Une série Netflix en quatre saisons.

Ce n’est pas un cas isolé. L’un des principes de la pop culture consiste à cultiver un succès en le franchisant. Nous n’avons plus alors une « simple »  création d’individus donnant leur point de vue sur le monde via un médium mais une marque.

Ainsi avons-nous pu constater la catastrophe mythologique mais réussite pécuniaire dans l’exploitation de Star Wars, les déclinaisons qui semblent infinis de tout ce que Marvel a pu produire ou encore Harry Potter devenant des films, des Lego, des jeux vidéos, des habits, des chocolats.

Pour autant, le jeu vidéo est un médium particulier.

En effet, nous ne faisons pas que suivre une histoire écrite par un tiers, nous en sommes les acteurs : en jouant, l’histoire est différente. Il suffit de voir des jeux comme Zelda. Le point A et le point Z sont visible dès le début (de la même façon que nous pouvons lire le premier chapitre et le dernier chapitre d’un livre) mais il n’y a aucune ligne droite à suivre (pour reprendre l’image du livre, c’est comme si vous lisiez le livre sans suivre la pagination et en sautant toutes les trois pages jusqu’au moment où vous vous dites qu’il faut retourner aux pages que vous aviez squizzé car un truc vous échappe…) : l’ouverture de l’histoire est prise en compte dès le début du jeu car, ce qui importe, c’est l’immersion du joueur. Pour cela, au-delà de l’histoire, il faut créer une ambiance via le son et l’image. Le joueur ne joue pas (ou moins) pour avancer dans l’histoire ou défier un boss de niveau que pour se plonger dans un univers virtuel.

Aussi, vu le succès commercial indéniable de franchise comme Mario, Sonic, Street Fighter ou autre, des producteurs ont cru plonger dans une piscine de dollars dès la signature du contrat d’exploitation de ladite franchise dans le médium cinéma : ils s’y sont tous cassés les dents car, peut-être, sûrement, ils n’avaient pas saisi les enjeux réels d’un jeu vidéo.

Et pourtant, me voilà regardant Castlevania, production animée de Warren Ellis sur Netflix, et < ATTENTION SPOILER !!! > ÇA TABASSE !!!!

Capture écran de l’un des jeux vidéos Castlevania.

UNE FRANCHISE COMME UNE AUTRE : DRACULA

Les Vampires sont devenus mainstream. Il ne s’agit plus de savoir ce que nous savons ou non des vampires car tout le monde sait ce qu’est un vampire : basiquement, c’est un être humain mort-vivant qui n’aime pas l’ail ni les crucifix et qui se nourrit de sang (principalement humain). Cette connaissance est due à la commercialisation du vampire et à l’appétence pour l’individu à zieuter l’interdit, l’horreur (d’où, aussi, le succès en presse des faits divers) mais aussi à la déclinaison de ce mythe dans les films, les séries tv, les romans, les BDs, les costumes, les gadgets, etc.

Pour autant, les vampires sont la base d’une véritable terreur liée à l’humanité. Des vestiges de tombes datant au minimum du moyen-âge le prouve : les hommes de cette époque avaient mis des pierres dans le cadavre pour être sûr qu’il ne pourrait pas revenir les mordre. Ou encore, en Irlande, de nombreux cadavres dits « malfaisants » se retrouvèrent, après leur mort, avec un pieu dans le cœur…

Cette terreur existe depuis des siècles mais il aura fallu attendre Bram Stocker pour qu’une personnification se mette en place à travers Dracula.

Bram Stocker savait ce qu’il faisait. Irlandais de naissance, il  connaissait les mythes préalablement cités. Mais il lui fallait un corps pour habiter toutes ces légendes. Il le trouva en cherchant dans les individus les plus cruels de l’histoire de l’humanité.

Il aurait pu se focaliser sur la légende de la comtesse Bathory qui se baignait dans du sang de jeune fille vierge pour préserver sa jeunesse et sa beauté (aucune preuve historique si ce n’est des aveux fournis sous la torture) mais il préféra s’épencher sur le Prince Vlad III Basarab surnommé « l’Empaleur » (« vous savez, il était gentil quand il descendait ses cadavres » dixit l’un de ses voisins de palier).

Vlad, lui, c’est un bon méchant. Il est à la fois fascinant et répugnant (vous remarquerez que cela va souvent de paire). Aussi, Bram Stocker va exploiter l’ensemble de ces mythes et créer ce Dracula, roi des vampires qui n’est en fait qu’un gros romantique condamné à l’immortalité (oui, bon, il doit tuer pour cela mais concrètement, même Highlander doit tuer alors que lui, il pourrait s’en passer).

Romantique condamné à l’immortalité. Oui, le roman n’est que ça : c’est l’histoire d’un homme qui n’a qu’un espoir qui ne tient qu’en une chimère : peut-être, un jour, l’amour de sa vie tragiquement morte avant qu’il renie Dieu et décide de devenir le roi des vampires, va revenir (une réincarnation donc) et il sera là pour l’accueillir et à nouveau couler des jours heureux…

Coppola est le seul à avoir traduit cette chose-là tout en accentuant l’essence du mythe du vampire : la sexualité et la mort.

Le sexe et la mort sont toujours entremêlés. Il suffit de penser à l’un des synonymes de l’orgasme, la petite mort : le fait de se perdre dans le corps de l’autre, de s’oublier dans l’autre est une sorte de mort.

Cet aspect du vampirisme est né avec Stocker. Nous le disions précédemment, historiquement, le vampirisme n’a rien de sexy. Et bien Stocker y implanta ceci et depuis, que l’on pense à Anne Rice, Stephenie Meyer ou encore Buffy contre les Vampires, le vampirisme est une histoire d’amour de plus (Romeo et Juliette étaient issus de deux familles qui se détestaient, les vampires et les humains : même combat).

Affiche du film Dracula de Coppola en 1992.

LE MYTHE CASTLEVANIA

Un jour, durant les années 80, des Japonais (la société Konami) se lancèrent sur la vague vampirique et créèrent Castlevania.

Ils se lancèrent dans un jeu vidéo à l’histoire assez simple de prime abord : nous sommes des humains et il faut tuer tous les vampires que l’on croise jusqu’à atteindre Dracula, le chef, le boss final.

L’idée était lancée mais ils ne pouvaient rester sur ce simple principe. Nous parlons de vampire. Nous parlons d’une chose importante pour l’humanité et puis, si dans le même geste on parvenait à créer une saga, ça valait le coup d’essayer, alors ils créèrent une mythologie au sein même du jeu.

Qu’importe le jeu Castlevania à laquelle vous jouez, vous serez toujours un Belmont (le nom de cette famille est un hommage revendiqué à Jean-Paul Belmondo).

Les Belmont sont dans la mythologie du jeu une famille issue de la France qui a voué sa vie (et ses générations) à protéger l’humanité contre les démons, loups-garous, monstres en tous genres et surtout, les vampires, Dracula en tête.

Pour ce faire, ils ont compilé une masse astronomique, une bibliothèque de tout ce qu’ils ont vu et tué. Mais au-delà du savoir, il y a les armes. Chaque génération a perfectionné les armes contre toutes sortes de démons. Jusqu’à l’apothéose, le chef d’œuvre : l’étoile du matin, une masse irisée de lames tranchantes, sanctifié par un prêtre et qui détruit instantanément tous monstres.

Avec cette arme, l’une des quêtes du jeu, vous pouvez, enfin, buter Dracula !… Enfin, jusqu’à son retour dans le jeu suivant.

Il est intéressant alors de comprendre que le boss final sera toujours un seul individu, Dracula, alors que vous serez toujours un nouveau Belmont dans un autre siècle… 

Trevor Belmont avec l’Etoile du Matin dans les mains.

ET SOUDAIN, WARREN ELLIS ARRIVA

Nous le disions en préambule : adapter un jeu vidéo dans un autre médium n’est pas aussi aisé que cela le laisserait à penser.

Et pourtant, Warren Ellis y parvint avec maestria car, lui, d’abord auteur de comic-book, ne cherche pas à adapter le jeu vidéo.

Tout est là.

Il ne sert à rien de resservir les mêmes plats dans un lieu différent, il faut simplement regarder les ingrédients, les préparer différemment et les présenter tout aussi différemment (il suffit de voir comment un kebab peut devenir un plat 3 étoiles selon qui le prépare et qui le présente).

Warren Ellis fait partie de ces chefs capable de déstructurer un kebab.

Déjà en comic book, il avait révolutionné le médium avec Transmetropolitan (fin année 1990) se permettant d’y injecter une critique acerbe contre la politique et contre les médias. Auparavant, il avait déjà entamé ses critiques avec, entre autres, Stormwatch puis The Authority critiquant l’ONU, l’exercice du pouvoir, les manipulations génétiques et montrant sans jugement (cela était tout à fait accepté dans le comic) un couple homosexuel qui finira par devenir parents (une famille homoparentale, eh oui, et ce dès la fin des années 1990, début 2000).

Couverture du premier numéro de Transmetropolitan.

Warren Ellis ose beaucoup de choses, jusqu’au crime (dans la vie réelle) : il fut condamné (à juste titre) d’agressions sexuelles envers des femmes qui étaient en admiration pour lui et à qui il avait promis un grand pas dans l’industrie du comic-book en échange de faveur sexuelle…

 Si je me permets de noter ce crime ici, c’est pour vous permettre de comprendre la complexité de cet être car, à côté de ses crimes, il a créé les femmes les plus fortes possibles !

J’en veux pour preuve son Castlevania, celui de Netflix donc.

Dans cette série reprenant la trame du troisième jeu de la saga (Castlevania III : Dracula’s Curse (1989), bien sûr, Dracula est là, ainsi qu’un Belmont. Mais très vite, la mécanique de cette dualité se retrouve bouleversée par l’arrivée de  Sypha Belnades.

Certes, ce personnage existe dans le jeu vidéo mais il n’a clairement pas autant de charisme.

Là où Trevor Belmont (le Belmont de la série donc) est un alcoolique notoire, glandeur et ne se battant que pour défendre le nom de sa famille synonyme de honte (voilà le statu quo au début de la série), Sypha est fière, forte et se bat pour une cause juste. C’est d’ailleurs elle qui lui permettra de devenir « le » Belmont qu’il devait être.

A ces personnages déjà complexes s’en ajoutent 4 autres : Isaac et Hector, deux humains vouant une telle haine contre l’humanité qu’ils ont prêtés allégeance à Dracula pour détruire cette dernière ; Alucard, le fils de Dracula et d’une mortelle, constamment déchiré entre son corps de vampire, ses idéaux d’humains et sa place en tant qu’immortel (sans avoir besoin de sucer du sang) ; et enfin, Dracula.

Dracula est un être romantique, nous l’avions énoncé plus haut, cela est encore plus vrai avec cette série.

Dracula veut tuer toute l’humanité non pas par simple « méchanceté » mais pour se venger de l’inquisition (une institution humaine donc) qui a fait brûler vive la seule femme qu’il n’a jamais aimée… Mais dans sa destruction, lui-même est perdu et ne sait même plus pour quoi il fait cela… Il est seul, isolé, entouré de persifleurs et il n’aspire qu’à une chose : mourir pour retrouver sa douce ou, dans le cas contraire, détruire tous ceux qui l’ont faite tuée.

Dracula, des larmes de sang pour sa douce brûlée vive.

UN ANIME

Vous aurez remarqué que la psychologie des personnages tel qu’écrite par Warren Ellis est la cerise au sommet du gâteau. Mais, en dessous, il y a bien un gâteau.

L’animation de cette série en 4 saisons fut réalisée par différents studios américains mais la qualité reste constante : une animation fluide, un rythme implacable dans les combats (cf. l’extrait ci-dessous), une bande-son et des effets spéciaux spectaculaires !

Cette série ne reçut pas un accueil aussi plébiscité que Squid Game, et pourtant, elle mérite largement votre temps.

Trailer de la saison 1.

Laisser un commentaire