Pendant 17 jours, je vous livre mes sensations, mes impressions, mes sentiments de lecture au sujet du roman O de Miki Liukkonen, qui paraît au Castor Astral.
Neuvième jour
Putain pourquoi m’envoyez-Vous des paroles de Hank Williams?
O, Miki Liukkonen
Le roman O propose une incroyable richesse narrative, utilisant toutes les possibilités du récit. Si le roman s’ouvre sur l’histoire de Jérome W, étudiant à la faculté de physique d’Helsinki, il va très vite déployer une multitude d’intrigues qui vont se croiser et créer tout un réseau de correspondance et d’échos internes. On va ainsi retrouver le récit de Jérome W. à plusieurs reprises dans le roman, soit traité par le prisme de son propre point de vue (narration interne), soit évoqué par le biais d’autres personnages.
Le roman va ainsi déployer toute la richesse narrative propre à ce roman mirifique, qui tel les Variations Goldberg de Bach, musicien régulièrement cité dans le roman, offre des variations narratives infinies. On retrouve donc dans le roman de nombreux récits dans le récit, dits récits enchâssés ou encadrés.
Comme l’analyse Yasmina Foehr-Janssens, dans Châsses, coffres et tiroirs : le récit dans le récit, cet enchâssement « peut aller de l’insertion d’un simple exemple, comme dans le cas du récit portant sur les amours d’Hippocrate dans l’Estoire del saint Graal (Joseph d’Arimathie), à une systématisation quasiment générique de l’enchâssement, dans le cas des recueils de nouvelles et du Décaméron de Boccace en particulier ».
Dans Le Décaméron, dix personnages se sont retrouvés exilés pendant dix jours, sans occupation. Pour égayer leur séjour, ils décident donc que chaque jour, chacun d’entre eux racontera une histoire ou une anecdote. Telle est la proposition de l’un d’entre eux :
Boccace, Le Décaméron
Comme vous voyez, le soleil est haut, la chaleur forte, on n’entend que les cigales sur les oliviers, et sans nul doute ce serait une sottise d’aller maintenant ailleurs. Il fait ici beau et frais ; il y a, comme vous voyez, des damiers et des échiquiers avec lesquels chacun peut se distraire
à son gré. Mais si l’on suit mon avis sur ce point, nous ne passerons pas cette chaude partie du jour à jouer (car au jeu l’esprit d’un des partenaires se trouble, sans grand plaisir pour l’autre ni pour l’assistance), mais à conter des nouvelles (ce qui, pendant que l’un de nous raconte, peut
combler de plaisir tout l’auditoire). Avant que vous ayez fini chacun de dire sa petite nouvelle, le soleil aura baissé, la chaleur diminué, et nous pourrons aller nous divertir où bon nous semblera.
Si le récit cherche à faire « passer le temps », il créé cet effet vertigineux d’enchâssement. Le sentiment du temps qui passe est ressenti par le lecteur, créant un vertige temporel.
Ce qui frappe à la lecture de O, c’est justement ce vertige qu’éprouve le lecteur à se perdre dans ce dédale narratif, où chaque personnage peut être narré et devenir lui-même producteur de fiction. Si certains personnages ne racontent pas eux-mêmes l’histoire, ils sont souvent dépositaires d’une mémoire d’histoires qui suscite ce vertige temporel lors de la lecture.
Je dois confesser que le récit dans le récit que je préfère pour l’instant ( je suis à la page 480), c’est le récit par Aatos Talvela ( il faudra que j’en reparle dans une autre chronique), personnage vivant reclus par peur d’attraper une maladie, du récit de Pepento Eik, tentant de communiquer avec l’au-delà au moyen du morse:
Ce récit dans le récit est absolument jouissif et hilarant. Le personnage va recevoir un message qui semble correspondre à une chanson du chanteur américain Hank Williams, ce qui l’amène à faire la remarque suivante : » A ce stade-là, pour la première fois, Pepentoi Eik avait dû marquer une pause et s’interroger sur les objectifs de la forme de vie supérieure ».
Il faut ainsi rappeler l’aspect comique et drôlatique de ce roman qui confère à nos peurs, nos addictions et nos solitudes une valeur grotesque et ironique.
Ces récits enchâssés sont autant de réservoirs narratifs qui alimentent notre plaisir à poursuivre la lecture du roman.
A suivre.
Et on terminera avec une référence musicale présente dans le roman.
[…] c’étaient des paroles de chanson, Eik lâcha son stylo et se claqua le front…et pas n’importe quelles paroles de chansons : c’était bel et bien du Hank Williams!
O, Mikki Liukkonen