Pendant 17 jours, je vous livre mes sensations, mes impressions, mes sentiments de lecture au sujet du roman O de Miki Liukkonen, qui paraît au Castor Astral.
Dixième jour
Je ne traduis pas : j’écris des traduction.
Emmanuel Hocquard
Il est enfin de saluer le travail incroyable du traducteur de ce roman écrit en finnois, Sébastien Cagnoli, tant par le défi que constitue ce type d’ouvrage que par la qualité de la traduction. Le traducteur de ce type d’ouvrage devient écrivain à part entière, collaborant pleinement au plaisir du texte ressenti par le lecteur. Il se fait le médiateur indispensable entre l’auteur et son lecteur.
Sébastien Cagnoli s’est admirablement adapté aux différents registres de langues employés par Miki Liukkonen et a su traduire la folie, la poésie et la richesse de mots qui ne cessent de se transformer. Il a transmis toute l’énergie et la vivacité de cette œuvre riche et multiple.
Un bon traducteur n’est pas forcément un écrivain, mais sûrement quelqu’un qui se sent obligé, presque moralement, de le devenir le temps d’une traduction. C’est donc un écrivain assez étrange : il est un double de l’auteur qu’il traduit et dont il doit intégrer le style, la vitesse ou la rythmique. Et en même temps, un écrivain dans sa propre langue.
Claro
Il entre ainsi dans la catégorie de tous ces traducteurs qui ont affronté de grandes œuvres présentes ou passées.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que parmi les auteurs phares de Miki Liukkonen, on compte deux auteurs dont la traduction dans une autre langue compte comme une gageur et un défi particulièrement difficile à relever : James Joyce et Georges Perec.
Si on commence par Joyce, le défi est double, autant pour Ulysse que pour Finnegans Wake. Pour ces deux monstres langagiers, on trouve non pas un seul traducteur mais un collectif. Le lecteur a pu ainsi découvrir une nouvelle traduction d’Ulysse, 75 ans après la première version d’Ulysse de James Joyce en 1929. Cette nouvelle traduction reprend en partie celle d’Auguste Morel, revue par Stuart Gilbert, Valéry Larbaud et Joyce lui-même.
La nouvelle traduction présente donc la particularité d’être une œuvre collective: Jacques Aubert, qui a déjà dirigé l’édition de La Pléiade, a coordonné une équipe qui comprend des universitaires (Marie-Danielle Vors, Pascal Bataillard, Michel Cusin et Jacques Aubert lui-même), des écrivains (Tiphaine Samoyault, Patrick Drevet, Sylvie Doizelet) et un traducteur littéraire, Bernard Hoepffner. Ce dernier valorisait la partie créative du traducteur:
Le traducteur est un écrivain, le texte offert au lecteur est écrit en français. Le traducteur a le plaisir schizophrène d’écrire un texte qui, sur le papier, est entièrement différent de celui de l’auteur, tout en restant exactement le même: plus je suis fidèle à l’auteur, à sa langue et à celle dans laquelle je traduis, plus la contrainte est grande, plus mon plaisir est intense.
Bernard Hoepffner
Le défi constitué par Perec est tout aussi important car pour tous ceux ou toutes celles qui ont lu des livres aussi différents que La disparition et La vie, mode d’emploi, fondés sur la contrainte, on imagine bien toute la difficulté de passer d’une langue à une autre. sans pour autant gommer les particularités du texte.
Sans faire un compte rendu exhaustif des plus grandes traductions, je vous propose un TOP 5 complètement subjectif des traductions les plus incroyables de ces livres réputés « intraduisibles », avec un ou deux traducteurs par langue, sachant que toues les langues ne seront pas citées.
- Pour la langue anglaise :
Claro et ses traductions de romanciers tous plus fous les uns que les autres : William H. Gass, William T.Vollmann, Mark Z. Danielewski et Alan Moore.
2. Pour la langue allemande :
Claude Riehl pour avoir traduit Arno Schmidt chez Tristram.
Martine Rémon pour ses traductions des romans de Reinhard Jirgl chez Quidam.
3. Pour la langue roumaine : Laure Hinckel pour sa traduction du romancier Mircea Cartarescu.
4. Pour la langue espagnole :
Claude Murcia pour ses traductions du « Faulkner espagnol » Juan Benet.
5. Pour la langue italienne :
Jean-Paul Manganaro pour ses nouvelles traductions de Carlo Emilio Gadda aux éditions du Seuil.
Bertrand Schefer pour ce monument que sont les Zibaldone de Leopardi chez Allia.
A suivre.
Et on terminera avec une référence musicale présente dans le roman.
Le tourne disque dans le séjour jouait Scratch My Back de Peter Gabriel. Au menu, il y avait un minestrone léger au poulet, des pois gourmands frais et des petits pains maison avec du fromage bleu. Toutes les lumières étaient éteintes à l’exception du lampadaire du séjour, et Julia avait rempli la cuisine de bougies de différentes tailles. Cet éclairage tamisé, couleur de pain blanc, grillé, n’atteignait pas la cuisine. Peter Gabriel chantait : « She’s the moon, she’s the moon, she’s the moon,she’s the moon ».
O, Mikki Liukkonen