Sabine, Antoine et Niels sont allés à la rencontre de la chanteuse Clou, quelques heures avant son concert à La Poudrière de Belfort le samedi 5 mars 2022. C’est une artiste sensible et généreuse qui nous a parlé de ses influences littéraires et musicales, de sa manière de composer des chansons, de son rapport aux autres, de ses mentors et de son besoin de légitimité.

Photo : Sabine Richard

Sabine : On est à la Poudrière, aujourd’hui on est le 5 mars et on la chance de pouvoir vous interviewer juste avant le concert de ce soir. On va simplement pour nos auditeurs et pour ceux qui ne vous connaissent peut-être pas encore très bien refaire un petit point sur votre carrière. Tout a commencé en 2014, ce fameux radio crochet qui avait été organisé par Didier Varrod, un radio crochet sur France Inter auquel vous avez participé. Vous avez terminé deuxième et cela vous a permis de vous faire connaître. En 2015 vous avez sorti votre premier EP, vous assurez ensuite des premières parties avec pas mal d’artistes, de très belles signatures : Benjamin Biolay, Dionysos, Thomas Dutronc, Vincent Delerm, Vianney. Vous vous faites remarquer sur la reprise Les gauloises bleues dans l’album hommage à Yves Simon et vous avez aussi travaillé avec Cocoon sur l’un de ces duos. C’est en septembre 2020 que vous avez sorti votre premier album, Orages qui a été co-réalisé avec Dan du groupe Cocoon.

CLOU :  Je n’ai pas du tout réalisé, c’est vraiment Dan qui l’a réalisé, il a complètement arrangé l’album. Chacun avait son rôle. Moi j’ai composé, écrit et interprété les chansons à 100 % et lui a complément réalisé l’album.

Sabine : En tant qu’auteur, compositeur, interprète comment ces rencontres ont pu influencer votre travail ?

CLOU : C’est intéressant. Chaque rencontre a été assez décisive et elles ont changé beaucoup de choses. La rencontre avec Dan Levy, ça a été vraiment comme un coach pour moi, comme un coach sportif pour de vrai. Il m’a fait écrire, composer énormément. Il m’a presque appris mon métier en me disciplinant parce que j’étais déjà assez sérieuse, mais je veux dire, il m’a vraiment dit que c’était en en faisant énormément que j’arriverai à écrire mieux et à composer avec plus de fantaisie de manière plus large et plus riche. Il a vraiment tout changé, je ne sais pas comment vous dire, il m’a apporté tellement de liberté aussi. Et puis de savoir que lui, il s’intéresse à ma musique, ça a validé quelque chose aussi chez moi. Moi j’étais fan de The Dø depuis toujours. Il m’a dit : « Ce que tu fais, c’est bien. C’est intéressant, creuse encore plus et je suis là pour écouter ce que tu as à faire et ça m’intéresse d’arranger ton album ». C’était merveilleux.

Dan Levy a vraiment tout changé, je ne sais pas comment vous dire, il m’a apporté tellement de liberté aussi. Et puis de savoir que lui, il s’intéresse à ma musique, ça a validé quelque chose aussi chez moi.

Clou

C’était la médaille dont j’avais besoin pour passer un petit peu les épreuves. Ensuite il y a eu Yves Simon. C’était mon éditeur qui avait organisé la rencontre. Et c’est aussi une chance folle. Recevoir cette chanson, la chanter en guitare voix en se disant, ça ne passera pas parce que c’est une guitare voix et que ça se fait plus aujourd’hui. Et qu’Yves trouve ça beau et qu’il m’appelle, qu’il me dise « Clou, on fait les promos ensemble », ça c’était fou.

C’est aussi un filling humain, je fonctionne aussi beaucoup comme ça. C’est le travail d’abord, mais il faut que ça le fasse, humainement.

Clou

Après, je ne serai pas dire, Cocoon, c’est pareil, c’est sur Instagram qu’il m’a contacté avant que je sorte mon album, c’était en 2019. Il fait toujours un petit repérage sur les réseaux des voix émergentes et il m’avait dit qu’il m’avait entendu sur France Inter avec les gauloises et il m’a dit : « Il faut qu’on fasse quelque chose ensemble, je ne sais pas encore quoi ». Et puis, fin 2019, il me dit, ça y est, j’ai trouvé, j’ai une chanson à te proposer et ce serait bien que tu écrives ta partie en français. Avec plaisir, avec grand plaisir ! Ce sont des rencontres. Mais c’est vrai, ce sont vraiment des rencontres, et c’est ça qui change tout. Et puis c’est aussi un filing humain, je fonctionne aussi beaucoup comme ça. C’est le travail d’abord, mais il faut que ça le fasse, humainement. C’est un métier qui est très compliqué et qui est en montagnes russes. Et donc, si on s’entoure de gens que l’on n’apprécie pas humainement, c’est encore plus dur alors que si on passe des bons moments, c’est plus agréable.

Sabine : Vous avez signé avec le label prestigieux Tôt ou Tard. Ce label a 25 ans, ils ont signé des artistes absolument sublimissimes, dont Yaël Naîm. J’ai l’impression que ce label vous va très bien parce que, quand même, il vous en a fallu du temps pour arriver à atteindre vos objectifs. Le titre anglais Tomorow évoque justement votre parcours « vers les sommets par des chemins étroits ». Pour autant, j’imagine que vous avez connu des périodes de doutes, envisagez peut-être même que votre carrière pouvait vous échapper. C’était quoi ce sentiment pendant ces années de travail justement. Vous étiez persuadée d’y arriver ? Y a-t-il eu différentes périodes, différents cycles ?

CLOU : Il y a eu des périodes terribles, en fait. Ce métier est fait comme ça et les périodes de doute sont encore présentes. Je les vis encore parce que l’on sait tous que l’on est tellement nombreux à proposer de la musique, tellement nombreux à être dans des maisons de disques ou hors des maisons de disques et à faire des choses bien. Il y a vraiment beaucoup de gens talentueux. Qu’est-ce qui fait que vous vous allez sortir du lot et être intéressant ?

Donc je suis tout le temps pleine de doutes et en même temps je me dis qu’il faut que ce soit chevillé au corps et il faut y croire.

Clou

C’est le contexte, c’est les autres et c’est ce que vous proposez. Donc je suis tout le temps pleine de doutes et en même temps je me dis qu’il faut que ce soit chevillé au corps et il faut y croire. Il faut avoir un mental un peu de sportif. On sait très bien que la compétition, elle est difficile, même si je n’aime pas trop ce mot compétition. On est juste très nombreux à participer et il faut garder un mental un peu fou. Se dire : » Quoi qu’il arrive je vais arriver là-bas, je ne sais pas comment, mais je vais arriver là-bas ». Voilà remettre chaque jour sur le métier son ouvrage. Il ne faut pas laisser fondre ses muscles.

Photo : Sabine Richard

Antoine : Alors, ce qui est très beau dans cet album, c’est que pour passer le doute, il faut le dire, il faut l’exprimer, et ces chansons elles expriment très bien aussi tout un panel d’émotions, tout un orage d’émotions. Et une des premières émotions dont vous parlez, c’est la colère avec ce très beau titre qui est Rouge. La colère on sent qu’elle est aussi constitutive, comme une sorte d’énergie créatrice. Il y a Sophie Galabru qui est une autrice qui vient de consacrer un ouvrage à la colère pour la réhabiliter intitulé Le visage de nos colères. Elle a ces deux phrases qui je trouve vous constituent bien : « Résister à la domestication de ses émotions et de ses sentiments, à la normalisation de son comportement et de son imagination, est l’acte fondamental d’un devenir artiste comme créateur original parce que les artistes, comme vous, exposent parfois leurs émotions au public par leurs œuvres, leurs correspondances, mais encore par des entretiens, leurs vies sont parfois d’heureux exemples de ce que la colère a pu être un moteur de leur constitution intime et une ressource indéracinable de leur créativité« . Est-ce que pour vous la colère c’est une énergie créatrice qui vous permet d’avancer ?

CLOU : Alors il n’y a pas que ça, heureusement parce que sinon je serais le schtroumpf grognon en permanence. J’ai pas du tout envie d’être cette personne-là, mais effectivement la colère est constitutive d’une part de ma créativité, parce que d’une part c’est exprimer quelque chose qui ne va pas et donc le dire à voix haute ou alors le montrer et c’est donc forcément la porte ouverte vers une solution. En tout cas exprimer le début d’un mécontentement ou d’un problème parce que ce n’est pas toujours un mécontentement. Parfois c’est juste un vrai gros problème, et bien c’est le début de la joie j’allais dire.

Il y a un besoin de représentativité quand on est en colère contre quelque chose, on a besoin de la transcender et de passer à autre chose. Et comment on fait ? On écrit, on joue, on chante, on fait quelque chose d’artistique, on peint.

Clou

Donc pour moi la colère peut être un point de départ, mais il n’y a pas que ça. Heureusement. Ce n’est pas moi qui dis ça, ce sont les psychiatres. Il y a un besoin de représentativité. Quand on est en colère contre quelque chose, on a besoin de la transcender et de passer à autre chose. Et comment on fait ? On écrit, on joue, on chante, on fait quelque chose d’artistique, on peint. Ça nous permet de représenter le problème ou ce qui ne va pas ou ce dont on a envie de parler et cela se transforme en quelque chose qui n’est pas forcément beau mais en quelque chose d’artistique, qui a du sens. Moi j’espère en tout cas que dans mes chansons il y a du sens derrière. Enfin, j’y tiens.

CLOU : Niels, tu as une question ?

Niels : Quelle était votre musique préférée quand vous étiez enfant ?

CLOU : Tu as quel âge?

Niels : J’ai 10 ans.

CLOU : A 10 ans, j’écoutais Renaud, comme une dingue. Renaud, Renaud, Renaud. J’écoutais aussi Simon & Garfunkel, à l’âge de 12 ans. Parce que j’avais une correspondante canadienne et mes parents mettaient du Simon & Garfunkel et je chantais n’importe quoi. C’est cette correspondante qui m’a appris l’anglais. Et j’ai appris l’anglais avec Simon & Garfunkel et je suis tombée amoureuse de la folk. Donc Renaud, Simon & Garfunkel, et Dorothée, mais ça c’était avant. Yves Simon aussi, j’écoutais Emilie Jolie, c’est une fable chantée. Il y avait Moustaki, j’étais fan de Moustaki. Et de Brassens comme une dingue. Après j’ai écouté plein de trucs beaucoup plus mainstream de mon époque des années 90.

Photo : Sabine Richard

Sabine : Vous avez été nommée révélation féminine aux victoires de la musique en 2021, vous n’avez pas gagné il y avait quand même Yseult. Mais vous êtes avec PR2B, avec Lous and the Yakusa, avec Louise Verneuil, une des artistes que Cultures Sauvages à définie comme une petite pépite. Parce que vous êtes singulières, vous êtes sincères, vous êtes engagées et vous avez une approche commune à mon sens, votre flow, votre lenteur, votre spleen, votre poésie. C’est une démarche à contre-courant de ce que l’on produit aujourd’hui et je voulais savoir comment vous décririez votre travail ? Est-ce un retour à la simplicité et à l’exigence ?

CLOU : Eh bien, je fais déjà ce que je peux, donc je ne réfléchis pas en concept ou en qu’est-ce que j’ai envie de faire. Je fais ce que je peux faire et ce que je sais faire et ce que j’aime faire. Donc forcément ce sont des choses qui sont près de l’os des chansons. C’est un travail qui peut avoir l’air très épuré. C’est autour de la guitare, c’est autour du piano et c’est autour de la voix et c’est autour de ce que je raconte. Même si la mélodie vient avant les mots. Il y a d’abord un yaourt de mots qui apparaît, et ce yaourt, il a déjà un thème qui est assez précis et je sais ce dont j’ai envie de parler. Et j’ai un souci aussi de clarté. J’ai très envie qu’on me comprenne. Je n’aime pas du tout le flou artistique.

L’album a une vraie couleur. Il a une couleur très pop. Moi j’adore la pop. Il a une couleur très chanson française, aussi, j’y tiens.

Clou

Je préfère vraiment quelque chose de très direct. Et même dans la vie, je suis plutôt comme ça. Je suis plutôt cash et tout ce qui est non-dit, incompréhension, ça m’irrite profondément. Parce que je n’aime pas le conflit, voilà je suis très psychorigide par ailleurs. C’est très gentil ce que vous me dites et j’espère que ça se ressent dans ce que je fais. Après je ne veux pas laisser tomber non plus tout l’habillage des chansons parce qu’il est important, parce qu’il a une vraie couleur. Il a une couleur très pop. Moi j’adore la pop. Il a une couleur très chanson française, aussi, j’y tiens. Et puis il a quelque chose de très indé. C’est grâce à Dan, c’est Dan qui a apporté ça, c’est-à-dire que moi, quand je suis arrivée en studio avec ma guitare sèche, il m’a regardé, il m’a dit : « Mais toi tu n’es pas du tout une folkeuse, les mélodies que tu m’envoies, ce sont des mélodies pop. C’est presque dance. »

C’est Dan (Levy de The Dø) qui a apporté ça, c’est-à-dire que moi, quand je suis arrivée en studio avec ma guitare sèche, il m’a regardé, il m’a dit : »Mais toi tu n’es pas du tout une folkeuse, les mélodies que tu m’envoies, ce sont des mélodies pop. »

Clou

Et j’ai été choquée, c’était la première fois qu’on me disait cela. Il me disait,  » Mais si tu as une capacité à faire des chansons pop, qui est dingue, assume ! » J’en avais aucune idée, de fait il avait raison. Il m’a dit : « Prends plutôt une guitare électrique, si tu ne veux pas lâcher la guitare, on va mettre des synthés à la place des pianos. On va garder quand même quelques pianos parce qu’il y avait des chansons qui s’y prêtaient et puis et puis voilà. » Cela reste donc quand même très simple, Il y a quelques chansons qui sont très orchestrées, mais globalement quand même c’est ça. D’ailleurs, sur scène, ça s’entend, on est trois. Il y a une bande son de temps en temps, un SPD sur quelques titres parce que j’aime la couleur de certains habillages sonores, mais il y a plein de chansons qu’on ne fait qu’en trio et c’est un peu à l’ancienne. C’est guitare, basse, batterie et moi j’aime bien. Je trouve ça simple et efficace ouais. Mais simple ne veut pas dire facile et en tout cas pour moi c’est une évidence et je trouve que ça met en valeur les chansons.

Antoine : Ce qui nous frappe aussi quand on écoute tes chansons, ce sont les influences littéraires. Il y a Victor Hugo que tu évoques dans la chanson La tempête et en lien avec le titre même de l’album Orages. On pense ainsi à la tempête sous un crâne avec Jean Valjean dans Les Misérables. Victor Hugo il avait cette très belle phrase :  « La musique c’est du bruit qui pense. » Dans l’idée de quelque chose qui réfléchit mais, est ce qu’on pourrait dire aussi que la musique c’est du bruit qui panse, c’est à dire soigne. A la fois il y a l’idée du temps qui passe, mais aussi de soigner et guérir quelque chose.

CLOU : Oui, je crois. Il y a un truc qui m’avait frappé, c’est que quand on a peur, souvent, un des réflexes que l’on a, mais c’est vraiment un réflexe, c’est de fredonner. Ça nous rassure, Ce n’est pas forcément quelque chose qui panse ou qui guérit, mais c’est quelque chose qui rassure et qui nous accompagnent dans la joie. Quand on fait la fête, on met de la musique. Quand on veut célébrer quelqu’un que l’on aime, on peut lui chanter une petite chanson. On lui fait une mixtape, je pense, ça existe encore ? J’espère.

Moi je me souviens quand j’étais adolescente, ou même plus tard, il y a des jours où j’avais envie de pleurer parce qu’il y a un trop plein d’émotions et le meilleur moyen, c’est de mettre des chansons qui tirent les larmes directement.

Clou

Maintenant, on fait des playlists, je t’ai fait une petite playlist chérie pour te dire que je t’aime. Et puis ce sont aussi des moments où on est triste et on a besoin de se retrouver. Moi je me souviens quand j’étais adolescente, ou même plus tard, il y a des jours où j’avais envie de pleurer parce qu’il y avait un trop plein d’émotions et le meilleur moyen, c’était de mettre des chansons qui tirent les larmes directement. Ça marche incroyablement bien. Puis je trouve que c’est un peu comme les odeurs la musique, ça vous met tout de suite dans une atmosphère particulière. Et oui, c’est du bruit qui pense. Après je ne suis pas d’accord, ce n’est pas du bruit, je suis désolée. Je vais appeler Victor, je vais lui dire que ce n’est pas vraiment du bruit non mais !

Antoine : En quoi la littérature a influencé ta manière de composer les textes de tes chansons? En quoi cela a joué sur la dramaturgie et la gradation de tes propres chansons? On sent que tu choisis très précisément tes mots. Est-ce que tu sens donc consciemment cette influence littéraire dans l’écriture de des chansons ?

CLOU : Ça me fait plaisir que tu me dises ça. Je ne saurais même pas dire si je le sens, je le recherche très profondément. Je voulais être écrivain quand j’étais petite. Je ne rêvais pas d’être chanteuse, j’étais trop timide. Je ne pouvais pas rêver de ce métier, même si j’adorais chanter. Je me disais que ce n’était pas pour moi et mon rêve premier, c’était d’écrire. J’écrivais beaucoup. J’écrivais des nouvelles, j’écrivais des petites histoires, j’écrivais des poésies. Comme une dingue. La musicalité des mots est venue en premier. Et puis après j’ai commencé à faire du piano, mes parents m’ont mise au piano très jeune. Tout faisait sens ensemble. Et la lecture, la littérature, ça fait tellement partie de ma vie, cela me semble logique qu’on les retrouvent dans mes chansons et j’en suis très heureuse.

Je voulais être écrivain quand j’étais petite. Je ne rêvais pas d’être chanteuse, j’étais trop timide.

Clou

C’est vrai que ça met parfois une petite distance pour certaines personnes, mais en fait je n’en suis pas si sûre. Je pense qu’au contraire ça enveloppe et ça emmène peut-être ailleurs. Et en termes de construction et de gradation, c’est à force de lire des romans, plutôt à force d’écouter des chansons, les chansons des autres, écouter les chansons de Renaud. Elles nous racontent une histoire, les chansons d’Alain Souchon, elles racontent toutes une histoire. Et même si c’est une histoire qui est juste une émotion car ensuite il digresse autour de l’émotion. Aznavour fait ça aussi super bien. Gainsbourg aussi fait ça super bien. Parfois il ne raconte rien de particulier. Il raconte juste avec la sonorité des mots et il nous met dans une ambiance particulière.

Quand j’ai appris l’anglais, j’ai essayé de traduire, je voulais comprendre ce que me disait Paul Simon. Je ne supportais pas de ne pas piger. Et j’étais assez éblouie par sa manière de construire les chansons.

Clou

On est très à l’aise ou on est très mal à l’aise, mais ça, c’est très fort, je trouve. Je dirais que c’est Paul Simon aussi, c’est mon influence, un peu anglo-saxonne. Quand j’ai appris l’anglais, j’ai essayé de traduire, je voulais comprendre ce que me disait Paul Simon. Je ne supportais pas de ne pas piger. J’étais assez éblouie par sa manière de construire les chansons. Lui, il ne s’encombre pas de mots de liaison, il te donne des images. Il s’en fiche aussi que ça ait vraiment un sens en continu. Il veut juste décrire une sorte de tableau, donc il va dire, là, il y a du jaune, là il y a une ambiance, là il y a du bruit, là vous avez une personne. Cela ne raconte rien de particulier, mais en fait, à la fin vous avez un tableau.

Sabine : Les différents titres de votre album explorent l’intime. Cesse Cesse a été conçue après une rupture douloureuse, Rouge explore la vertu de la colère, Narcisse parle des pervers narcissiques, Jalouse revient sur une adolescence semble-t-il malheureuse, et une autre chanson parle du mansplaining. C’est une œuvre libératriceun travail assez cathartique. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Etes-vous devenue la femme que vous auriez aimé être ?

CLOU : C’est une question super dure, c’est ma psy qui vous envoie ?

Sabine : Je m’intéresse à vous tout simplement.

CLOU : Je n’ai jamais projeté un moi futur. Donc je n’en sais rien si je suis devenue la femme que je voulais être quand j’étais petite. Je suis contente d’être vivante et je suis contente d’aller bien et de faire un métier que j’aime et d’être entourée de gens que j’aime. Voilà, je pense que cela ne va pas plus loin que çà. Donc ça va plutôt bien. J’écris des choses qui ont l’air assez tristes, effectivement un peu cathartiques, mais c’est toujours sur des mélodies qui sont quand même enjouées et ça j’y tiens vraiment. Enfin, je pense que je suis aussi comme ça dans la vie. Aborder tout avec recul, avec légèreté et ne pas se prendre au sérieux. Être heureux malgré tout. En s’entourant de jolies choses.

Photo : Sabine Richard

Antoine : On parlait avant de Victor Hugo, il y a un autre auteur parmi les nombreux auteurs qui vous ont influencés, qui est Henri Michaux. Un auteur absolument magnifique qui a donné naissance à la chanson Comment. Dans son recueil Plume on trouve un texte qui s’intitule « Je vous écris d’un pays lointain ». Il disait la chose suivante : « Nous n’avons ici, dit-elle, qu’un soleil par mois et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours à l’avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n’arrive qu’à son heure. » À quelle heure est arrivé votre soleil à vous ? Et est-ce qu’une chanson peut être considérée comme un soleil dans ces orages que l’on traverse dans la vie ?

Clou : Oui, carrément. C’est marrant parce que j’ai une chanson que j’ai écrite après mon album qui s’appelle Soleil et qui est sorti au mois de juin 2021 et qui était un petit peu à la fois un clin d’œil à mon album pour ceux qui l’avaient écouté, et puis une manière de dire après la pluie, le beau temps. Moi, ce que j’aime dans les orages, c’est que c’est court.

Je crois que les plus bel orage, c’est quand il y a toujours un peu de soleil qui dépasse et qui pointe son nez au milieu des nuages.

Clou

Bon, ça détruit plein de trucs mais ce n’est pas une tempête dévastatrice, ce n’est pas un ouragan, ce n’est pas quelque chose qui met à mal, enfin à priori. Et puis je trouve que c’est très romantique aussi. Pour moi, dans les orages, il y a aussi les coups de foudre. Il y a aussi des choses qui peuvent changer une vie, donc je le vis pas du tout comme quelque chose de négatif. Et le soleil, il est toujours un peu là. Je crois que les plus bel orage, c’est quand il y a toujours un peu de soleil qui dépasse et qui pointe son nez au milieu des nuages. Je fais la météo aussi (éclat de rire).

Antoine : Dans son poème, Henri Michaux évoque un pays lointain. Et vous, de quel pays écrivez-vous ? Est ce qu’on écrit d’un pays lointain, imaginaire ?

Clou : Ça, j’avoue que je ne sais pas trop. J’ai eu une enfance particulière avec des parents pas super cool et donc j’avais une capacité à me fermer au monde extérieur que j’ai encore quand je me sens en danger. Je peux complètement disparaître tout en étant présente. J’ai des gens avec qui je travaille, qui m’ont dit que c’était très étrange à voir, mais c’est une manière de se protéger. Et donc, c’est un peu pareil quand j’écris ou quand je compose. J’ai juste un interrupteur à lancer et je suis dans cette phase là. Donc c’est un pays qui est en fait à l’intérieur de moi et qui est pas mal. C’est chatoyant.

Sabine : Parlons cinéma, vous l’évoquez dans le titre Comme au cinéma dont le clip a été réalisé avec délicatesse par Vincent Delerme. En 1983 sortaient Star Wars, Scarface, L’Eté meurtrier, La Ballade de Narayama et Prénom Carmen. Quels sont les cinéastes qui vous ont inspiré ou qui vous inspirent ? Et si vous aviez la possibilité, comme dans La Rose pourpre du Caire, d’intégrer un film ou un personnage et d’y vivre, on va dire un grand moment de votre vie, lequel serait-il ?

Clou : C’est trop génial que vous ayez dit La Rose pourpre du Caire. J’en ai parlé dans une interview ? Vous avez lu ça où ? Ah, c’est un film que j’ai vu à mon ciné-club de lycée. On était trois au ciné-club, pourquoi ? Parce qu’il n’y avait pas de chauffage et puis aussi je pense que ça n’intéressait personne et moi je ne voulais pas rentrer chez moi et j’avais le prétexte du ciné-club, c’était trop bien. Je me gelai sur ma chaise et le premier film qui passait c’était La Rose pourpre du Caire. J’avais juste vu Woody Allen, je ne connaissais pas, à l’époque au lycée on a 14 ans je crois.  

La Rose pourpre du Caire est un film qui m’a tellement marqué. Je pense que je pourrais vivre dans ce film sans aucun problème.

C’était incroyable, j’ai adoré ce film que je trouvais fantastique et après je suis allée voir tous ces films. Il y a des petits cinémas dans Paris qui passent des vieux films, c’était le Saint-André des Arts et j’ai découvert que dans Annie Hall il y a Paul Simon qui joue dedans. Et j’étais là, mais putain le monde est trop beau ! Voilà, donc La Rose pourpre du Caire est un film qui m’a tellement marqué. Je pense que je pourrais être dans ce film sans aucun problème.

Star Wars, franchement c’est un rêve mais je ne vois pas ce que je pourrais y faire. Tous les personnages sont très bien. Il n’y a pas assez de personnages féminins, cela ne me dérange pas d’être un personnage féminin annexe évidemment mais alors hyper badass soyons clair. Je saurai me battre et je saurai conduire, ce qui n’est pas le cas dans la vie. Mais putain ce sont mes films fondateurs, c’est ça ? L’Été meurtrier, je ne sais pas, je n’ai pas trop envie d’être dans cette histoire. Franchement, c’est l’histoire de quelqu’un qui est complètement dérangé, mais bon, elle est tellement belle.  J’ai vu L’Enfer aussi, mais mon Dieu ce film m’a mis tellement mal à l’aise. Non je n’ai pas envie d’être dans ces films-là.  Plutôt des films joyeux, heureux. Il y a un film que j’aime bien, que j’ai vu il n’y a pas très longtemps qui s’appelle Licorice Pizza qui est vachement bien. Franchement si pouvais être un extra dans ce film. Ouais c’est trop bien. Je trouve qu’il y a une joie de vivre dingue.

Et puis il raconte vraiment une histoire d’amour telle qu’on la vit tous, c’est à dire faite de plein de maladresses et de trucs ratés. On est moche en fait, à cette époque-là, on tombe amoureux parce qu’on aime les défauts de l’autre. Je trouve que ce film dit vraiment ça. Donc oui, je serai bien là-dedans. Pas dans les autres Paul Thomas Anderson, mais dans celui-là, oui.

Antoine : Je voulais juste aussi revenir sur les deux Simon qui vous ont marqué : Paul Simon et Yves Simon. Ce qui me frappe, c’est qu’ils sont des figures d’artistes masculins qui sortent des codes masculins par leur fragilité, par le fait aussi qu’ils décloisonnent. Yves Simon c’est un compositeur, un chanteur, mais il a aussi écrit des romans et Paul Simon avec un des albums qui vous a marqué, Graceland, a su amener la world music dans la pop. Est-ce que c’est ce qui vous plaît aussi dans la musique, les artistes qui sortent des codes ?

Clou : En fait, je n’ai pas du tout analysé cela évidemment en les aimant. J’ai d’abord aimé leur musique et ensuite je me suis rendu compte qu’effectivement c’étaient des hommes qui n’étaient pas dans l’archétype masculin et que c’est ça qui me plaisait beaucoup. C’est justement leur fragilité assumée, leur poésie complètement assumée aussi. Ce sont des romantiques tous les deux, je trouve cela extrêmement touchant et puis ce sont des littéraires tous les deux. Paul Simon n’a pas écrit de roman que je sache, mais Yves Simon en a écrit beaucoup et c’est très très beau. Mais chez les femmes aussi, il y en a plein que j’adore.  Je pense à une fille qui s’appelle Suzanne Vega. Il y a une autre fille qui s’appelle Regina Spektor, qui n’est pas toujours très connue en France. Mais elle, c’est vraiment quelqu’un que je trouve incroyable. Ces chansons, il n’y en a pas une que je trouve cliché. Si c’est une chanson d’amour, ce n’est pas une chanson d’amour cliché, tout est intéressant. Il y a une artiste qui s’appelle Feist, une artiste canadienne. Quand j’ai écouté ses albums, j’avais 20 ans et ça m’a ouvert des portes complètement dingues. Elle ne parlait pas de choses habituelles, elle parlait de failles personnelles. Elles étaient dans quelque chose de fragile et en même temps hyper solide.

En grandissant, j’ai écouté des chansons d’Anne Sylvestre. J’ai appris son parcours aussi avec les maisons de disques et avec les professionnels de la musique qui lui ont dit :  » Mais change de physique, change le thème de tes chansons, ça, ne va passer en radio, ça ne va pas plaire ». Et pourtant elle a fait une carrière extraordinaire.

Clou

Quand on la voit sur scène, elle est en robe rose ou violette et elle joue de la guitare électrique et c’est incroyable. Et puis il y a Björk qui m’a marquée quand j’étais ado, à fond. Mais bon, tout le monde a été un peu soufflé par Björk.  J’ai grandi aussi avec Anne Sylvestre qui est vraiment une figure féministe très forte. Ce que je ne mesurais pas forcément quand j’avais huit ans, évidemment. Mais en grandissant, j’ai écouté des chansons d’Anne Sylvestre. J’ai appris son parcours aussi avec les maisons de disques et avec les professionnels de la musique qui lui ont dit : « Mais change de physique, change le thème de tes chansons, ça ne va passer en radio, ça ne va pas plaire ». Et pourtant elle a fait une carrière extraordinaire. Avec des chansons qui cassent des murs et en indépendante. Ça pour moi, c’est un exemple, vraiment.

Antoine : Y aurait-il un titre que tu souhaiterais que l’on écoute ? Peut-être que d’ailleurs ça change en fonction des jours et des semaines. Alors, aujourd’hui, samedi 5 mars, quel est le titre que tu souhaiterais que l’on écoute ?

Clou : Ma chanson préférée, c’est-à-dire celle qui me met en joie à chaque fois que je l’écoute, c’est Cesse Cesse. Ce n’est ni un single, ni une ballade. C’est vraiment un truc très indé avec une ritournelle. C’est une chanson qui raconte quelque chose qui n’est pas très marrant non plus. C’est une obsession nocturne pour un ancien amoureux et cette capacité que l’on a à donner le change la journée et puis, quand on rentre et que l’on est tout seul, on est là. Putain mais il est où ? J’aime beaucoup cette chanson et c’est la seule chanson d’amour de l’album aussi, je crois que c’est pour ça aussi qu’elle me tient à cœur.

Antoine : On est une association culturelle qui s’appelle Cultures Sauvages et on tient un blog. Pour toi, cela représente quoi une culture sauvage?

Clou : Une culture avec les cheveux hirsutes. Je ne sais pas, la culture c’est sauvage, la culture, c’est pour tout le monde. C’est fait pour dépasser les statuts sociaux, on est tous un peu des animaux avec de beaux vêtements. C’est un peu le retour à soi aussi et à notre vérité première. Ce que l’on aime en art, ça dit quelque chose de nous, je trouve. C’est donc cela, un personnage avec des cheveux hirsutes et un pagne, mais beau gosse, tu vois ?

Merci infiniment Clou, on a hâte de vous entendre ce soir à la Poudrière.

Clou : Merci à vous.

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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