi d’autres choses, à partir de récup par exemple. Mais je n’avais pas envie de rejouer le soir avec la chose plastique. Aussi, j’attendais.

Durant ces années-là, il y avait un professeur d’histoire de l’art singulier. Certes, ils le sont tous, à plus ou moins grande échelle mais celui-là avait une lubie : toutes les œuvres d’art finissaient toujours par traverser Ulysse de James Joyce.

Julien AMILLARD, In Acqua Scribis (extrait vocal d’Ulysse de James Joyce), 2020
In Acqua Scribis a reçu le soutien de la région Grand Est.

Déjà la première première année, je trouvais cela saugrenu : comment un livre pouvait réunir la mythologie grecque, le surréalisme, Picasso (toutes périodes confondues), Duchamp, Support-surface, l’art conceptuel, l’art moderne, le romantisme, l’art baroque, le roman picaresque et bien plus encore ?

Entre nous, élèves, cela devenait un running gag : on s’amusait à chronométrer combien de temps il lui faudrait pour parler de Joyce. Mais, lors de la seconde première année, eh bien j’avais le temps… Aussi, je me décidai à le lire. Ce fut alors une révélation : à l’instar de Barbier pour les arts plastiques, avec Joyce, je saisissais que l’écriture n’était pas simplement un assemblage de sujet-verbe-complément comme les professeurs de l’Education Nationale ne cesser de nous le dire mais pouvait être un monde à arpenter, un espace où le langage pouvait arborer toutes les formes, tous les sons et surtout, rendre compte du réel avec toute la folie que cela représente. 

Ce livre m’ouvrit la porte, j’entamai le chemin.

Aurélien DUPUIS, Portrait du buste de James Joyce, 2017
Dessin au feutre, 10 X 15 cm

J’ai alors commencé à déconstruire tout ce que j’avais appris à l’école (primaire, collège, lycée) pour trouver ma propre langue. Je m’étais fixé comme exercice d’écrire un texte par jour mélangeant tout ce que j’avais fait, vu et l’entremêler à tout ce qui pouvait me venir à l’esprit (autant les mythes antiques que les événements qui s’étaient déroulés dans les séries télé).

Mon dérèglement de tous les sens[1] dura deux ans et demi.

Durant ce temps, je me mis à peindre. Non, je découvrais la peinture et tout ce qu’elle exigeait.

Peindre, ce n’est pas simplement déposer de la matière sur une surface. Peindre, c’est accepter l’autre ; l’autre étant le support. Accepter que ce que nous pensions faire est toujours démenti par l’autre parce que lui, il sait quand il faut s’arrêter. Peindre, c’est comprendre que nous ne sommes qu’un exécutant. Les peintres le savent : nous ne pouvons rien faire sans écouter et accepter cette peinture. Cette dernière est incommensurable et nous ramène toujours à notre état primitif, lorsque, tout penaud de peindre dans le noir, nous découvrions sur la surface d’une paroi humide, froide et obscure une lumière.

Et puis un jour, je décidai d’arrêter de peindre. 

Cette décision survint lorsque je découvris Marcel Duchamp et compris pour quoi il avait arrêté de peindre.

Sa décision était logique et me renvoyait à mes propres choix : pour quoi est-ce que je peignais ?

J’étais devenu peintre. J’adorais peindre. Mais si, comme pour Duchamp et, bien avant lui, De Vinci, l’art est une chose mentale, qu’est-ce que je voulais dire avec ma peinture ?

La réponse était facile : rien…

Je peignais parce que j’aimais peindre mais, au-delà des odeurs, des couleurs, de la préparation, du rituel, je n’avais rien à dire en peinture…

L’art est un médium, un moyen permettant à l’artiste de communiquer avec les autres… Si la peinture n’était qu’un plaisir égoïste, autant faire autre chose.

Ces pensées coïncidèrent étrangement avec la rencontre d’un camarade de classe, en troisième année, qui, lorsqu’il ne peignait pas, cuvait sa bibine ou lisait Bukowski.

Je connaissais Bukowski comme tant de ma génération : on avait aperçu cet écrivain américain, l’invité-star de Bernard Pivot pour son émission Apostrophes et être ivre, désobligeant et finir par se faire virer de l’émission (une anecdote m’apparait soudainement : pour l’inauguration de leur album Nevermind, Nirvana aussi s’était fait virer de leur propre soirée parce qu’ils étaient ingérables… Est-ce que le grunge aurait plu à Bukowski…?).

J’avais vanné ce camarade et, étrangement, le jour-même, j’étais tombé dans les Kiosques de Toulon (des bouquinistes) sur le second ouvrage qui changea, encore une fois, ma façon d’appréhender l’écriture : Women de Bukowski.

A sa lecture, la poésie éclatait à chaque phrase. L’aridité de son écriture était à l’exact opposé de son alcoolisme. Mais, sous-jacent, avec des mots simples, des mots populaires exploités par n’importe quel quidam, la volonté de puissance[2] explosait. Je compris dès lors que l’écriture était libre, vaste, puissante et que, pour toucher au but, on pouvait parler avec des mots simples et non les empaquetés dans des papillotes clinquantes et abscondes.

Je compris alors que la poésie ne naissait pas de règles, (sous réserve de cas négligeables)[3].

Dès lors, je ne m’arrêtai plus d’écrire.


[1] Arthur Rimbaud.

[2] Fridriech Nietzsche.

[3] Ezra Pound.

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