Charismatique et habitée, Isabel Sörling, nous livre un puissant univers poétique, éblouissant et atypique dans son album « Mareld ». On adore sa voix libre, énergique, parfois rageuse. A travers onze titres, la Suédoise et Parisienne d’adoption nous submerge d’émotions et nous emmène dans un voyage chamanique, lumineux et étonnant.

Crédit photo : Viktor Freidlitz

1.Vous avez été lauréate du prix de l’artiste vocale aux victoires du jazz en 2021. Ibrahim Maalouf a produit votre premier album lumineux « Something came with the sun » en 2013 et vous avez travaillé avec beaucoup d’autre musiciens de jazz et des musiques improvisées : Airelle Besson, Paul Lay, Cabaret Contemporain, Paul Anquez, Julien Desprez, Anne Paceo….Qu’est-ce que vous a apporté cette musique ? Et que pensez-vous du surnom de Janis Joplin du jazz que l’on vous a attribué ?

J’aime me trouver à la frontière de différents genres musicaux, me perdre dans l’inconnu entre les deux. J’applique mon arme secrète à tous les types de musique : l’improvisation. De réagir instinctivement aux sons et textures, aux vibrations. Janis Joplin est une reine du rock, si libre et brute dans son expression. Elle a été une artiste importante pour moi.

2.Vous naviguez entre des projets de groupe comme Farvel et Soil Collectors et votre projet solo, vous avez sorti trois albums. Qu’est-ce qui guide vos choix ?

Mes choix viennent souvent instinctivement. Si je peux entendre ma voix dans la musique, je sais que je peux participer et contribuer.

3.Vous multipliez les projets et explorez les genres. Mais le fil conducteur de votre œuvre est la musique scandinave traditionnelle que vous chantez depuis votre enfance. Quel est votre rapport à cette musique ? Et dans quelle mesure est-elle à la source de la musique moderne en Suède et dans votre répertoire ?

Les traditions musicales suédoises ont laissé une empreinte énorme sur mon identité musicale, ainsi que sur la scène musicale qui m’a entourée en grandissant en tant que musicienne. En Suède, le chant est bien intégré dans la société, qu’il s’agisse de chants de poitrine pour des chansons à boire ou de chœurs d’église avec des harmonies traditionnelles scandinaves. Vous pouvez certainement en entendre les traces de ça dans ma musique aujourd’hui, et dans ma façon de chanter.

4. Votre dernier album « Mareld » est un brassage de cultures et de contrastes « entre une certaine froideur suédoise, et la chaleur gnawa ». Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette culture africaine ? Dans quelle mesure peut-on dire que c’est un projet biculturel ?

Je suis tombé accidentellement sur un disque dur rempli de musiques du monde pendant que j’étais en train de produire l’album. J’ai particulièrement aimé la musique d’Éthiopie, du Cameroun et du Mali. Les longs cycles mélodiques, les claquements de mains, les percussions acoustiques… et comme je n’avais pas une batterie dans mon studio, mais plutôt des petites percussions, j’ai utilisé ces instruments pour les motifs rythmiques. Ces deux éléments, tous deux hasardeux, ont créé le son de « Mareld ».

Crédit : Jonathan Albrektson

5. Votre album est conceptuel : c’est un mélange entre de la musique traditionnelle et de la musique moderne. Pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes arrivée à brasser ces genres ?

Tout d’abord, concrètement en regardant l’instrumentation : le mélange de synthés modernes (prophet8, nordstage electro) et de percussions acoustiques. Et dans la composition ; en mélangeant des structures de chansons modernes occidentales avec, par exemple, des structures de cycles de claps éthiopiens. Ces deux expérimentations dans l’instrumentation et la composition sont venues naturellement au cours de la production de l’album. Ce n’était pas quelque chose que je connaissais avant de commencer. C’est ce que j’aime dans cette approche, on ne sait jamais ce qui va se passer. La musique vit sa propre vie et j’essaie simplement de la sculpter pendant qu’elle prend vie devant moi.

6. Votre album est « une sorte de mélange de musique pop/folk/rock dont [vous venez], dans le jazz expérimental et l’improvisation que [vous faites] depuis 10 ans ». Quelle est la part d’improvisation que vous accordez sur scène lorsque vous jouez « Mareld » ?

Une quantité importante, juste ce qu’il faut pour donner vie aux chansons. Je crois qu’il faut traiter différemment la musique live et la musique d’album, car ce sont deux expériences différentes pour le récepteur. Ce sont soit des auditeurs, soit des spectateurs. Selon moi, pour qu’un spectacle vivant prenne vie, les musiciens doivent prendre des risques pour créer un nerve, et l’improvisation est l’outil parfait, une sorte de trampoline pour entrer dans un état présent, dans une transe. C’est un état d’esprit tellement complet où tous nos sens sont réunis. L’intellect, les émotions, la créativité, l’empathie.  Ici, je sens que je peux réellement communiquer avec le public.

7. Le titre de votre album « Mareld » signifie plancton luminescent. « C’est magique et la métaphore est belle : à la surface de la mer, cela ressemble à une mer tranquille, mais si vous touchez la surface, elle brille de vie ». Comment cette métaphore imprègne-t-elle l’album ? Votre musique se veut-elle aussi mystique que ce phénomène de bioluminescence ? Cherchez-vous à être lumineuse, à produire de la lumière en composant et en jouant de la musique en ces temps sombres et compliqués ?

L’idée métaphorique du plancton bioluminescent était d’y penser comme des couches avec un contenu scintillant. La surface de la mer, et toutes les couches qui existent en dessous. Le plancton étant les cellules à l’intérieur d’une pensée, d’un sentiment, d’un souvenir, d’une chanson. Ni sombre ni claire, juste une pensée non jugée.

8. A l’inverse, la pochette de l’album contient un collage de photos et de cauchemars. Ont-ils ( les cauchemars) guidé l’écriture de votre album et à quel point habitent-ils votre musique ? Pourquoi ce choix de pochette ?

L’utilisation des couleurs et le fait de peindre mon visage ont été pensés pour raconter des histoires. Chaque couleur représentant une histoire différente. Tous les hommes portent leurs histoires que l’on peut lire en regardant leur visage, si on regarde suffisamment attentivement. Les photos ont été prises dans les forêts suédoises pendant la nuit, avec la seule lumière de la voiture.  Il a fallu trois séances avec trois peintures de visage différentes pour trouver l’expression que je recherchais. Les photos sont prises par le photographe suédois Viktor Freidlitz.   

9. Toujours sur la pochette, vous avez le visage peint et vous apparaissez à la fois masculine et féminine, sans aucune volonté de séduction. Cherchez-vous à équilibrer ces deux polarités à travers votre musique ? Et cherchez-vous consciemment à véhiculer une autre image de la femme, plus sauvage, plus authentique ?

Tout d’abord, je suis l’idée artistique, et dans ce processus, je ne pense pas à mon sexe, je pense à la réalisation. Le regard sur ce que j’ai créé, sur ce que cela peut représenter vient après, et cela est nécessaire pour la précision de l’idée artistique.

La façon dont l’idée sera interprétée dépend de qui regarde. Je préfère offrir une couverture d’album authentique à ma processus artistique. Je n’ai pas si peur d’alterner l’image de ce qu’est une femme. Qu’est-ce que je suis sur ces photos de toute façon, suis-je même une humaine ? Ou peut-être un animal ? Ni homme ni femme ?

10.Votre dernier album parle de l’existence, de la vie, de la mort, de l’évolution humaine, des observations sociales de l’homme. Quels messages avez-vous souhaité faire passer ?

Que parfois nous sommes si enclins à juger, et que la vie et les expériences de vie sont des choses complexes. Je crois que les réponses peuvent être trouvées dans les ères, les âges du temps. Lorsque nous réalisons que les humains ont vécu plus longtemps dans des sociétés nomades que dans des sociétés sédentaires , nous comprenons mieux qui nous sommes.

Il y a une rédemption dans l’observation. De détourner le regard du centre et flotter vers les bords, où la vue est plus claire. Les chansons « Human » et « Sticks and Branches » sont largement inspirées de ces réflexions.

Crédit photo : Viktor Freidlitz

11. Vous vous transformez avant chaque concert pour jouer « Mareld », vous vous peignez le visage, et vous montez sur scène dans un état quasi second. Cela relève-t-il de la performance, ou de la performance chamanique ? Vous adressez-vous à l’invisible ? Que cherchez-vous à transmettre ?

J’ai toujours été fascinée par les rituels, et par la façon dont ils peuvent nous transformer, transformer nos consciences, tant pour le performer que pour le spectateur. J’essaie donc de provoquer un sentiment de rituel pour chaque concert, qu’il soit petit ou grand. La réflexion sur la façon dont un musicien peut se préparer avant de monter sur scène est intrigante. Il existe un grand potentiel d’expérimentation. Le but ultime est de créer une forte connexion avec le public.

12. Imaginons que vous avez la possibilité de jouer votre album dans la nature à l’occasion d’un concert, d’une fête, avec toute l’énergie que vous avez. Ce serait pour célébrer l’arrivée de quel événement ?

Cela dépendrait du lieu, de l’environnement, des organisateurs, de la saison. Chaque espace inspire et influence la performance. Mais de mon point de vue de Suédoise, je célébrerais volontiers le soleil, la lumière. Venant d’un des endroits les plus sombres de la planète, la lumière est un élément important pour moi. Je choisirais donc une célébration pour le solstice d’été 🙂

13. Comment faites-vous pour rester créative et combative pendant cette période peu propice aux concerts et aux représentations artistiques de manière générale ?

Le processus créatif est très circulaire, et contient de multiples étapes. En dehors de la création, on peut se reposer, se promener, cuisiner, réfléchir, se nourrir de livres, de musique, d’art pour se stimuler et s’inspirer. 

Et bien que la créativité soit un acte continu, les phases où les artistes produisent réellement de la matière première sont rares.  Avec le temps, on apprend à rester calme et à ne pas se morfondre quand on se trouve entre les phases. Chaque phase a un but.

14. Quels sont vos projets à venir ?

Je suis en train de produire et d’enregistrer un nouvel EP, inspiré par les voyages lunaires , qui sortira à l’automne. Parallèlement, je joue des concerts avec mon groupe « Mareld ». De plus, je fais une nouvelle création pour « Mareld » GRAND FORMAT les 19 et 20 mai 2022 au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines en ajoutant trois batteurs et une chorale de 30 voix. Je suis également en préparation de mon spectacle solo « Acoustic chamber », où je joue mes chansons dans un format acoustique, en m’accompagnant de piano et de guitare folk.

15. Qu’écoutez-vous-en en boucle ce moment ? 

En ce moment, j’écoute ces albums ;

Baths « Cerulean »

Tia Blake « Folksongs and ballads »

Rosalia« Los Ángeles »

Mehdi Nassouli« Taroudant »

Sir Was « Digging a tunnel »

16. Qu’avez-vous comme livre de chevet actuellement ? 

Je lis actuellement un livre factuel en suédois sur les recherches concernant l’amitié et l’importance des ses relations. Il s’appelle “Länge leve vänner”en suédois, écrit par Frida Bern Andersson, Daniel Ek et Pär Flodin.

17. Qu’est-ce qui vous fait vibrer en ce moment ?

La vie à Paris, cet endroit est en pleine ebullition. Les gens sortent progressivement de leurs trous de renard et profitent des concerts, des théâtres, des spectacles de danse. C’est très inspirant.

18. Quel est le titre auquel vous ne pouvez pas résister de danser ?

Hum, je pense que ça devrait être le titre “Everything connected” extrait de l’album génial “Singularity” de Jon Hopkins.

19. Notre collectif s’appelle Cultures Sauvages, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

Cela évoque la sensation de partager la même vision et la même compréhension de la culture. La culture doit être laissée libre et sauvage dans ses expressions et dans son existence. Cheers to that!

Crédit : Viktor Freidlitz

Sortie de l’album « Mareld » le 27 mars 2020, chez IKI records / Absilone

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