Je fais des gestes car les mots me semblent parfois trop faibles

 Je profite de cette belle occasion qui m’est donnée par Cultures Sauvages, publier tous les mardis du mois de mai 2022 dans la série “Un artiste, un univers”, pour développer une pensée sur les rapports qu’entretiennent l’écriture et le geste. Même si elle part d’une volonté d’auto-réflexivité, cette pensée sera poétique dans sa forme.

*


Cette envie de réfléchir sur les rapports entre geste et poésie m’a conduite à me poser la question du pourquoi je faisais toutes ces performances ; et surtout mais pourquoi diable je ne me contentais pas de simples lectures qui seraient bien plus reposantes ! C’est alors que cette phrase m’est apparue, je l’ai griffonnée sur le bord d’un carnet sans trop la comprendre… Je vous la confie ici : “je fais des gestes car les mots me semblent parfois trop faibles”. Cela peut paraître paradoxal, pour quelqu’une qui écrit de la poésie. Mais j’ai aussi eu la sensation qu’au fond, peut-être, j’écris de la poésie parce que je manque de mots. Ou plutôt : parce que je manque les mots. Je les rate. Dans le langage commun, je (on ?) passe à côté. J’ai la sensation de ne pas les connaître assez bien.
Et je veux mieux les connaître.
Et je veux les connaître.
Sincèrement.
C’est pour cela que, pour tenter de mieux les cerner, je tourne autour et j’en fais un usage poétique. Je les utilise comme ils n’ont pas l’habitude d’être utilisés. Je tente des choses. Je les malaxe, les balade et les bricole. Je les maltraite, les malmène et les brutalise. Je tente tout cela dans la langue même qu’est la poésie sur la page ; mais aussi sur scène.
Par le geste, je manœuvre le mot.
Je le fais aller ici, et là. Je le mets dans ma main, mon doigt, mon pied. Dans le regard que je donne (ou non) au public. Chaque mot a sa propre destination, sur scène. Untel sera dorloté, choyé au micro d’un pupitre net, tel autre sera prononcé d’une voix colérique, sans micro le dos tourné et regard au sol.
Les mots vivent sur scène, dans chaque geste. Ils ont une trajectoire, un déplacement, comme des personnages. Ils possèdent un vrai volume scénique. Ils sont geste, dans le sens où ils me conduisent à faire des gestes au moment où ils sortent de ma bouche, au moment où l’air du monde vient pénétrer dans ma gorge et faire se frotter mes cordes vocales simultanément à un mouvement de bouche/lèvre/langue/dent qui fait que telle consonne ou telle voyelle associée à d’autres viennent faire naître un ensemble significatif qu’on appelle “mot”. Cela me conduit à gestualiser telle forme dans l’espace et pas une autre. Ils me guident.

Eux aussi, ils performent (nous reparlerons de ce verbe).

D’autres fois, c’est le geste qui vient avant les mots. Un geste poétique. Comme celui qui vient du cirque ou du clown. Deux disciplines que je rapproche beaucoup de la poésie, qui m’inspirent beaucoup, venant moi-même du théâtre physique*1. Lors de ma dernière performance, c’est ce qui s’est passé. Je voyais des chutes. Je voyais le verbe “chuter”, “tomber”. Et puis, en creux, inévitablement, le “tenir debout”. Dans un deuxième temps seulement, le texte est venu. Je me suis alors souvenue que petite, la poésie se trouvait dans les êtres et les choses, pas dans les livres.

Faire poésie, vivre poétiquement, c’est avoir une approche charnelle et sensuelle du monde. Une position vis-à-vis du réel (et des mots !) qui n’est pas froide, qui veut traverser, éprouver ! Fort et intense ! Je crois que Siméon écrit dans L’usage du poème “comme si tout était étreinte amoureuse”. C’est beau. Mais je nuance : comme si tout était étreinte tout court, oui. Peut-être. Voire câlin.
Je vais donc faire un geste, c’est-à-dire d’après le dictionnaire “un acte, action, mouvement du corps (surtout des bras, des mains, de la tête), révélant un état d’esprit ou visant à exprimer, à exécuter qqch” : je vous fais un câlin. Cela me donne une idée. J’annonce que l’une de mes prochaines performances travaillera autour du câlin.

Crédit : Hortense Raynal

(note de bas de page)
*1 Les liens proposés ne visent pas à être définitoire des disciplines, mais sont des références personnelles, des sources d’inspiration qui alimentent mon travail.

Pour aller plus loin, découvrez la biographie de Hortense Raynal :

Hortense Raynal est performeuse, poétesse, comédienne et aveyronnaise. Elle publie son premier livre de poésie, Ruralités, en 2021. Elle a étudié la littérature, le théâtre et le cinéma à l’ENS Ulm de Paris. Elle se forme au théâtre physique, aux accointances avec la danse, en Feldenkreis, Body Mind Centering, Butô et clown. Elle réalise des performances partout en France, et diffuse sa poésie sur Spotify & YouTube
Sa poésie est organique, gestuelle. Elle explore autant dans son écriture le champ de la géopoésie et les thèmes de la mémoire paysanne que la posture punk et queer. Et ce, toujours avec un lien très physique aux syntagmes. Elle explore dans ses recherches performatives la saturation de la langue, sa matière physique, la générosité scénique, le lien public-poésie-poétesse, le lien geste et écriture, la présence de l’objet livre. Comment investir la poésie ?
Elle a publié dans de nombreuses revues : Teste, Point de Chute, Lichen, Fragile, Tract, Gustave, Terre à ciel, Meteor, Sabir… Elle a été poétesse résidente à La Factorie, à L’Usine Utopik, à La Maison de la Poésie d’Amay, à La Colle à Gréoux-les-Bains entre 2020 et 2022. En 2022, elle fonde Mater Atelier, qui tente de fédérer le matrimoine poétique contemporain.

– Sites 
Site internet
Linktree
Instagram
Agence Régionale du Livre
Chaîne YouTube de performances
Chaîne YouTube de poésie sonore
Mater Atelier

Laisser un commentaire