Avec ce premier roman, entre un coup génie, coup de cœur, tour de force, tour de cadran, Marie Vingtras nous emmène au bout du monde, en pleine tempête, en Alaska.
Dès les premières lignes, la tempête est déclarée, le compte à rebours de l’intrigue est lancé : le roman se lit d’une traite.
Une première rentrée littéraire remarquée et remarquable, les prix littéraires ne sont vraiment pas loin !
Un huis-clos en terre hostile et pleine tempête
On est projetés en Alaska, au coeur d’une tempête terrible. Un enfant disparaît au cœur d’une nature chaotique et sauvage. Et nous voilà lancés face à quatre personnages pour percer ce mystère et comprendre.
Quatre personnages, quatre vies, quatre parcours, quatre introspections qui, lues tour à tour, complètent le puzzle de l’intrigue.
Où est l’enfant, pourquoi sont-ils tous là ?
Au cœur de la tempête, et entre les coups de vents violents, les voix se succèdent : la mise en scène narrative fait s’entrecroiser les pensées, dans le désordre, de personnages qui ont tous eu une bonne raison de fuir et de trouver refuge loin des hommes.
Il y a Benedict, jeune homme qui n’est pas heureux dans ces confins du monde, mais qui est resté et qui élève un jeune garçon avec une femme, Bess.
Il y a Cole, autochtone lointain, sauvage, bourru, duel, personnage trouble et assorti d’un ami qui le suit partout, comme un chien mal éduqué.
Freeman, nouvellement arrivé, vétéran du Vietnam et père endolori, se confrontant sans cesse à l’hostilité de la nature.
Bess, par sa culpabilité, sa responsabilité, se place peu à peu au centre de ce roman, ce qu’elle est et fait contraint les autres à bouger à leur tour et à révéler ce qu’ils sont.
Sauver cet enfant perdu, pourrait peut-être permettre de sauver aussi l’espoir et effacer l’infinie fuite échappatoire, effacer la douleur, la peur, la culpabilité, le malheur qui semble être le dénominateur commun de ces destins réunis au milieu de nulle part.
Une héroïne entourée d’hommes intrigants ?
Les relations entre tous ces personnages, étranges, laissent planer le doute : quels sont leurs rapports ? On découvre ces personnages par leurs pensées, leurs parcours, leurs familles, leur fils, leur frère, leur sœur, leur mère, leur fils… on entremêle les fils lancés par leurs confessions en monologues intérieurs pour démêler le mystère.
Ces prises de parole de chacun, tour à tour, chapitre court après chapitre court, donnent au lecteur l’impression d’assister à un improbable et improvisé interrogatoire en choeur chaotique, au coeurs du chaos.
On ne comprend pas pourquoi Bess sort avec l’enfant en pleine tempête, en plein blizzard, compte tenu des risques encourus, au lieu de faire ce qui se fait généralement pendant les tempêtes du Grand Nord, calfeutrer les fenêtres, pour se calfeutrer, tenir entre ses murs les uns contre les autres.
Une fois dehors, Bess lâche la main du « petit » quelques instants pour refaire ses lacets. Et il disparaît, dans la tempête, dans le blizzard. Le blizzard, lui, ne disparaît pas.
Peu importe, j’ai lâché sa main combien de temps ? Une minute ? Peut-être deux ? Quand je me suis relevée, il n’était plus là. J’ai tendu les bras autour de moi pour essayer de le toucher, je l’ai appelé, j’ai crié autant que j’ai pu, mais seul le souffle du vent m’a répondu.J’avais déjà de la neige plein la bouche et la tête qui tournait. Je l’ai perdu et je ne pourrai jamais rentrer. Il ne comprendrait pas, il n’a pas toutes les cartes en main pour savoir ce qui se joue. S’il avait posé les bonnes questions, si j’avais donné les vraies réponses, jamais il ne me l’aurait confié.
Blizzard, Marie Vingtras
Quatre personnes dans une course contre la mort
Comment Benedict s’est-il retrouvé à s’occuper, avec Bess qui n’est pas sa femme, de cet enfant qui n’est pas le sien et est bien plus intelligent que lui, pourtant ? Quel secret Bess, si c’est son vrai nom, peut-elle cacher ?Pourquoi Cole boit-il autant et est tout le temps accompagné de Clifford qui ne dit rien mais le suit comme un chien ? Pourquoi Freeman, de son côté, revit sa vie en réminiscences pour s’expliquer et comprendre la raison de sa présence dans ce recoin isolé, sauvage et paumé ?
Bess part à la recherche de l’enfant. Benedict remarque leur absence, il accourt lui aussi, pour le retrouver. Il est suivi par Cole, le vieil « ami » de la famille et sorte d’homme de main de son défunt père, Magnus Mayer. Ensemble, même si Cole est très réticent, ils se lancent dans une quête désespérée. Freeman sera lui aussi emporté par la tempête et la course contre la montre, ou la mort, pour retrouver l’enfant.
Un quête chaotique comme une chorale improvisée et effarée
Où est l’enfant, pourquoi sont-ils tous là ? Qu’est-ce qui a pu pousser la femme et l’enfant à sortir malgré le danger ? Violence ? Immaturité ? Inconscience ? Folie ?
La peur, l’inquiétude, la colère, le besoin de le trouver, de savoir ce qui s’est passé pour le retrouver, chacun va le ressentir différemment.
Ils tâtonnent dans le blizzard, pour tenter de retrouver l’enfant, et en tâtonnant, ils parlent, et devant nous se détaille peu à peu la vérité de chacun des personnages. Et c’est paradoxalement dans la tempête, la neige et le brouillard, que le passé des uns et des autres fait surface.
Comment, sous ce vent violent et glacé, retrouver le garçon et résister à l’urgence de s’enfermer ou fuir, s’enfuir ? Quelle est l’échappatoire à cette tempête, à part sa propre tête ?
Ce qui est touchant, émouvant, intrigant c’est que les personnages sont tous sincères, face à leurs pensées et nous amènent à comprendre la vérité.
Une chorale improbable mais en quête vitale
Avec chaque chapitre, les voix de Bess, de Benedict, de Freeman, de Cole, racontent leurs histoires personnelles, et ces histoires finiront peut être par converger.
La convergence de ces voix pourrait être une rivière sauvage qui, elle, pourrait tout emporter de son courant puissant et drainer des moments de violence, de tragédie, de malheur, de remords, parfois aussi de vérité, de lucidité voire d’amour réel.
La disparition paraît être au cœur des vies brisées, de la fuite sans fin jusqu’aux confins du monde de chacun des personnages. Chacun semble, au fil des mots que ses pensées livrent au lecteur, vouloir « être un être de passage, telle une comète, puis disparaître, toujours repartir, toujours sur la route. »
Le roman est bref et d’autant plus riche et intense, et dans ce roman, on se retrouve à explorer, fouiner dans l’âme des personnes, et à décortiquer pour la saisir la culpabilité.
On sent aussi, dans ce roman, dans son écriture fluide, multiplement consciente comme un courant, ces monologues intérieurs et cette oralisation du style « à l’américaine« , tous les génies outre-Atlantique qui ont inspiré et nourri la plume de Marie Vingtras : de Faulkner à Russel Banks, Cormac McCarthy, Jonathan Coe, David Vann, ou encore James Ellroy… Auteurs que ce roman, en nous y renvoyant, nous donne envie d’aller lire, relire, découvrir ou redécouvrir, par ailleurs.
Lire est parfois une belle fuite en avant !
L’écriture de ce roman semble ciselée, les monologues y sont aussi justes intérieurement qu’émiettés, le puzzle constitué à reconstituer par le lecteur est intense, surprenant et frissonnant.
Par son originalité, sa tension, sa richesse d’intrigue, sa profondeur, sa faculté à dire l’essentiel, ce premier roman de Marie Vingtras est sans doute l’un des plus beaux de cette rentrée littéraire !