La page blanche est une longue autoroute qui offre tous les possibles. Il faut se laisser conduire par tous les interstices d’une page pour mieux être envahi par ces moments d’absence. La page blanche est aussi bien ce qui va advenir que ce ce qui ne peut pas être écrit. C’est une fuite deleuzienne, « c’est tracer une ligne, des lignes, toute une cartographie ».

Dans son roman Mauvais joueurs, Joan Didion travaille la page blanche comme un espace double, ambivalent, rappelant de manière inversée l’écran noir hollywoodien. En effet, Maria est un actrice dont la carrière peine à démarrer et son mariage avec le réalisateur Carter Lang est sur le point d’imploser.

Les quatre-vingt-quatre chapitres qui constituent le roman sont autant de tentatives douces et brutales de faire entendre la voix de personnages en quête de sens. Ce qui impressionne à la lecture, c’est cette capacité à offrir un magnifique miroir éclaté et brisé des nos fictions éparses, celles que se racontent Maria, Hélène, BZ ou Carter.

Joan Didion emploie les espaces vides comme des blocs d’histoire pour mieux capter toute la détresse de sa protagoniste Maria. La page est donc autant un espace qui permet de cartographier un espace géographique, Hollywood ou La Vegas, qu’un espace mental, celui des errances de Maria. Au fur et à mesure du roman, la page polarise ces tentatives de fuite et de retrouvailles. Ces tentatives sont notamment incarnées par la fille de Maria, Kate, laquelle se trouve dans un institut spécialisé, ce qui donne lieu à des pages bouleversantes.

Ce qui est bouleversant dans l’art narratif de Joan Didon, c’est le fait de retenir l’émotion. Elle ne s’attarde jamais et manie avec une force vertigineuse le blanc, le non-dit. Le lecteur tourne ainsi les pages d’un roman dont l’histoire semble s’écrire dans les marges, fonctionnant comme la chronique d’une vie guidée par la contingence et le vide. Tourner la page devient ainsi l’apprentissage impossible et pourtant nécessaire du deuil de soi et des autres. Et cela passe chez Joan Didion par le deuil d’une langue qui serait trop apprêtée ou trop suggestive. Il semble donc bien qu’elle écrive entre les mots, entre les sons qui s’entrechoquent. Elle se saisit de la construction romanesque pour en faire une variation musicale sur l’absence au monde et le métier de vivre où la fin d’une page est plus éloquente que les mots qui l’ont précédée.

Joan Didion semble faire la liaison entre Marguerite Duras et Annie Ernaux, entre le geste d’écrire et celui d’écrire la vie. Qu’y a -t-il entre ces deux instants, écrire et écrire la vie? Peut-être la grâce impulsive et liquide de Joan Didion.

Mauvais joueurs de Joan Didion traduit par Jean Rosenthal

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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