Crédit photo : Pauline Picot

Objet n°2 / le casque d’Ayrton Senna

C’est ce que j’ai acheté de plus cher. C’est idiot parce que ça ne sert à rien. Je n’ai pas de voiture pour aller avec. Je n’ai pas le permis à vrai dire. Et je me suis renseignée : on n’a pas le droit de rentrer dans un MacDo le visage casqué. Je ne mange jamais au MacDo, c’était juste pour savoir. En revanche dans l’église quand j’ai relevé ma visière fumée pour demander si je pouvais mettre un cierge à Ayrton Senna le pilote vous savez le pilote mort en 1994 dans un accident lorsque j’avais quatre ans et absolument aucune idée de son existence, ce qui me rend moi-même perplexe quant aux raisons de mon identification à lui alors que je devrais m’en foutre complètement, le prêtre m’a répondu : faites selon votre cœur. Mon cœur m’avait dit d’acheter ce casque et carrément de le faire construire au Texas spécialement au diamètre de mon crâne féminin, 500€ quand même, mes économies, j’ai fait de la résistance passive au capitalisme en dilapidant mes économies dans un objet inutile mais qui représente lui-même un sport de luxe ultra libéral, je ne suis pas à une contradiction près.

Crédit photo : Pauline Picot

Après moi je sais ce que j’ai acheté pour ces 500€. Une tête coupée, une présence de tête coupée dans mon salon, la  présence d’une tête aimée dans mon salon, un homme que j’aime chez moi bien que je n’en aie que la tête, une protection qui isole et une solitude qui protège, un contenant pour pensées dérivantes, un récipient pour souffle court, un réceptacle à orgasmes brisés, l’annulation intermittente de mon visage, l’abolition intermittente de mon regard, le masculin intermittent de moi. Et puis je mets aussi ce casque pour me taper contre le mur de béton du réel, car moi aussi j’ai le même accident que Senna en 1994 mais tous les jours quand je sors quand je mange quand je regarde les gens exister, je sens mon crâne perforé ma gorge trouée mon cœur brisé, alors avec mon casque je performe ça – c’est-à-dire que je le vis et que je le montre – et je le fais quand je ne veux pas dire.

Crédit photo : Pauline Picot

Avec le casque – les performances :

https://www.ardetpaulinepicot.com/ayrton-pauline

Pour aller plus loin, découvrez la biographie de Pauline Picot :

Pauline Picot est autrice, performeuse et docteure en Études Théâtrales. Les éditions Quartett publient ses textes théâtraux depuis 2012. Le dernier en date, Votre âme sœur est peut-être dans cette forêt, paraît chez eux en janvier 2022. Quant à son écriture poétique, elle peut se lire aux éditions les Éclairs (À l’heure qu’il sera, 2017), dans des revues spécialisées (Gustave ; Revista Kametsa) ou sur les réseaux sociaux (Les Poches de Résistance Poétique sur YouTube ; la publication soutenue de ses textes sur Facebook). Son écriture, dense et précipitée, déploie une partition vocale à la fois lyrique et brute où elle interroge sa porosité au monde. Depuis 2019, elle travaille avec l’écriture et la performance autour d’Ayrton Senna, icône du sport automobile décédée sur circuit en 1994. Son texte IAN est créé au Quai-CDN d’Angers en septembre 2021 dans une mise en scène de Flora Diguet.

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