Découvrez Julien Amillard artiste transdisciplinaire ( écrivain, plasticien) à travers une série de textes dans lesquels il nous fait plonger dans son univers.

Voici le quatrième et dernier volet.

Julien AMILLARD, Le Tabou du Terrier, 2016
Dimensions variables, peinture, acier, plastique – Installation réalisée dans le cadre du festival d’art contemporain Horizons Sancy

On court. Chaque jour, dans la forêt du Waldeck, le long de la Méditerranée, dans le parc du Cinquantenaire, dans un lieu ou un autre, pour garder la forme, nous courons.

Durant mes courses, je regarde le sol, je regarde le ciel, je regarde les gens. Certains s’apprêtent pour suer. D’autres puent. Certains courent sans souffler quand d’autres peinent à poser un pied devant l’autre, alors ils marchent.

Du revers de ma main, j’essuie la sueur perlant au-dessus de mes yeux : elle m’empêche de penser.

La course comme la marche est un temps pour le corps mais surtout pour l’esprit.

On pratique un circuit impliquant des dénivelés plus ou moins importants, mettant à l’épreuve notre corps vieillissant chaque jour un peu plus et puis, sur un arbre, scarifié, des noms entourés d’un cœur.

Depuis combien de temps ces noms sont-ils là ?

L’arbre a forcément grandi depuis le jour où ces êtres amoureux ont gravé leur amour dans un être changeant. Et pourtant, ils y ont cru : l’éternité est courte.

Mais durant un temps, une nuit, Shéhérazade continua de perdurer leurs noms et leur histoire se prolongea, sous d’autres noms, d’autres formes, d’autres arbres, une course de relais dont le témoin est toujours l’autre.

En Art, l’autre est d’abord le médium puis le spectateur/lecteur.

On joue avec une matière, une pratique et puis, lorsqu’on apprend que c’est la fin, le témoin est relayé au spectateur.

Des histoires se tissent dès lors, entre l’artiste, l’œuvre et le spectateur.

Ces histoires sont protéiformes et pourtant, elles traitent toujours d’une seule chose : nous, êtres humains.

Julien AMILLARD, De la Vague à la Lune, 2020
Pièce sonore créée dans le cadre du week-end de l’art contemporain

L’Art est anthropocène.

S’il n’y a plus d’êtres humains pour voir, écouter Väinämöinen scander, comment Coyote a cassé les dents du vagin des femmes, comment quelques gouttes tombées d’un katana a formé l’archipel du Japon, comment le Déluge est tombé sur Gilgamesh, les Juifs, les Chrétiens, les Musulmans et les Aztèques, comment Thor s’est travesti en fille pour récupérer Mjolnir, comment un petit garçon pissant à la vue de tous est devenu le symbole d’un pays, comment Cúchulainn est devenu le chien de Culan… alors cela signifiera que nous n’avons jamais existé.

Nous créons pour dire, pour vivre, pour questionner et poursuivre cette histoire née autour d’un feu, lorsque, terrorisés par la nuit, nous parlions pour effrayer les tigres à dents-de-sabre, lorsque les femmes détenaient le mystère de la Vie et que dans une grotte, nous peignions pour que d’autres sachent qu’un jour, ici, des hommes ont chassé des mammouths, gagnèrent des guerres, rejoignirent Ithaque puis Dublin, se laissèrent guider par une jouvencelle issue d’Orléans, cassèrent leur PEL pour un smartphone, partirent à pied d’un château à un autre, cherchèrent le Graal, se murgèrent en l’honneur de morts qu’ils n’avaient jamais connus…

Les histoires forment notre vie et, chaque jour, avec des mots ou des formes, telle l’herbe, nous en propageons le témoin…

Julien AMILLARD, The Last Sentinel, 2013
Performance et installation, dimensions variables

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