Et si l’amour, c’était simplement, non un mirage, ni un mythe mais un bonheur simple et évident ? Croire en l’amour peut sembler mièvre, un peu niais, complexe, à notre époque surtout. Et puis, au détour d’un chemin, on peut tomber sur un roman qui vient titiller, réveiller, ranimer, avec une jolie ferveur romantique, notre foi vacillante.

Fleur de printemps, fruit d’été, été indien ?

En loisir estival, avant la rentrée littéraire qui s’annonce en effet comme un bel été indien, à sa façon, pourquoi ne pas découvrir un livre, calme et serein, mais pourtant beau et romantique, sorti comme une belle fleur inattendue au printemps, mais qu’on aurait, par inadvertance, laissé passer et qu’on pourrait cueillir, comme un fruit, au coeur de l’été ?

Et laisser aller à feuilleter le romantisme, mais pas le romantisme classique, illuminé, contemplateur, comme reflet des âmes poétiques ou blessées, non, le romantisme d’aujourd’hui, le moderne, le drôle, l’objectif, le factuel, le vibrant, le réel. Un romantisme qui n’aurait pas à décider s’il l’est ou pas.

Un livre qui fait tomber les frontières entre les genres, entre les mots, entre les idées, entre les gens, entre la littérature et le scientifique.

Après un prix Goncourt avec L’art français de la guerre (Gallimard, 2011), Alexis Jenni s’intéresse désormais à l’amour, à l’amour qui dure en particulier, dans son dernier roman. 

Ancien professeur agrégé de biologie, pendant une vingtaine d’années à Lyon, il est devenu écrivain , penseur contemplateur, et a écrit de nombreux livres, même si goncourisé dès le premier. Écrire est son métier.

Une beauté mélodieuse à lire

Le langage peut tout dire, mais ne touche pas toujours au vrai. Ce roman peut. Essaie de pouvoir.

Dans la littérature, on parle souvent des débuts de l’amour, une exaltation, et on parle de la fin avec un côté mélancolique-dépressif.

Mais le couple qui dure, on n’en parle pas.

Ici, Alexis Jenni nous raconte ce qu’il y a entre le début et la fin, dans la durée, intense et unique, avec humour et lucidité, beauté et vérité, poésie et style.

« Je voudrais savoir pourquoi deux personnes peuvent rester côte à côte, se frotter longuement l’une à l’autre et prendre plaisir et continuer pendant des années ? »

« La beauté dure toujours », Alexis Jenni

On peut constater, lucidement, un certain désattachement pour ce sentiment, l’amour, cet éternel amour, mais l’auteur, ici nous fait rencontrer par ses mots un couple éperdument lié, deux amoureux, qui n’ont pourtant rien en commun.

Un choeur à trois voix pour une vie à deux idéalisée

Alexis Jenni recourt à un dispositif romanesque séduisant. Il nous fait entendre trois voix : celle des deux amants et celle du narrateur qui les observe.

Trois voix, trois voies pour voir, trois « je », trois points de vue.

Qui sont les deux amants du livre d’Alexis Jenni ? Felice est avocate, Noé est un artiste dessinateur. Deux êtres, deux personnalités, deux univers très différents mais l’amour est capable d’abolir toutes les frontières.

Souvent les couples sont différents. On pourrait imaginer qu’ils ne seraient pas ensemble s’ils n’avaient pas les mêmes goûts et finalement ils sont très bien ensemble. C’est l’échec de l’algorithme amoureux

Elle est, elle, familière de la vie à deux, certes. Mais l’amour est-il son quotidien ?

« Avant de vivre avec Noé j’avais un mari, et il me dévorait en souriant. C’était il y a des années, j’essaie de ne jamais le voir, de ne pas penser à lui, de ne plus penser au regard qu’il avait sur moi, un regard qui me traversait sans s’arrêter à quoi que ce soit de moi, qui me laissait nue, plus que nue, transparente et muette. Il était radiologue, il regardait l’intérieur des gens pour trouver ce qui n’allait pas »

« La beauté dure toujours », Alexis Jenni

Un couple qui sème de belles idées

Felice est mariée et rencontre Noé, par hasard. Hasard ou destin, qu’importe. L’amour vient, naturellement comme une évidence préexistante mais qu’ils ne connaissaient pas, ni l’un ni l’autre.

Un amour, grand amour, avec un homme peut-etre étranger à l’amour, de son côté, mais familier du dessin, du trait pour dire ce qu’on voit, comme on le voit.

Dessinée par cet amant, elle aime ses traits et se voir sous ces traits. Un jour, elle lui dit qu’elle ne se reconnaît pas dans le miroir, mais qu’elle se reconnaît dans ses dessins. Elle lui demande si elle est aussi belle que ça, et lui répond : « non, j’invente ta beauté ».

Et on comprend que l’amour qui dure c’est peut-être ça : la beauté de l’autre qui se voit et se lit dans ses yeux.

« La beauté, c’est le battement de mon cœur quand je te vois »

« La beauté dure toujours », Alexis Jenni

Et on la voit aimer être enfin vue, réellement vue telle qu’elle est, au fil du temps, avec les années qui défilent. Et ce temps, il est là aussi, il participe à la beauté qui dure, qui ne se dégrade pas, tout comme les sentiments ne le font pas, au fil du temps, dans ce roman.

Comment raconter, comment, sur quel ton, par quel biais et pour dire quoi ? 

Le couple est vu, raconté par une tierce personne, ce narrateur pourtant partie prenante de l’histoire.

Ce narrateur veut parler de l’amour, de ses paradoxes, se demande pourquoi on dit souvent que l’amour ne dure pas et qui observe tout pour comprendre ce qui peut faire qu’on reste ensemble quand on s’aime.

Une tierce voix au sein d’un couple comme pour interroger et remettre en cause la certitude que le couple ne dure pas, que l’abandon, lui, est toujours là…

Un dîner littéraire, au début du roman, nous donne un contexte pour relativiser toute ce qui est écrit et ce qu’on lit.

Le narrateur nous y plonge dans son contexte professionnel et un duel discursif commence entre le narrateur  et  un écrivain « plus célèbre que moi », certes, mais aussi un écrivain « maigre et négligé, les joues creuses et les cheveux en serpillière espagnole ».

On aura reconnu un Goncourt précédent, un Houellebecq plein de verve et en berne à la fois, dont le narrateur d’Alexis Jenni se moque de la vision romanesque de l’amour, de sa vision du monde, limitée et cynique, en posture avant tout, et de sa façon de décrire le masculinisme amoureux.

Est-ce que le milieu littéraire est un modèle à suivre et est-ce qu’il est encore capable de décrire ce que peut être l’amour sans être dépressif, voire dépréciatif ?

Je suis désuet en parlant des femmes, je tiens des propos d’homme, je suis un cis mâle blanc de plus de cinquante ans et on n’échappe pas à ce qui était là quand on a grandi, cela façonne les réflexes des pensées et parfois d’action.

« La beauté dure toujours », Alexis Jenni

Trois ans, ou plus ?

Peu de romans sont centrés sur l’amour même, même si tous mettent en scène des situations où l’amour est présent. Intéressant paradoxe, joli défi à relever pour Alexis Jenni.

Et si l’amour était une histoire de sécrétions du cerveau, de dopamine, d’ocytocine et de sérotonine, entre autre ?

Et s’il était intéressant d’apporter une vision neuro-scientifique du sentiment et en toute lucidité observatrice de la complexité de cerveau, entre couches et sous couches de culture, de psychologie, de représentations ?

On dirait que l’auteur a commencé ce livre en se demandant, « finalement, aujourd’hui, c’est quoi, aimer ? », et qu’il l’a écrit en répondant au fil des pages « On s’en fout », mais en nous aidant pour qu’on continue à lire à tort et à travers, et surtout à travers et avec plaisir, pour continuer à nuancer la réponse à « C’est quoi écrire ? ».

Excellent narrateur, Alexis Jenni est aussi un fin analyste littéraire : aux principes de pensée philosophique quasi sophistes parfois, il préfère les idées libres et ionisantes, intuitives et instinctives, et aux démonstrations logiques, il préfère les histoires parfois drôles que l’on médite.

La beauté dure toujours : un manifeste

L’histoire de ces deux amants nous montre un amour qui n’est pas un enfermement mais, au contraire, une libération.

Il permet à une femme d’échapper à un mari glacial et manipulateur.

Il donne aussi, à un peintre amoureux, la foi qu’il faut pour persister à regarder, voir, dessiner la beauté.

Nous est ainsi donné à lire un amour aux doux visages multiples, tantôt mièvre de plaisir, tantôt vivant de vérité, sans étiquette « tue-l’amour ».

Une beauté d’autant plus touchante qu’elle semble à la portée de tout couple sincère.

Le livre se présente à nous sous tous ces aspects du monde des livres… et s’affirme anti cynisme, anti prémoralisme, anti égotiste, anti… je pense à ta place je sais mieux que toi, parce que moi, tu vois, moi, l’amour ça me connaît, j’ai tout lu, de Stendhal à Flaubert, d’André Breton à Albert Cohen, de Houellebecq à d’Ormersson, d’Alexandre Jardin à Barbara Cartland…  

Parler d’amour ? Parler l’amour ? Dire l’amour ? Écrire l’amour ? Est-ce bien le sujet de ce livre ? Le sujet du livre n’est-il pas le livre même ?

Un livre parmi les livres

 » – Tu crois que l’amour peut durer ?

– Trois ans. C’est neurologique. »

« La beauté dure toujours », Alexis Jenni.

Écrire juste et juste écrire sur l’amour aujourd’hui, en des temps si complexes, changeants, confinés, déconfinés, valorisés, dévalorisants…. 

Et arriver à donner aux lecteurs, une philosophie personnelle de l’amour, ajourée, ajustée, ajustable mais vraie, en toute lucidité observatrice.

Trouver et écrire quelque chose qui ressemble de très près à tout ça.  À Tout et à rien à la fois. Le réel, le dehors et le dedans qui s’accordent, enfin, en nuances.

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