Crédit photo : Christophe Crénel

Si on regarde les pochettes de vos deux albums, on remarque un changement. Si on est toujours dans le noir et blanc, incarnant par là le côté classe et sauvage, quelque chose a changé et s’est déplacé. Sur la pochette du premier album Wheatering, on voyait en gros plan le dos de l’un d’entre vous et le bras d’un autre membre du groupe, ce qui renvoyait à quelque chose de très immersif et très brut. Sur la pochette du second album, The Big Picture, qui renvoie dans son titre même à cette notion d’image, on a un plan d’ensemble de vous quatre, et l’on vous distingue clairement, chacun l’un à côté de l’autre. En quoi cette photographie exprime-t-elle l’idée que vous vous affirmez comme un groupe, un collectif qui tient sa force de cette diversité de personnalité ?

Je ne sais pas si on l’a trop conscientisé. A vrai dire, pour la pochette de The Big Picture, on avait pas mal d’idées. Tous les quatre on avait plein d’idées de montages dans le même décor. Et finalement, ce n’était pas prévu que l’on arrive à la pochette actuelle. Pour revenir à cette idée de collectif, il y a quelque chose de primordial au sens où l’on est avant tout un groupe. D’autant qu’aujourd’hui, j’ai l’impression que ce que véhicule, un groupe, existe de moins en moins : le fait que chacun existe à parts égales. Tu as souvent très vite soit un leader qui se dégage soit une personne qui s’ajoute au groupe. J’ai donc l’impression que c’est plus rare d’avoir des groupes qui existent en tant que tels. C’est donc important de voir tout le monde sur la pochette.

D’autant que sur la pochette de The Big Picture, on vous distingue tous nettement, sans jouer sur le mystère.

Entre le premier et le deuxième album, il y a eu un changement. Lors du premier album, nous n’étions pas dingues de studio. On est un groupe qui vient du live. On a pu attraper de mauvais réflexes du live dans la façon de jouer. Quand tu « rates » une note en live, tu passes aussitôt à la note suivante. On a eu du mal au début avec le principe de figer quelque chose de manière définitive.

On aime bien les formats longs. Pour nous, c’est la meilleure façon de prendre le temps de faire de vraies ascensions d’intensités émotionnelles.

Antoine, batteur de Last Train

Le premier album a pu être par certains côtés plus frustrant pour nous. Il a en tout cas été composé et enregistré pendant des pauses de tournée. Pour le deuxième album, on a voulu se poser et davantage assumer les choses et mieux les jouer. Du coup, c’est sûrement pour cela que sur la pochette du deuxième album, on voit plus nos gueules. On l’a fait davantage comme un vrai groupe de rock, avec l’idée de faire une vraie pause pour préparer l’album avant de repartir en tournée pour jouer l’album qui vient d’être composé.

Vous avez créé des morceaux « signatures » qui sont beaucoup plus longs que la norme d’un titre classique. Pour quelles raisons ? Est-ce que vous-même vous appréciez les multiples variations d’intensité dans une chanson ? Auriez-vous un exemple à nous donner ?

Effectivement on aime bien les formats longs. Pour nous, c’est la meilleure façon de prendre le temps de faire de vraies ascensions d’intensités émotionnelles. Sur des singles de 3.30 min, on a beaucoup de mal à faire ça. Pour nous c’est l’endroit où l’on est le plus à l’aise. Tout de suite avec des morceaux longs, il y a des noms qui sortent comme Pink Floyd et on kiffe ces groupes. On les a écoutés.

Sur la longueur d’un morceau, tu peux te permettre beaucoup plus de choses pour mieux faire ressortir les émotions.

Antoine, batteur de Last Train

Le fait d’écrire de longs morceaux vient surtout des groupes de post rock qu’on écoutait comme Explosions in the Sky où rares sont les morceaux de moins de 5 minutes. Sur la longueur d’un morceau, tu peux te permettre beaucoup plus de choses pour mieux faire ressortir les émotions ; et nous, je pense que c’est comme ça qu’on y arrive.

Justement dans cette volonté de créer des émotions, on a l’impression que vous emmenez vos auditeurs dans un cheminement musical, mais il y a peut-être aussi une sorte de volonté de créer des images mentales. Certains titres sont presque des courts métrages. Est-ce qu’il y a un rapport au cinéma ?

Complètement. C’est une belle expression que « l’image mentale ». On aime bien  dire que quand tu sors un album studio tu peux un peu rentrer dans la BO de la vie des gens. À côté de ça, on est assez sensible à la musique de film. Ça a commencé avec Le Seigneur des anneaux parce que c’est les premiers films de notre enfance où l’on s’est rendu compte que la musique est folle, mais aujourd’hui c’est le cas pour toutes les grosses productions. Même les séries sont faites d’arrangements avec de très bons génériques. Par exemple, Game of Thrones, Breaking Bad, la musique est devenue super importante et marquante pour les gens dans les films. Julien, notre guitariste, réalise pas mal de clips. Il en a fait 5 ou 6 pour nous. Pour notre dernier titre, How did we get there?, il s’agit effectivement d’un court métrage. On est assez sensible au milieu du cinéma.

En concert, vous proposez une expérience sonore et physique très forte, avec l’idée de proposer « une vraie histoire » comme vous le disiez dans une interview précédente. Est-ce pour vous primordial de chercher à raconter quelque chose durant vos concerts ?

On a toujours été très attentif au fait d’avoir un fil directeur dans nos concerts, qui découle de la composition de l’album. On est très sensible à l’enchainement des morceaux, pour éviter ainsi la répétition. Ce qui compte, c’est donc d’avoir un set cohérent et qui ne soit pas lassant.

Après la sortie de votre dernier album en 2019, vous avez réalisé à peu près 80 dates après un arrêt brutal lié à la pandémie, comment se passe la reprise ?

Alors nous, on a beaucoup de chance, la reprise s’est plutôt bien passée. Certains festivals comme les Eurockéennes nous ont reporté deux ans d’affilée, depuis 2020 jusqu’à aujourd’hui. Dès qu’on a pu refaire des concerts on l’a fait. Là, ça fait presque un an qu’on tourne à nouveau, le public est présent et super heureux. Cette année, il y a une belle effervescence et les gens sont supers chauds. On vient de jouer aux Vieilles Charrues et le public était complètement dingue.

On a toujours été très attentif au fait d’avoir un fil directeur dans nos concerts, qui découle de la composition de l’album.

Antoine, batteur de Last Train

Ce qui est beau dans votre histoire, c’est le fait que Last Train soit un groupe qui se monte quand vous avez douze ans. Il existe toute une mythologie du rock avec des groupes qui se sont formés très tôt. Qu’est-ce qui détermine le choix de la batterie quand on a douze ans ?

Je n’ai plus de souvenir de mes premiers cours de batterie. Je sais que je voulais faire ça. Je devais faire de la batterie depuis quatre ou cinq ans avant de rencontrer et de monter le groupe. Ce dont je me souviens vraiment, c’est que j’ai commencé à m’impliquer vraiment à jouer de la batterie quand j’ai rencontré les autres. Je me souviens de cette motivation.

Pour quelles raisons avez-vous choisi de réaliser un documentaire sur Last Train ? Il s’intitule Big Picture et fait le récit d’une partie de votre aventure, est-ce que vous avez été surpris de certains témoignages de vos proches, comme une sorte de miroir intime ?

Assez oui, même si au final Julien notre guitariste savait tout (puisqu’il l’a lui-même réalisé). En fait, c’est assez curieux cette histoire. On avait filmé des images en studio, car on avait déjà pensé à créer des archives. On aimait bien les making of, mais au final on n’ en avait jamais fait. On avait emmené avec nous quelqu’un pour capter des images que l’on n’avait jamais utilisées. Et ce documentaire s’est fait durant l’année du COVID, c’était pas prévu du tout.

Le Main Square Festival faisait une édition digitale et nous a proposé de faire une vidéo de 4 minutes où on pouvait faire un peu ce qu’on voulait et Julien s’est lancé là-dedans. Au bout de 3 jours, il avait déjà 15 minutes, il nous a dit : « Les gars, je peux faire beaucoup plus ». Puis en deux semaines on avait 40 minutes. Il a commencé à monter les images du studio avec des interviews de chacun de nous. On était donc un peu surpris, car on ne savait pas vraiment ce que chacun avait dit de son côté. On s’est filmé chacun une heure avec quelqu’un d’extérieur qui nous posait la question.

Oui justement ça se ressent. On a la sensation que certaines choses ont été livrées et qu’elles sortent droit du cœur.

Clairement, il n’y a pas eu de sur-réflexion. On ne savait pas du tout au départ quelles étaient les questions qu’on s’était préparé les uns pour les autres et c’était comme une discussion où les réponses sont venues comme ça.

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