Voyagez dans l’univers musical libre et hors-norme d’Hyperactive Leslie, projet solo d’Antonin Leymarie, à l’occasion de la parution de son EP « Joué », le 18 juin 2021, chez Airfono.


Il communique en s’amusant, composant une techno minimale faite à la main, dialogue entre le geste et la machine ; musique expérimentale aux sons larges, distordus et riches en harmoniques.

©Kaspar Ravel

Si on se réfère à la pochette de votre EP et au clip « Touché », on se promène dans un univers de réalité virtuelle : dans celui-ci, on survole tel un drone une cité déserte, engloutie sous la neige, dans une distorsion visuelle qui fait référence aux jeux d’animation (programmés sous acide ?). On vit depuis plus d’un an en alternance de confinements et de couvre-feux. Doit-on y voir une référence à la situation actuelle ?

Complètement, c’est un voyage qui se rapproche de la fabrication musicale de l’EP. C’est Kaspar Ravel qui a créé ce clip, magnifique et subtil. Un voyage qui commence à Montreuil, dans les murs à pêche, là où je vis, et où j’ai passé le confinement à me balader, comme je n’avais jamais eu le temps auparavant. Au milieu de jardins et friches à l’abri des regards, certains terrains presque agricoles, et d’autres habités par des gitans. Il y a dans ce quartier une vie cachée, qui ne se voit pas en surface, qu’il faut aller chercher pour voir et dont il se dégage une certaine beauté. On quitte Montreuil pour Berlin, où l’EP a été mixé, avec Jan Brauer, qui fait partie du trio Brandt Brauer Frick.

De Montreuil à Bamako en passant à Berlin, c’est aussi un voyage qui raconte ça, la transformation, l’évolution, l’acceptation, la sidération, la prise de risque d’une liberté à repartager.

Hyperactive Leslie

J’ai rêvé de pouvoir partager ce mix avec eux, ce que nous avons réussi. Je suis allé trois jours en décembre dans leur studio, au milieu d’un confinement assez fort à Berlin, un moment à part. Magique. Ensuite on survole Bamako, avec cette tradition malinké riche et puissante, que j’ai étudiée au cours de ma vie de musicien, et qui est présente en permanence dans mon jeu. La situation d’aujourd’hui est tellement spéciale,  intéressante et flippante, tout à la fois. Du jamais vu pour tout le monde. Alors oui la distorsion du monde, qu’on percevait déjà est ultra-présente. Cela oblige d’autant plus à s’interroger et à changer de point de vue sur comment et pourquoi on doit faire les choses. De Montreuil à Bamako en passant à Berlin, c’est aussi un voyage qui raconte ça, la transformation, l’évolution, l’acceptation, la sidération, la prise de risque d’une liberté à repartager. Le choix de de l’immobilité ou bien le parti pris de bouger. S’autoriser encore à dépasser la ligne imposée, sans avoir peur de choquer.

En écoutant votre musique, on a l’impression d’être dans un laboratoire de performances artistiques mêlées d’expériences visuelles comme la pochette de votre EP, de distorsions sonores et d’imbrications technologiques. Est-ce comme ça que vous définiriez votre univers musical ?

La musique est un vaste champ d’expérimentations, d’une richesse infinie.
Je ne saurais pas définir la mienne. Je souhaite que ce soit un endroit où les choses sont possibles, donc oui favoriser les expériences diverses. J’ai beaucoup joué pour le cirque et le théâtre, où les perspectives et les approches ouvrent un champ des possibles. On peut se trouver à douze mètres de hauteur au dessus d’un trapèze, tout comme jouer de la batterie sous un fil-de-fériste qui fait un salto. Le terme expérimental me va bien. Là où l’on se permet en permanence d’aller vers une prise de risque. Essayer, toucher, voir ce que ça rend si on prend les sons d’une manière ou si on les prend d’une autre. Se donner cette liberté sans jugement. S’y laisser aller. Avec Hyperactive Leslie, je suis constamment en lien avec la notion de technologie, puisque c’est presque un dialogue entre le geste et la machine, entre le coup qui se pose sur une peau et la réponse d’un delay, d’un filtre ou d’une reverbe. J’aime les sons larges, distordus et riches en harmonique.

A l’ère du Big Data, du machine learning et de l’IA, les algorithmes sont omniprésents partout dans notre vie (d’ailleurs « al.go.Ritm » est le nom de votre premier EP solo.) On les utilise pour tout. Ils dirigent notre économie, notre société et peut-être même la façon dont nous pensons. Vous êtes à contre-courant : vous êtes le cerveau et vos compositions sont réalisées à l’aide d’instruments organiques et vivants obéissants aux gestes précis d’un musicien. Pas d’ordinateur, pas de boucle, pas de séquence. C’est une techno minimale faite à la main. Vous définiriez-vous comme un artiste ou comme un artisan, quel est le sens que vous donnez à votre projet ?

Je suis en plein dedans effectivement. Je suis passionné de ce que raconte l’évolution technologique dans nos sociétés. Je ne pense pas être à contre-courant, mais juste être là, pleinement, aujourd’hui. J’aime regarder et étudier la manière dont on devient tous des producteurs, ces nouveaux acteurs du monde. On alimente les GAFAM. D’une certaine manière, on est complètement dévoré par une part de la société qui ne nous laisse pas trop le choix, et d’un autre coté tout est construit autour de la notion de partage, de communauté, de tout ce qui relève symboliquement de l’humain quand il s’ouvre à l’autre. Face à face. Le geste caractérise l’instrumentiste, et je reste ce musicien qui joue avant tout.

Crédit photo : Giani Caserotto

Dans Joué, il y a la notion de s’amuser, et je vois ça comme quelque chose d’indispensable pour communiquer. Il y a plein de super artistes qui font des choses avec des ordis, séquencer etc, … pour cet EP il y a là l’envie de tout jouer « à la main », d’être à fond dans le moment présent. J’ai plutôt l’impression d’être un artiste, qui défend le côté artisan du faire. Mais qui à chaque fois devant une audience essaye de communiquer et partager ma sensibilité. Ma vision du maintenant. C’est sûr que ça pose des questions sur le développement : le modèle de consommation occidentale. On est dans une religion du progrès en pensant qu’on peut améliorer la condition humaine grâce au développement de la science et à l’augmentation indéfinie de la production. On va sûrement beaucoup trop loin dans beaucoup trop de directions. En même temps, on cherche aussi. Je me dis, qu’il y a tout de même plein d’initiatives humanistes qui trouve comment se révéler dans ce pressoir.

Beaucoup de lieux m’inspirent et me font sentir une énergie. J’aime particulièrement les lieux où il peut se créer facilement une osmose entre les artistes et les spectateurs.

Hyperactive Leslie

Votre palette d’instruments sur votre EP est assez impressionnante. Vous pouvez nous détailler ce dont vous jouez ?

J’ai enregistré en live, chez moi. Avec une batterie, que je modifie.
Une batterie avec des tissus (pour la mater), lui donner un son plus sourd, des bouts de métaux, de plaques offset, d’objets de récup que je glane, tout ce qui sonne quand je tape dessus, tout ce qui vibre. Aussi des piezzos, des capteurs, des micros-contact qui captent le sons des  éléments de la batterie. Tout passe essentiellement dans un delay et une reverbe et un petit filtre pour le charley. J’ai aussi un Syncussion Pearl (Drum Synth) qui réagit à deux éléments de batterie que je choisis suivant les morceaux, souvent grosse caisse et charley ou caisse claire. Le tout est toujours live, et en réaction à mon geste . C’est un set-up super simple que j’ai mis du temps à optimiser pour le live.

Crédit photo : Cayo Scheyven

D’où vous vient votre nom de scène Hyperactive Leslie ?

Hyperactive, c’est deux choses. Une part de moi – à ce qu’on dit – hyperactif, vivant, speed peut-être … et Leslie c’est pour la cabine Leslie des orgues Hammond dont je suis fan, que j’ai découvert sous un chapiteau avec la Compagnie Les Colporteurs.

Votre musique est corporelle, un voyage sonore fait pour le dance floor. On se projette dans des clubs berlinois comme Tresor, ou Ohm. Y a-t-il des lieux, des sites qui vous inspirent plus que d’autres ?

Beaucoup de lieux m’inspirent et me font sentir une énergie. J’aime particulièrement les lieux où il peut se créer facilement une osmose entre les artistes et les spectateurs. Je dirais même les lieux où la frontière entre les deux est perméable, où elle s’efface le plus possible pour permettre ce moment de communion avec les autres à un moment donné. C’est toujours ce qu’il restera au live, à la musique du présent, ce don-là du jeu, dans le présent. Unique et indispensable. Alors oui les clubs berlinois ou portugais, mais aussi les bals sous chapiteau en Bretagne ou dans la Drôme .. Une Gare Jazz ou un Atelier du Plateau, tous les lieux qui se jouent des codes pour amener des gens à rencontrer autre chose que ce dont ils ont l’habitude.

Vous avez fait le choix de projets artistiques hybrides, expérimentaux. Comment arrivez-vous à vous épanouir dans une industrie musicale très normée, genrée qui enferme les artistes dans des cases ?

Je me suis construit à travers des histoires collectives où l’on cherche ensemble. Aussi bien sur l’artistique mais aussi sur la façon de faire. Trouver ensemble comment fabriquer l’espace pour donner ce qu’on a en chacun de nous. Libre. Sans se soucier des normes. On est tous en train de chercher sa voix, son discours, je pense qu’il y a tellement de gens qui sont réceptifs et curieux de la musique, sans étiquette, sans norme.
J’évolue dans cette idée. On construit et travaille avec des assos qu’on a montées collectivement, ce qui nous permet de fabriquer plus librement ce qu’on a en tête.

Crédit photo: 3D_paysage-light

Votre musique fait parfois penser à Kraftwerk comme un laboratoire de performances artistiques, à Jeff Mills entre autres pour la techno, à Brian Eno pour l’ambient, à Nils Frahm pour le piano. Quelles sont vos influences exactement ?

Comme beaucoup de monde,  j’aime des choses très variées.
Pour Hyperactive Leslie, je dirais que mon influence principale, en ce moment, est Billy Martin. Superbe artiste batteur, visuel aussi, qui vit aux États-Unis.

Aussi Daniel Brandt, Laurence PIKE , Bob Ostertag (Motormouth Variations), Robert Hood (Internal Empire) , Fernand Schirren (Le Rythme Primordial et souverain), …

Les six titres qui composent votre EP sont à la fois minimalistes, référencés et surprenants : « Aphex », « Joué », « Touché », « Tripplets », « Memory » et « Memory I : CUBE remix ». Le premier est un hommage au producteur / compositeur de musique électro Irlandais Aphex Twin, quel est votre lien avec lui et à quoi font référence les autres titres ?

Aphex Twin… c’est un incroyable compositeur et un génie de la réalisation avec l’ordinateur. C’est aussi un artiste qui reste dans le temps, avec la force qu’il a. Joué est plus en référence avec le breackbeat que j’adore. Le groove façon Metters, Billy Martin etc .. Touché... c’est spécial puisque j’ai ajouté un piano. C’est le seul overdub de l’EP. Ça me rappelle un de mes projets, le Magnetic Ensemble,  dans lequel Fabrizio Rat, un superbe artiste, construit un solo autour du piano préparé et de l’électronique . C’est avec Maxime Delpierre, super guitariste / producteur qu’on à trouvé la forme des morceaux. Il m’a aidé à mettre en forme les propositions, il est entré généreusement dans mon monde.

Qu’écoutez-vous en boucle en ce moment ?

Concept 1 de Richie Hawtin

Qu’avez-vous comme livre de chevet en ce moment ?

Blade Runner de Philip K. Dick

Quel est le titre auquel vous ne pouvez pas résister de danser ?

I like it like that de Pete Rodrigues.  Ça me prend direct …

Notre collectif s’appelle Cultures Sauvages, que cela vous évoque-t-il ?

Sauvage c’est le nom de famille de ma copine et celui de mon fils. Ça m’évoque ma vie. En pleine culture.

Crédit photo : Camille Sauvage

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