Découvrez Julien Amillard artiste transdisciplinaire ( écrivain, plasticien) à travers une série de textes dans lesquels il nous fait plonger dans son univers.

Voici le premier volet.

Julien Amillard, Collection de MOI, 2013
album type Panini

Je me demandais quoi écrire pour répondre à cette invitation lorsque je me suis dit que cela pourrait être intéressant pour le lecteur de savoir comment on devient artiste.

Après tout, artiste est un mot entouré de fantasme et qui répond à une définition assez vague mais qui peut se résumer ainsi : l’artiste fait de l’art.

Cette banalité ne dit pas pour autant ce qui pousse un individu à se diriger vers les arts…

La réponse est forcément singulière : chaque artiste aura sa propre réponse.

Voici la mienne.

Au commencement, je ne voulais rien faire.

Du collège, je ne retiens que le Garlaban.

Je vivais à Aubagne et le collège où j’étais inscrit, le collège Lakanal, avait une vue sur le Garlaban. Ce bloc de roche blanchâtre, je le voyais de pratiquement tous les cours et tous ces cours tournaient toujours autour de Marcel Pagnol. Cela devenait lassant mais il y avait les bandes dessinées, les comics et les mangas.

Un camarade m’avait fait découvrir Spawn, un autre Les Chroniques de la Lune Noire et, au hasard d’un rayon de supermarché, j’étais tombé sur la première traduction de Dragon quest : la quête de Daï (le manga s’appelait Fly alors).

Sorti de la BD, il n’y avait que le cinéma et les jeux vidéo.

Un adolescent geek tout ce qu’il y a de plus classique.

J’appréciais dessiner mais cela n’était qu’un hobby. Je voyais bien que de nombreux camarades étaient bien plus talentueux que moi.

Et pourtant, aujourd’hui, je me rends bien compte qu’un talent, ça ne sert à rien si on en fait rien. Comme disait Brassens, sans travail, un talent n’est qu’une mauvaise manie.

Quoiqu’il en soit, arrivé au lycée, je n’avais toujours aucune envie et je me dirigeais vers un bac technologique de vente.

On déménagea alors à Digne-les-Bains.

Enclavé dans une vallée où coule La Bléone, il n’y avait pas grand-chose à faire. Au loin, quelque fois on pouvait apercevoir les drapeaux tibétains flottant au-dessus de la maison d’Alexandra David-Neel ou comprendre qu’à une certaine époque, Digne fut importante…

Mes camarades de vente formulaient des désirs de BTS ou d’embauche. Je ne désirais nullement poursuivre dans la vente, ni aller à la fac, ni travailler.

L’année de Terminale, je décidais de m’inscrire à des cours dans l’école des beaux-arts de Digne. Puisque j’aimais la BD, peut-être que je pourrai faire de la bande dessinée ?

En une séance, je compris que je n’en ferai pas. Tout ceci m’ennuyait profondément. Aussi, je changeai de cours et allai dans un cours de découverte des pratiques artistiques.

Cela me plut, m’enchanta mais, une fois encore, je voyais bien que je n’avais pas le même niveau que mes camarades.

Pour autant, sans raison véritable autre que je ne voulais rien faire, je m’inscrivis l’année suivante en année de prépa dans cette même école. Ma réflexion était très simple : comme son nom l’indique, l’année de prépa ne dure qu’un an. Si cela me plait, tant mieux. Sinon, tant pis. De toutes les manières, il était hors de question que j’aille à la fac. J’avais donc un an de plus pour savoir ce que je ferai de ma vie…

Lors de cette année, au-delà des cours intensifs de dessin, peinture, sculpture, etc., une sortie au Musée d’Art Contemporain de Marseille déclencha tout.

Il y avait alors une exposition de Gilles Barbier et, soudainement, je me mis à rire. Pour la première fois de ma vie, je voyais une exposition d’art et je jubilais, j’explosais de rire !

Barbier avait présenté un ensemble d’installations : à l’entrée de l’exposition, un corps était allongé sur une table d’opération. Le ventre ouvert, les organes s’envolaient en proférant dans des bulles de BD « Enfin la liberté ! » ; dans une salle, des jouets alignés manifestaient leur colère contre cette exposition et n’hésitaient pas à demander à l’artiste de démissionner ; dans une immense salle blanche et vide, dans un coin sans importance, une tâche jaune se faisait voir. En s’approchant de cette tâche, on s’apercevait qu’il s’agissait en réalité d’un chapeau de paille. Et, en s’approchant d’encore plus prêt, on pouvait distinctement entendre le chapeau nous insulter (« Enculé de visiteur ! Bâtard ! Imposteur ! Salaud ! Vous ne comprenait rien à l’Art, vous ne venez ici que pour vous montrer ! Escroc ! »).

Alors c’était ça l’art ? Ce n’était pas uniquement des œuvres d’art sérieuses et religieuses, de la Renaissance ou du Moyen-âge. C’était l’irrévérence, le rire, la vie ! Putain l’Art ! Ça, c’était incroyable, ça, ça ! Voilà, c’était ça ! C’était ça que je voulais faire ! Je voulais vivre, jubiler et procurer de semblables expériences au spectateur !

Gilles BARBIER, l’Orgue à pets, 1996
Cire, verre soufflé, appeaux, compresseur
150 x 700 x 100 cm

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