Découvrez Céline Lachkar, à travers une série de textes dans lesquels elle nous fait plonger dans son univers.

Voici le second volet.

La relative solidité -Morphogenèse

Point d’orgue

De la montagne au chemin

« le roi s’approche de son temple »

Troisième

De la montagne la relative solidité.  Les parois dures, sèches et pourtant la poussée visible, sa trace. Mais toujours, elle est en train. Je pense aux pensées qui se figent, aux définitions, aux identités, aux cristaux, aux géométries. Tout paraît plat parce qu’on y bute.

Comme si nous étions trop volumineux. Comment entrer ? ou sortir ? sortir de ce qui apparaît ? Le regard ogre réclame plus de volume, de la quantité. Il est souvent grossier (de grosse densité), solide, trop pour voir le petit.  Alors il en fabrique, des petits, en découpant. 

Peinture acrylique sur toile – Trésor

Je me rappelle de gros regards affalés, de ceux qui cherchent à être impressionnés, leur déni à l’égard de ceux qui parlent peu. Leur peur du silence. Le petit ne paraît pas assez, mais pourquoi devrait-il paraître plus ?

N’est-il pas déjà un point de passage qui permet de régler, de maîtriser, de concentrer, de faire devenir la quantité une qualité.

L’œil, le sablier, le détail.

Les trésors au bout des longues brassées dans de grandes surfaces d’herbe et de sable.

Point d’orgue. L’écoute. La danse.

C’est en répétant le geste, en le répétant avec attention, qu’on n’ y pense plus, qu’on y est, et que quelque chose s’ouvre à l’évidence.  A force de jeu d’équilibre entre trop et pas assez, j’avais senti tout à coup la position, la tension juste, celle où je ne sentais plus de tensions déplacées, nulle part.  La ligne brisée devenait une étendue libre par un saut. 

Crayons de couleur sur papier – D’une rive à l’autre

Sur une marche, une camarade de classe nous avait réunis pour nous donner une recette : je vais vous apprendre à faire un ballon. et elle n’avait qu’un bout de papier misérable. Beaucoup de pliages, d’attention, de petits gestes à plat. et soudain la magie d’un volume en soufflant par un petit trou laissé comme un oubli.

Soudain. Un saut. De beaucoup à un. Quand tout se tient de lui-même, quand tout va de soi.

Tout à point, tout à coup, ça brille. 

Périodiquement je participais à l’astiquage des cuivres de la maison. Je n’utilisais pas le produit lustrant, c’était plus long mais c’était à la seule action de ma main que le métal brillait. Et j’étais fière car je pensais que c’était aussi ma volonté de brillance qui provoquait une accélération de l’effet.  J’aimais ce mouvement de dégagement pour un éclat lancé à la perpendiculaire. Polir et réduire, faire remonter le trésor. Frotter. Masser. Et faire émerger. Une surface carrée, en rêve, qui s’épaissit d’une fine couche blanche onctueuse. J’y pose la main et trace de grands cercles dans l’épaisseur qui diminue. Mes cercles semblent agir en même temps sur autre chose qui n’est pas là, que je ne vois pas, je sais que le phénomène aura lieu si je poursuis le massage, si je reste en tension. L’attention agit en diaphragme qui concentre et qui ouvre. Petit. Liquide.

Le mouvement de l’attention est sûr et répété, c’est celui d’une marche. Une action du rythme, polissant.

Poudres de pierres et feuilles d’or – Aperlithes

Le son des graviers surgit du pouls nocturne, en avant-sommeil. Un marcheur dans le coussin ? nonon, mon cœur.

Mais quand même, une marche est lancée qui fait disparaître un monde et en appelle un autre où le premier est toujours présent.

Dans le noir, mes yeux sont un œil qui voit de l’ultrachangeant. Des points apparaissent, une tâche bleue, floue, les éclipse. Elle se contorsionne très vite et devient nette et jaune, verte, bleue à nouveau, une nappe fluide qui tourne en volutes, coule à la fois vers le centre et partout, de l’eau de couleurs qui s’efface parfois et un grand éclair traverse le noir grouillant de piqûres lumineuses. C’est encore plus intense qu’après le soleil. Maintenant, si je change la profondeur de champ et si je regarde plus loin, les tâches se compliquent et deviennent des rêves. Et si à temps, je me « désaccomode » pour voir plus près, ce ne sont que des tâches, je réalise physiquement l’illusion du rêve.  De la même manière, notre « réel », si réel, si solide, serait-il aussi un rêve ? Quelles en sont les tâches primordiales ?

Comment quitter une vision solidificatrice, plate, orpheline qui considère le monde à travers des glaçons ?

Le chant coule de l’affinage, à 90° de ce qui louche et tombe à faux.

Ces tâches chantent si je m’y concentre. La berceuse s’écoule du petit.

La marche m’a bercée avant de voir le monde. Les efforts ont failli même m’y précipiter. Depuis et activée régulièrement par la poussée à gravir, elle est tendue dans mon écoute. Les cailloux se fondent dans la trajectoire. Les géométries reprennent vie, par cette « alteroptique », cet axe magique de l’attention qui, lorsqu’elle est sans attente, prend la forme d’un sablier ouvert, sans fond. De cette nouvelle vision plus de paradoxes, ils deviennent des évidences, plus de clichés, ils deviennent sérieux, plus de symboles abstraits mais des trajets à arpenter, plus de déjà-vu, mais un déjà-non-vu.  

Les figures du petit sonnent le plus souvent comme des clichés pour les ogres « aplatomanes », ou plutôt ne sonnent pas.

Ce texte par exemple peut ne pas sonner.

L’évidence n’éveille pas l’intérêt. Pourquoi ? Elle est un saut de l’un au même, et la répulsion des yeux horizontaux pour ce qui a déjà été. Elle fait mépriser les lieux communs. Ils sont pourtant des lieux communs, des moyens de rassembler les cailloux pour ne pas perdre le chemin.

Vidéo – Prise

Pour aller plus loin, lisez la bio-démarche de l’artiste dans le premier volet consacré à Céline Lachkar :

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